Je suis un ventre sur pattes, et l'heure du repas, c'est un peu sacré pour moi. Malgré mon appétit d'ogre, pourtant, je n'ai pas tendance à prendre un gramme, enfin j'exagère un peu peut-être mais je n'ai jamais vraiment eu besoin de faire attention, et sans doute que le fait que je sois une boule d'énergie, et de nerfs aussi un peu, doit y jouer pas mal. En tout état de cause, il n'y a pas grand chose qui puisse me faire écourter la pause déjeuner. Je vois surtout une raison principale, y en a peut-être d'autres qui ne me viennent pas en tête, mais celle à laquelle je pense en premier, c'est clairement le courrier. Que je le reçoive ou que j'aie à l'envoyer. Aujourd'hui en l'occurrence, c'est à envoyer. Une lettre-roman, comme d'habitude, adressée à Chelsea... comme d'habitude. On ne change pas une équipe qui gagne, comme on dit. On n'est pourtant qu'au début de l'année, je pourrais ne pas avoir tant de choses à lui raconter, mais c'est toujours pareil, je me dis « je vais rien avoir à lui dire » et puis je commence à expliquer mes journées, à relater tout et n'importe quoi et... on s'envoit trente ou quarante pages. Avec ou sans partitions d'ailleurs. J'ai tenté de lui parler des gens d'ici, puisqu'elle m'encourageait dans ses dernières lettres déjà à aller davantage vers les autres, et résultat, ça a surtout tourné autour d'un certain bleu... J'aurais pu prendre le parti de réécrire, ou de supprimer des pages, mais je me suis toujours promis de ne pas revenir sur ce que je lui avais raconté, parce que si j'avais commencé par le coucher sur papier, c'était que j'avais ressenti le besoin de lui en parler à un moment. Et je sais que je peux tout lui dire, de toutes les façons. Même si je dois bien avouer que je m'interroge un peu sur la réponse qu'elle apportera à tout ça, et que je la redoute un peu surtout. Non parce que bon, je la connais suffisamment pour savoir à l'avance ce qu'elle va me dire, même si on ne s'est pas vues depuis plus de trois ans. Et peut-être qu'elle a raison, mais... Je sais aussi que je n'oserai pas. Autant le regard des autres m'indiffère la plupart du temps, j'ai l'habitude d'être un peu la bête de foire, à force, donc je ne suis plus vraiment à ça près, autant là... c'est différent. Et je sais que je vais attendre sa réponse avec autant de crainte que d'impatience, à présent. Ce qui fait que je suis un peu fébrile quand je monte à la volière, y rejoindre le vieil hibou de maman qui doit emporter mon pli un peu trop volumineux.

Il fait encore doux – tout est relatif, mais on n'est encore qu'en octobre et donc loin des frimas hivernaux qui commencent à approcher – et je profite qu'on soit samedi pour me passer de l'uniforme que je n'ai jamais vraiment apprécié. Un jean, un petit pull bleu et une veste violette, de quoi être plus à l'aise, histoire de changer un peu de la sacrosainte jupe plissée poudlardienne, et mes converses au pied, j'ai grimpé les marches quatre à quatre, tournant et retournant la large enveloppe dans mes doigts avant de m'immobiliser sur le seuil de la tour. Je ne m'étais pas vraiment attendue à avoir de la compagnie, et certainement pas à un tel spectacle, qui fait poindre instantanément un sourire sur mon visage. Un garçon, de ma maison d'ailleurs, dans une des niches, son hibou sur les jambes. C'était épatant cette complicité qu'il y avait entre eux, j'avais déjà eu l'occasion d'en être témoin dans la Grande Salle, comme il avait parfois tendance à le nourrir avec ses propres aliments, mais là, c'était encore un niveau au-dessus.

« Waouh... »

J'avais interrompu un moment particulier, je le voyais bien, mais je ne regrettais quand même pas vraiment d'avoir été là. Je crois que c'était tellement beau, à mes yeux, que ça me ravissait suffisamment pour que la gêne disparaisse au profit de l'émerveillement.

« J'ai vu des gens proches de leur chat ou de leur chien, leur parler et tout. J'ai vu des gens complices avec leur messager, mais vous deux c'est... Waouh... C'est encore plus fort que tout le reste. »

Je ne cherchais pas spécialement à lui passer de la pommade ou quoi que ce soit, c'était un cri du cœur, presque, venu naturellement, parce que parfaitement sincère.

« Il est vraiment à toi, hein ? Moi c'est celui de ma mère et... Je crois qu'il ne m'aime pas beaucoup... »

En l'occurrence, Myrddin me regardait de travers, comme à chaque fois que je lui apportais mes lettres. Je crois que comme mes parents quand ils ont vu le volume de mes envois, il ne comprenait pas comment je pouvais remplir autant de pages, d'autant que c'était pour des courriers longue distance. Et je crois que le désintérêt de mes parents à ce sujet déteignait sur lui aussi, d'ailleurs. Le rouleau imposant noué à sa patte, il a lâché un cri quand j'ai voulu lui caresser le crâne, comme à peu près à chaque fois d'ailleurs, et il a pris son envol sans jeter un seul coup d'oeil en arrière, pas même une demi-seconde. J'ai réprimé un soupir, et me suis de nouveau tournée vers mon camarade, de nouveau souriante.

« Il s'appelle comment ? Ou elle d'ailleurs, je sais jamais trop bien... »

Le jour où je perds mon sourire, je crois que je perds une grande partie de moi. C'est ma meilleure arme, et le plus beau cadeau que je puisse faire à tout le monde aussi. J'ai toujours pensé qu'on avait tous besoin d'un petit rayon de soleil pour égayer la journée à un moment ou à un autre, et que ça aidait à tenir, dans les moments difficiles, même si ça n'effaçait pas forcément le reste, ça permettait de rallumer la petite étincelle d'espoir, parfois. Alors oui, je souris tout le temps ou presque, j'essaie d'être un petit peu ce rayon de soleil pour les autres, dans la mesure de mes moyens. J'étais comme ça naturellement petite, sans vraiment y réfléchir. J'ai commencé à accrocher ce sourire sur mon visage plus volontairement à la Wildcat, et j'ai toujours refusé de baisser les bras, même quand mes parents m'ont transférée ici et que ça m'a blessée. J'ai toujours refusé d'abandonner, de changer qui j'étais, et qui je voulais être, pour satisfaire leurs désirs, et je ne compte pas lâcher le morceau. Quand bien même je passe pour une parfaite idiote quand on sait que j'ai étudié trois ans avant d'intégrer Poudlard à mes 14 ans et que je suis une catastrophe ambulante avec ma baguette. Quand bien même on se moque de mes activités artistiques intempestives et décalées. Qu'on pense, qu'on dise ce qu'on veut, je suis comme je suis, et je ne compte pas me renier. Même si ça fait mal, parfois. Et ça passe aussi par cette faculté à m'émerveiller devant des choses qui peuvent sembler insignifiantes ou parfaitement naturelles pour d'autres. Ou aberrantes, même, d'ailleurs. Et c'était le cas de la relation de mon camarade avec son hibou, par exemple. Alors quand il a commenté le pli que je confiais à Myrddin, j'ai grimacé, regardant tour à tour ma 'lettre' et le hibou...

« T'as sans doute raison... mais... hum... je suis vraiment pas douée avec ma baguette... »

J'ai essayé quand même, mais ça n'a pas vraiment fonctionné comme ça aurait dû, pour ne pas changer. Et de toute façon Myrddin ne m'a pas trop laissé le temps de grand chose de plus puisque dès que j'ai fait mine de l'approcher, il s'est barré, manifestement mécontent.

« Il m'aimait déjà pas avant, ça doit pas arranger les choses, en effet... Il aime beaucoup ma Maman, et c'est pas qu'elle m'aime pas, hein, mais il a dû pas l'entendre dire que je fais honte à la famille, alors... »

J'ai haussé les épaules. J'ai pas envie de m'en plaindre plus que ça, ni de mentir : mes parents m'aiment, à leur manière, c'est juste qu'ils sont déçus que je ne corresponde pas à leurs critères d'excellence. C'est la simple vérité, c'est tout, j'en suis pas plus désespérée que ça, mais je me voile pas la face non plus. Autant pas épiloguer là-dessus, de toute façon, je suis beaucoup plus intéressée par mon camarade et son hibou, et c'est toujours souriante, donc, que je me suis tournée vers lui. Ca m'a fait plaisir de voir poindre un sourire sur ses lèvres à lui aussi, et je l'ai écouté me répondre avec attention, observant le manège adorable de son messager.

« Fränn... c'est mignon comme nom. Ca veut dire quelque chose de particulier ? Ca se voit que vous êtes sur la même longueur d'ondes, c'est génial. J'ai jamais vraiment eu d'animal de compagnie mais je crois que si j'avais ce type de relation avec un compagnon, je me ficherais bien de ce que les gens pensent aussi, et je dormirais avec si ça me chantait. »

A vrai dire, dans une autre registre, je me fichais pas mal de ce que les autres pouvaient dire ou penser, donc ce n'était pas vraiment une affirmation très difficile à faire.

« Au fait, moi c'est Tallulah. Tu peux m'appeler Tal' si tu veux, c'est plus court. Enfin tu le sais peut-être déjà vu qu'on est de la même année... »

Je dis n'importe quoi, bonjour. Bon c'est pas complètement anodin, je sais juste plus son prénom et j'espère qu'il va me le redonner sinon je vais avoir l'air un peu bête. Enfin je suis sans doute plus trop à ça près en même temps...

Ca n'avait donc pas loupé, bien évidemment, et Myrddin me faisait clairement la gueule, comme d'habitude à vrai dire. Bon. Apprendre réellement à lancer ce fichu sort pour alléger le pauvre petit chou à maman. A vrai dire, j'avais vraiment de la peine pour lui en plus, mais j'étais sûre qu'il était persuadé que je faisais exprès de ne pas lui rendre le colis plus transportable. Alors que c'était parfaitement faux. Juste que j'avais beau être une sang-pur, j'étais pas douée avec ma baguette.

« J'aurais dû te laisser faire je crois, t'aurais sans doute mieux réussi que moi... »

Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'il me réponde... ça. Hein, quoi ? Il avait étudié le problème ? Mais pourquoi ? J'ai failli le tuer ? Et puis... J'ai regardé ma baguette. C'est con, mais je m'y suis attachée, et je l'aime bien, même si on n'arrive pas à grand chose ensemble. Enfin... Pas à grand chose... C'est relatif, y a des choses sur lesquelles on s'entend bien.

« Je sais pas... Je sais bien qu'Ollivander c'est le génie des baguettes et tout et t'as p'têt raison mais... Je l'aime bien ma baguette. Et sur les trucs qui me plaisent vraiment, on s'entend super bien. Regarde, en métamorphose, on déchire tout... »

Et c'est la stricte vérité, je me lance pas des fleurs pour rien. C'est la seule matière pratique qui me plaît vraiment et pour laquelle je me démène réellement. La prof m'a même fait une proposition à laquelle je lui ai dit que je devais réfléchir un peu, et je crois que je vais finir par lui dire oui, même si j'esquive un peu ces jours-ci. Et puis je suis sincère, vraiment, j'ai jamais considéré que ma baguette était pas faite pour moi, juste qu'elle était aussi capricieuse que moi, ce qui voulait tout dire sur son accord avec moi d'ailleurs, même si tout le monde n'est pas forcément d'accord. Et pour le coup, c'était un sujet que je n'aimais pas trop trop aborder, alors je préférais de loin m'intéresser à son hibou, Fränn donc.

Je pensais sincèrement que c'était un nom agréable à prononcer et à entendre. Je ne savais pas si ça pouvait signifier quelque chose de particulier ou si ça venait de quelque chose de spécial, et j'avais posé la question sans arrière-pensée, par curiosité simplement. J'étais cependant un peu surprise de sa réponse, mais j'ai trouvé ça très intéressant.

« Comme quoi dès le début, y a eu un truc entre vous. Un lien, une connexion. Un... un truc, je sais pas quoi. C'est fort... »

Je suis impressionnée, vraiment. Et non, je ne le prends pas pour un fou, je trouve ça vraiment magnifique. Une inspiration pareille, au premier coup d'oeil, c'est... waouh... Oui c'est pour un animal, et ? Il reste un être vivant, avec un ressenti, et à ce que j'en vois à l'instant, c'est tout aussi réel que ce que je peux ressentir pour Chelsea, par exemple. Du coup j'étais un peu gênée d'avoir vexé sa sensibilité en utilisant le terme d'animal de compagnie. Je ne voulais pas être péjorative, loin de là, et pour le coup, je m'en veux d'avoir utiliser des mots qui ne conviennent pas. Je ne peux pas complètement comprendre, parce que j'ai ma famille, même si on a nos différends, mais ce qu'il vient de dire me touche.

« Pardon, je voulais pas le discréditer ou quoi... hum... »

J'ai l'impression que je m'enfonce alors je saute vite sur l'occasion de parler de moi, et du fait que non, je n'ai jamais eu d'animal de compagnie pour ma part.

« Si, j'aurais bien aimé, mais ça s'est pas fait. Disons que je m'intéressais trop aux non-sorciers pour que mes parents aient envie de me faire ce genre de cadeau... Et puis de toute façon, Maman ne jure que par les plantes... Puis je sais pas si j'aurais bien su m'en occuper en fait... En même temps je peux pas dire vu que j'ai jamais essayé. J'ai même pas pris les soins aux créatures, j'ai tendance à être plus à l'aise avec les matières théoriques en général... Mais y a plein de gens qu'ont des chats ici, j'en croise forcément souvent, et y en a avec qui je m'entends bien. Enfin ça veut peut-être pas dire grand chose en même temps... »

Je suis perplexe, en fait, pas certaine du tout de ce que je raconte. Les chats du coin avec qui je joue ou que je câline, ils attendent peut-être juste à manger ? Ou c'est juste des exceptions à la règle, particulièrement câlins et sociaux ? J'en sais rien, je les aime bien quand même, mais je doute que ça soit vraiment réciproque. Et de toute façon, je suis tout à fait consciente que j'aurais jamais une relation aussi particulière avec eux. J'ai déjà du mal à avoir des liens normaux avec les autres sorciers alors... D'ailleurs, Selenn me rappelle qu'on était l'un derrière l'autre en DCFM l'an passé, et je grimace, parce que clairement, ça n'est pas une bonne nouvelle pour lui.

« Ouch... Je parie que j'ai manqué de te tuer une paire de fois... Remarque, c'est pire encore en potions... Bizarrement, avec Abby, on s'est retrouvées toutes les deux en binôme forcé, histoire de pourrir la pratique de personne d'autre... J'espère que je t'ai pas trop fait peur... »

A force de rater des trucs et que ça parte dans tous les sens, par exemple... Parce que du reste, j'inspire pas vraiment la crainte, bien loin de là. Juste que je suis une catastrophe ambulante, et que ça peut effectivement en refroidir plus d'un...

J'ai jamais tenu compte de ce qu'on disait sur les gens, encore moins du nom qu'ils portaient. D'une, on pouvait bien dire ce qu'on voulait, tout le monde n'appréciait pas forcément les mêmes personnes et puis les gens n'agissaient de toute façon pas toujours de la même manière selon qui ils ont en face d'eux. Les affinités, les circonstances, tout pouvait changer la donne et une personne qu'untel déteste pouvait tout à fait m'être très sympathique pour tout un tas de raisons. Et de deux, un nom, qu'est-ce que c'était au final ?

C'était pas parce que ses parents lui aient donné le nom de Celui-qui-ne-doit-pas-être-nommé, c'était leur problème, ça ne voulait pas dire que lui, il était pareil. Que le Ministre Travers soit de sa famille, qu'est-ce que ça changeait ? Ce n'était pas lui, il pouvait tout à fait ne pas avoir la même façon de voir les choses. J'étais bien l'héritière des O'Neill et je n'aimais pas plus que ça la magie noire, les potions ni ne jurait que par la pureté du sang pour autant... Alors oui, je l'avais écouté, j'avais enregistré son nom, mais au fond, tout ce qui m'intéressait, c'était de retenir que je pouvais l'appeler Selenn, ou Sel', même.
Quant à mon problème de baguette qu'il essayait désespérément de percer, je l'écoutais attentivement, un peu curieuse de voir qu'il s'y intéressait réellement, et qu'il y réfléchissait sérieusement. Et pour le coup, je me suis mise à y réfléchir moi aussi, un peu plus que d'habitude. C'est quelque chose que j'ai toujours pris tel quel, sans trop me poser de question. Il y avait des trucs que je réussissais bien et d'autres qui me passaient carrément au-dessus, point. Sauf que ce qu'il disait n'était pas idiot, loin de là, et même, ça me faisait plutôt sourire.

« Je crois que c'est surtout que ça ne m'intéresse pas vraiment. Et il doit y avoir un côté... réfractaire aussi. C'est un peu de la psychologie à deux balles, mais... Tu vois, mes parents ne jurent que par la sorcellerie et la pureté du sang et la magie noire même. Ils détestent les moldus et méprisent les sangs-impurs. Et moi le monde moldu me fascine et je crois que ma baguette a très bien compris que j'avais pas du tout envie de suivre leurs traces et d'être la parfaite sorcière imbue de ses pouvoirs qu'ils espéraient que je sois. Au fond, je crois pas que je veuille vraiment y arriver, alors... Je crois que je suis un peu trop une tête de mule et comme je veux pas leur donner raison, ça donne ça... »

J'ai ri, parce qu'il faut bien avouer que ça avait un côté un peu ridicule. Je suis mauvaise en cours et en sortilèges et en potions parce que je fais ma tête de cochon, c'est ça que je suis en train de dire... Et c'est sans doute pas mal vrai, c'est sans doute ça le pire.

« Bon, faudrait peut-être que je fasse au moins un minimum d'efforts pour pas être dangereuse pour les autres mais... Parce que bon, oui, tu es toujours vivant, mais on va être en cours ensemble encore un moment, et c'est pas dit que je finisse pas par faire vraiment un drame à force... »

Là évidemment, je riais beaucoup moins. Je grimaçais, même, parce que faire du mal aux autres, ça n'est vraiment pas mon objectif. Quoi qu'on puisse croire ou raconter dans les couloirs. Je me fiche pas mal de tous ceux qui se moquent ouvertement dans mon dos ou face à moi d'ailleurs. J'y prête pas vraiment attention en fait, si bien que je sais pas trop non plus qu'il y a des gens comme lui qui prennent parfois ma défense. C'est dommage, je l'aurais remercié, si j'avais su, parce que c'est plutôt sympa de défendre une parfaite inconnue comme ça, tout le monde l'aurait pas fait.

« Je sais pas s'ils ont truqué le truc ou quoi, mais moi je suis avec l'autre catastrophe ambulante en potions, Abby Weasley, et au moins, comme ça, on ruine pas le cours de quelqu'un d'autre... Bon on arrive à rien non plus, parce qu'on est aussi pas douées l'une que l'autre, mais au moins, on emmerde pas trop les autres. Sauf quand le chaudron explose... »

Nouvelle grimace. Je compte pas le nombre de fois où c'est arrivé. Et où ça arrivera encore. Les cours de potions, comme ceux de DCFM, je déteste. C'est les heures les plus longues de la semaine pour moi, même en Sortilèges, je m'en sors moins mal. Mais c'est gentil de sa part de se proposer de m'aider, et j'en suis un peu surprise. Du coup je lui rends avec plaisir son joli sourire.

« T'as pas peur de finir par t'arracher les cheveux, j'espère ? Parce que quand ça veut pas imprimer... »

Je suis une tête de mule, je l'ai dit. Alors j'ai bien peur qu'il perde son temps à essayer de m'aider dans les matières qui sont mes bêtes noires. Mais c'est vraiment sympa, tout le monde est pas comme ça avec moi, alors je suis touchée.

« En tout cas c'est super gentil. Je te rendrai bien la pareille, mais je suis pas sûre que t'en aies tant besoin. Enfin à moins que t'aies des soucis en métamorphose, ou en histoire et en astronomie, ça je gère... »

Mes options aussi, mais je sais plus lesquelles il a prises, alors je me prononce pas sur le sujet.

Je ne me cachais pas de tout ça, et je n'imaginais pas vraiment que parlais à quelqu'un pour qui la pureté du sang était importante. Peut-être que j'aurais dit les choses autrement, si j'avais su. Peut-être, mais ça n'était même pas sûr. Je n'avais pas honte de mes opinions, pas le moins du monde, et je n'avais pas pour habitude de les cacher. Et si on ne les acceptait pas, tant pis. Mais ça n'avait pas l'air d'être le cas de Sel', puisqu'il m'écoutait tranquillement, souriant comme pour me réconforter.

« Réfléchis... » Je n'aime pas trop le début de cette phrase, j'ai l'impression qu'on me prend pour une idiote, et je n'aime pas vraiment ça, bizarrement. Mais j'attends la suite et je me tais. Ne pas porter de conclusion hâtive... Et je sais pas s'il se rend compte de l'écho que ce qu'il dit peut avoir sur moi. Etre puissante n'a jamais été particulièrement mon objectif, c'est pas cette partie-là qui me touche mais... La magie la plus puissante... L'amour... J'aime cette idée. Et elle fait son petit bonhomme de chemin dans mon esprit. Si je l'écoute, si je peux montrer que je peux rester fidèle à moi-même, tout en m'affirmant comme sorcière, parce que j'en suis une malgré tout ce que je peux dire ou faire, quelque part, ça serait le meilleur moyen de clouer le bec à mes parents. Et d'être moi totalement. Je veux pas vraiment l'admettre, parce que je suis une tête de cochon et que je refuse de donner raison à mes parents, mais c'est pourtant le cas : je m'ampute d'une partie de moi à refuser la magie. Cela étant, même si ce qu'il dit est fondé, et censé, et qu'une partie de moi le conçois, je suis pas encore prête à tout changer, clairement. Et d'ailleurs, je n'étais même pas certaine que le jour où j'accepterai de le faire, les choses se passent tout de suite mieux... Au contraire, je crois à raison qu'il va falloir du temps avant que je ne sois plus un danger public, et puisqu'il veut m'aider, il risque d'être aux premières loges. Et ça, ça m'ennuie un peu. Je ne veux pas lui faire courir de risque. Mais il a l'air de s'en fiche profondément, et c'est avec un nouveau sourire que j'accueille ses promesses de m'aider.

« C'est super gentil. »

Je souris, sincèrement. On se connait pas plus que ça, au fond, lui et moi, mais je me dis qu'on aurait franchement dû se parler avant, parce que je l'aime bien. C'est un peu rapide pour se forger un avis sur les gens, certes. Et peut-être que je m'enflamme et qu'après coup je vais être déçue. Mais de ce qu'il me laisse voir aujourd'hui, j'apprécie sa façon d'être. Je sais pas si y a vraiment un destin ou quoi, mais qui sait, peut-être qu'il a raison. En tout cas, j'ai éclaté de rire, imaginant la scène avec son précepteur... Je ne sais évidemment pas exactement comment se sont soldés les tests qu'il a fait sur son pauvre précepteur, mais j'ai suffisamment d'imagination pour visualiser un peu tout et n'importe quoi...

« Bah... Je regrette pas d'être avec Abby au final, on s'entend très bien. Même plus que ça, d'ailleurs... Enfin bref. J'accepte avec plaisir ton aide, c'est pas comme si je pouvais dire que j'en avais pas besoin. »

Et je lui ai proposé de lui rendre la pareille sur le seul truc pour lequel je me sais douée sauf que... Chou blanc, manifestement. En même temps, c'est une tête ce type, qu'est-ce que j'espérais pouvoir lui apporter, hein ? Il est bon partout, manifestement, il prend même de l'avance pendant les vacances... Je suis ébahie quand il parle des centaures, et pour le coup, je sais pas trop quoi répondre à sa proposition. Alors je pars sur la suite, plutôt...

« Oh... Je me souvenais même pas qu'on était en runes ensemble, honte à moi. Mais là ça va, je me fais pas remarquer dans le mauvais sens, je m'entends même plutôt bien avec le prof d'ailleurs, faut dire qu'on a... Quelques points communs... J'ai pas pris la divination par contre, j'ai pas... d'affinité avec, comme tu dis. Je suis en étude des moldus. Un peu pour faire criser mon père, mais surtout parce que ça me plaît vraiment. Mes options, ça va, je gère. Et les matières théoriques, j'arrive à me débrouiller. C'est vraiment la pratique qui pêche quoi... »

Je me suis tue quand je l'ai vu se lever et déposer délicatement son hibou sur le coussin dans son alcôve. Vous voyez les étoiles dans mes yeux là ? Bah... ouais, comme une gamine devant un sapin de Noël plein de cadeaux. Je trouve ça juste magnifique. Et je me sens toute petite à côté de lui, autant pour une question de taille effective, que pour nos capacités magiques diamétralement opposées et que face à cette relation si particulière qu'il entretient avec son hibou. Mes parents auraient donné cher pour l'avoir lui comme fils plutôt que moi, sans le moindre doute.

« Sel... T'es pas obligé de t'embêter avec moi tu sais... C'est super gentil, mais t'as très certainement autre chose à faire que de perdre ton temps avec une catastrophe comme moi... »

Pas que l'idée de m'améliorer me plaise pas, d'autant qu'il a marqué un point à ce sujet tout à l'heure, juste que je veux pas être un boulet qu'il traîne à son pied. D'autant que j'ai rien à lui offrir en échange, et même si je sais bien que c'est pas pour ça qu'il se propose, ça me gêne un peu, je dois bien avouer...

Pour ça, il avait été fort, clairement : comme je disais, je suis une tête de mule. Pas facile de me faire changer d'idée. Mais là, il avait réussi à me faire douter, au moins, et sérieusement, c'était un bel exploit. Rien que pour ça, Selenn me faisait plutôt un bon effet, pour le coup. Pour ça, pour sa réussite aussi, pour Fränn. Enfin bref... C'était étrange, on n'était manifestement pas d'accord sur pas mal de choses, très différents l'un de l'autre, et clairement, c'était difficile de nous comprendre, mais... Il faut croire que parfois, les contraires s'attirent, en quelque sorte. N'empêche que je voulais pas être un poids pour lui. Question de fierté, aussi, et puis sincèrement, qu'est-ce qu'il allait faire avec un boulet comme moi, hein ?

Mais sa réponse me fit plaisir, vraiment. Evidemment, il marquait un point : il proposait, ça n'était pas pour rien. Et c'était très gentil de penser que je n'étais pas une catastrophe - j'en étais cela dit moins sûre que lui - que je pouvais être une sorcière à part entière, comme il disait. Je songeai cela étant que je n'avais réussi à extérioriser mon patronus qu'une fois, et qu'il allait avoir bien du boulot pour que ça devienne naturel... Quant à quand nous allions commencer.

« Cet après-midi alors ? Moi ça me va ! »

Un peu trop enjouée ? Oui sans doute, je suis prête à sauter partout comme une puce, finalement. Je doute vraiment de l'intérêt de la chose pour lui, mais je trouve ça tellement gentil, et il a réussi à me faire songer que ce serait peut-être positif pour moi aussi d'être efficace avec ma baguette, si bien que j'ai envie que ça marche. Et quand quelque chose me plaisait, c'était souvent avec énormément d'enthousiasme. Un peu trop sans doute, mais passons, ça n'était peut-être pas pour rien que mon patronus avait pris la forme d'un écureuil. Son sourire me faisait chaud au coeur d'ailleurs, si bien que je souriais naturellement en retour. Transportée. Un jour il faudrait peut-être qu'on trouve le bouton off sur moi, mais pour l'heure, ça n'est clairement pas le cas. Et je suis pas vraiment du genre introvertie, si bien que comme je suis contente, je le montre, c'est comme ça... Un bref câlin, qui me vient naturellement, même si ça l'est peut-être pas pour tout le monde, et je me hisse sur la pointe des pieds pour déposer un bisou sur la joue de mon camarade.

« Aux serres alors ? Vers... Je sais pas... Seize heures ?... »

Moi j'y serai, sans le moindre doute, si ça lui va. Et ça sera le début de notre petit rituel, si on peut dire ça comme ça. Ca prendra du temps, évidemment, pour que j'arrive à rattraper tout mon retard, mais avec lui, je crois que je sais déjà que ça va s'améliorer, et qu'il va devenir un de mes amis, aussi étonnant que ça puisse paraître au départ...

Je crois que je n'aurais jamais pu croire ce qui est en train de se passer. Quand je suis arrivée là, franchement, j'avais surtout le sentiment que j'allais déranger, et puis ça n'était pas comme si ma présence plaisait à beaucoup de monde généralement... Et regardez-nous, maintenant ! Ca me plaît, énormément. Ca se voit à mon sourire, et il le devine très certainement. Et à vrai dire, ça a l'air de lui plaire aussi, à voir son propre sourire. Ou c'est parce que je suis un peu trop expansive ? Je ne sais pas, je sais juste que j'aime bien le voir sourire.

Je reste perplexe à la mention de mon journal intime. A vrai dire, c'est plus dans les lettres à Chelsea que je me confie, mais j'ai quand même effectivement mon propre journal... Sauf que euh... Bah c'est mon journal intime, quoi, et je suis pas sûre de vouloir le lui montrer... Enfin... Il lira peut-être pas ? Je voudrais quand même pas lui expliquer pourquoi je parle tout le temps de Klay là-dedans quoi, il est vraiment pas obligé de savoir ça, d'autant que ça doit être un peu ridicule, je veux dire regardez-le, regardez-moi... Et puis vraiment, Selenn a pas vraiment besoin d'être témoin de mes amourettes - à sens unique - de midinette.

Et à vrai dire, sans que je le sache, il vaudrait mieux pas qu'il le lise, réellement : je suis tellement dans ma bulle que je ne sais pas qu'il est très ami avec le Raven que je regarde de loin, et ça pourrait être assez... perturbant, non ? Bref. Pour l'heure, je fais comme il me dit : je laisse mes doutes ici, j'ai envie de lui faire confiance. Les serres, seize heures, et continue de chantonner, ça aussi ça me plaît.

« A tout à l'heure... »

Et après un dernier regard à Fränn, avec un sourire attendri, je suis descendue aussi, en fredonnant la mélodie qu'il chantonnait lui-même en partant.