Nouvelle année. Nouvelles robes, nouveaux livres, nouveaux ingrédients pour les potions, nouveaux courts. Partout, les mêmes gens, les mêmes rires un peu faux, les mêmes sourires mesquins, la même envie de faire croire que l’été était le meilleur du monde, la même naïveté qui pousse à penser que chaque moment passé était épique, grandiose et non pas simplement rasoir, comme la vie de n’importe quel adolescent britannique passant ses vacances dans la campagne profonde loin de ses amis. Alesya, pour la première fois, avait cependant réellement changé en revenant et alors qu’un matin neuf se levait sur l’école, elle sentait le poids du monde s’abattre sur sa poitrine. Elle avait grandis, d’un coup, d’un putain de grand coup en plein dans les dents. Elle avait grandis, changé, tout en se réfugiant dans un monde de peur et de caprice. La bague, l’alliance qui pendait à son doigt semblait peser mille chaudrons. Putain d’impulsivité. Putain de Rohàn. Putain de blondasse. Sentant sa gorge se nouer, elle se retourna dans les draps. Nouvelle année, nouvel époux, nouveaux camarades. Des premières années à torturer, des grands à remplacer, enfin, et puis des additions étranges à l’école. Elle se redressa brusquement. Levski.

Elle n’avait pas pu le croiser pendant le banquet, dans l’effervescence et dans cette application maladive dont elle avait fait preuve pour éviter Rohàn, Zane, tout ceux qu’il valait mieux éviter pour ne pas ruiner l’euphorie de la rentrée à peine descendue du train. Elle n’avait pas pu le croiser, se retrouvant happée dans un tourbillon de vert et d’argent, ne sachant plus où donner de la tête, écoutant, s’imposant, s’échappant pour finir par s’écrouler dans son lit sans autre forme de procès, oubliant un peu, sur le coup. A présent, pourtant, l’idée était là. L’élève de Durmstrang avec qui elle avait pu échanger tant de lettres était enfin là. Prometteur, il venait d’une école qui avait toujours fascinée, par sa rigueur et son austérité, la petite Lestrange. Combien de fois en avait-elle entendu parler, de cette académie où les sang-mêlé étaient tout juste acceptés, où il fallait prôner la magie, la vraie, celle capable de tuer, pour réussir. Quelque part, les perspectives de l’Ombre semblait bien plus réjouissante, d’autant qu’elle ne pouvait oublier les réticences d’Ezechiel face à tout ça. Elle avait besoin de gens de confiance autours d’elle, besoin de.. oh et puis merde, par Merlin, elle était curieuse, comme une jeune fille de 19 ans rencontrant quelqu’un de nouveau, quelqu’un avec qui elle s’entendait à l’écrit.

Loin d’être brillante, quoi que se rattrapant en ambition et en débrouillardise, la Lestrange était aussi vive, assez pour sauter de son lit et foncer vers la porte, qu’elle passa et claqua, se moquant éperdument de ses comparses encore endormies. Elles finiraient, de toute façon, par devoir se lever, tant pis. Elle remonta le couloir, tourna à gauche, sauta les quelques marches, passa devant la porte du dortoir des 7ème année, tiqua, accéléra et alla s’écraser contre la porte suivant, qu’elle ouvrit. Certains étaient déjà debout, elle les connaissait tous, des camarades qui la dévisagèrent, certains avec un sourire narquois, quoi qu’un peu lubrique, d’autre avec un air agacé. Elle ne faisait pas l’unanimité, pas même en short et en maillot de Quidditch de Serpentard. Evidemment, la case uniforme aurait pu être une bonne idée mais qui avait le temps pour ce genre de chose. « Prend une photo, ça va dure plus longtemps » lança-t-elle au plus proche d’elle, adolescent à moitié prêt pour la première journée de l’année dont les yeux filaient un peu trop bas sur ses jambes. L’instant d’après, elle scruta la salle en levant son majeur en direction du garçon. Par chance, ni Zane ni Vladislav n’étaient là. Levski occupait un nid de serpent. Littéralement. « Dégage ? » demanda-t-elle, rhétorique, petite teigne que même ceux habitués ne cherchaient pas trop et aussitôt, il baissa la tête, attrapant sa cravate aux couleurs de Serpentard et fila dans le couloir, laissant le calme relatif retomber sur ce dortoir. C’était déjà le bordel, ça sentait déjà le fauve. Piaule de garçons, bien entendu. Faisant quelques pas pour trouver le visage inconnu, elle afficha un vague sourire en trouvant celui qu’elle cherchait. A nouveau, la porte claqua. Un autre de moins. Ils s’étaient surement tous donné rendez-vous sur le terrain pour fêter dignement la rentrée… tant mieux.

Sautant sur le lit sans réellement se soucier d’être gracieuse ou délicate, elle s’y installa en tailleur, manquant de peu les pieds du jeune homme qui dormait encore. Tendant un bras, la petite brune flanqua un coup sur la jambe de Lou-Sixte, à travers les couvertures. Elle se manquait bien de ne pas vraiment le connaître, il n’était pas un étranger, ils partageaient trop d’idée pour ça. Au fond, être enfermée à Poudlard pour deux ans de plus n’allait peut-être pas s’avérer si insupportable… pas avec la belle au bois dormant ici présente qui, dans ses lettres, avait semblé avide de pouvoir et de sang. Faire exploser le monde magique en partant d’une de ses fondations, à savoir l’éducation, c’était après tout un plan comme un autre.

Elle flanqua un autre coup, plus fort, tendant ensuite sa main dans la direction du jeune homme. « Lestrange. Ravie. » Annonça-t-elle avec un sourire narquois et amusé alors qu’il émergeait à peine.

Ses rêves étaient agités, le cadre Durmstrang formait un foyer rassurant dans lequel les éléments étaient familiers, Lou connaissait tout dans les moindres détails, mais minute... ce n'était pas son Durmstrang, les visages amicaux étaient flous, les voix qui lui parvenaient ne sonnaient pas justes, de l'anglais ? Pourquoi diable les bulgares auraient-ils commencé à parler la langue de Dumbledore ! Son dortoir était comme il l'avait toujours connu, se dirigeant vers le lit de son meilleur ami, Sixte ne trouva qu'un mannequin sans visage. Les rires moqueurs autour de lui le déstabilisaient et bientôt sa baguette fit exploser les squelettes en bois qui le pointaient du doigt. La fuite s'imposait, enfourchant son balai il décolla pour retrouver un sentiment de confort. Un fantôme qui passait par là le désarçonna, la chute qui en suivit fut longue et l'atterrissage dans son matelas brutal. « Foutu rêve. »

La veille avait été un jour un peu particulier, ceci étant un euphémisme pour dire que Sixte avait l'impression d'être passé sous la patte d'un troll des montagnes. La gueule de bois il connaissait, il maîtrisait le sujet jusqu'au bout de sa baguette. Cette douleur fulgurante et lancinante dans son crâne résultait d'un trop plein d'émotions et de découvertes. Le Choixpeau Magique... drôle d'expérience que de se coiffer d'un vieux chiffons parlant pour décider de son avenir scolaire. L'objet animé avait longuement discuté mentalement avec lui pour en arriver à la conclusion que malgré ses excès passés, il saurait trouver une place digne et irréprochable dans la maison de Serpentard. Irréprochable lui ? L'infaillibilité du couvre-chef était à revoir. La Grande Salle bondée regorgeait de nouveaux visages qui tournaient dans sa tête, les étiquettes de noms qu'il avait mentalement créées ne trouvaient plus leur correspondance. Sixte était perdu. Le néant, il ne connaissait personne.

Poudlard... il était maintenant dans l'école de sorcellerie britannique et il devait s'y faire, les règles du jeu avaient changé, plus de professeur, plus d'écart de conduite. Non il ne fallait pas trop lui en demander, il tenterait de se tenir à distance des enseignants mais le flirt avec l'illégalité était trop bon pour être banni de sa vie. Ce réveil à cinq heures du matin et la confrontation avec l'indéniable vérité, le plongèrent dans un élan de mélancolie profonde, à laquelle il n'était généralement pas sujet. S'adapter ne serait pas facile, Sixte savait qu'il devrait surmonter ça afin de passer deux années dans les rangs anglo-saxons. Le sommeil le regagnait et il s'endormait avec les images mentales de ses deux seules ancres dans cette nouvelle réalité, Alesya et Charles, ses deux correspondants qu'il rencontrait tôt au tard, n'ayant pas su le faire la veille tant l'affolement autour de son arrivée avait été grand. Il supposa avant d'être englouti par les bras de Morphée, qu'elle aurait moins de mal à le trouver que lui.

L'agitation qui régnait dans le dortoir ne le gênait pas, l'ambiance fiesta dès le réveil, il connaissait, la langue qu'il comprenait sans peine réveillé lui paraissait un brouhaha inabordable, la concentration était la clé de voute de son entrée dans le monde magique anglais. Il se complaisait dans le sommeil aussi quand le chahut baissa sensiblement il replongea immédiatement dans le coma sablonneux des rêves. Un choc se produisit sur son lit, rien d'embêtant probablement un pantalon, puis sur sa jambe, sa cuisse, si près de son jouet préféré ! Diantre qui osait ? Ouvrant un œil il entrevit une main tendue. « Lestrange. Ravie. » ah oui ? C'était elle ? Pour l'instant il ne voyait rien de cette jeune fille sinon sa silhouette. « Levski, satisfait. » Oui il l'était maintenant que ses yeux s'habituaient à la luminosité il la distinguait clairement. Sixte aimait la magie plus que tout au monde, aussi sa baguette ne le quittait jamais. D'un coup dans les airs les rideaux du baldaquin tombèrent, hissant entre eux et le reste de l'assemblée une barrière. « Laisse-moi le plaisir de pouvoir me vanter de t'avoir attirée dans mon lit dès le premier jour. » Un petit sourire sur les lèvres se dessinait.

Elle était là, celle en qui il fondait ses espoirs. L'Ombre Britannique lui ouvrait les bras, après avoir été l'un des leaders de la branche bulgare, avoir en face de lui l'une des têtes pensantes de son homologue était un soulagement. Pour la première fois depuis son arrivée, il se sentait chez lui. Ce sentiment de pouvoir s'accrocher à elle sans pour autant la connaître réellement. « Mettre un visage sur cette plume n'est pas si désagréable. Alesya vient il y a de la place pour deux. » Sixte se poussa et fit une place sous la couette à sa nouvelle camarade.

Il n'y avait aucune ambiguïté, il avait confessé la raison de son arrivée, de son transfert, à la vipère. Et puis être assis côte à côte leur permettrait de briser les barrières qu'avait créé la correspondance. Ils avaient beaucoup de choses à discuter, beaucoup de sujets à aborder, beaucoup de plans à élaborer. Quelques ignominies à éliminer. Ensemble ils règneraient sur le monde. Un jour.

Vraisemblablement, il lui fallut quelques secondes pour sortir des nimbes du sommeil dans lequel il avait été plongé avant qu’elle ne le dérange, mais une réponse ne tarda pas. « Levski, satisfait. » lança-t-il, ignorant la main tendue de la jeune femme mais tirant sa baguette pour jeter un sort autours d’eux, fermant les baldaquins de son lit et les isolant ainsi du monde. En guise d’explication, il déclara : « Laisse-moi le plaisir de pouvoir me vanter de t'avoir attirée dans mon lit dès le premier jour. » et Alesya lui rendit le sourire qu’il affichait. « Mettre un visage sur cette plume n'est pas si désagréable. Alesya vient il y a de la place pour deux. » ajouta-t-il en faisant mine de s’écarter un peu.

Elle allait répliquer lorsqu’une voix se fit entendre dans la chambre. Entre l’accent et la tonalité, elle reconnue rapidement un de ses camarade de classe, le dernier membre de cette chambrée qu’elle avait, clairement, oublié de compter. A l’évidence, il avait dû entendre la conversation, probablement depuis le cabinet de toilette dont il sortit, claquant la porte derrière lui et traversant la chambre des garçons de sixième année de Serpentard. « Foutre Alesya dans son plumard, ça ne relève pas vraiment du défis » lança-t-il, dans un léger rire. Elle aurait pu prendre la mouche, s’agacer mais étonnement, elle était de bonne humeur « C’est pour ça que tu n'y es pas encore arrivé, Nick, pas vrai ? » répondit elle simplement, tirant à son tour sa fidèle baguette et arquant son bras pour jeter un sort qui, bien vite, entraina le dénommé Nick à jurer en la traitant de garce sans réellement le penser. Evidemment, il quitta bien vite la pièce alors qu’une nuée de chauves-souris conjurées par la demoiselle, laissant la jeune femme seule avec celui qui, depuis des mois, recevait et répondait à ses lettres.

Ce n’était pas vraiment un confident, plus un allié venu de loin, un ami qu’elle n’avait jamais rencontré et avait pourtant l’impression de connaître mieux que certains de ceux avec qui elle avait pu grandir. Elle pensa à ce qu’il venait de dire avant de l’inviter à venir se mettre au chaud, avant de tirer la couette pour contrer les effets des cachots un peu trop mal chauffés où dormaient les Serpentards. Mettre un visage sur une plume. Mettre une voix sur les mots qu’elle avait pu lire. Mettre un regard déterminé sur les idées qu’ils semblaient partager. A nouveau, elle afficha un sourire avant de froncer les sourcils. Ils se connaissaient, oui, et elle savait pourquoi il était à Poudlard. Elle était surement la seule, pour le moment, d’ailleurs. Soufflant un instant, elle l’observa, ayant encore du mal avec l’idée. Ses principes, elle les tenait de son père, de cette éducation un peu trop stricte qu’elle avait pu recevoir et elle n’avait jamais eu à les remettre en question. Elle avait mis presque une semaine à répondre à la lettre où il avait annoncé préférer les garçons, quand d’ordinaire une missive partait dans la soirée suivant la lecture. Surement trop intolérante pour ne pas tiquée, elle s’était montrée un peu trop sèche surement et plus le temps passait, plus elle en avait honte, de cette réaction. C’était plus fort qu’elle, pourtant, elle apprenait à peine à accepter ce genre de notion, trop conventionnelle.

Et pourtant, elle avait fait une exception pour Skyler.

Elle n’était pas pudique, elle n’aurait pas dû réfléchir, simplement se mettre au chaud. Et elle finit par le faire, se fichant de ce que Nick avait pu dire, de cette réputation qu’elle pouvait avoir, de ses préjugés. Elle était de bonne humeur, assez pour déclarer, alors qu’elle bougeait pour venir glisser ses jambes sous la couette « Je prendrais très mal n’importe quel geste déplacé », saisissant un oreiller et lui en flanquant un coup, parce que quelque part, s’ils n’avaient jamais trainé ensemble, elle se sentait déjà à l’aise, ou presque, et ce en dépit de la difficulté avec laquelle elle parvenait à faire confiance. Le nouvel arrivant avait des passe-droits et il ferait jaser, elle pouvait déjà le prédire. L’avoir dans son camp était une très bonne chose, définitivement. « Alors, cette première nuit à Poudlard ? » demanda-t-elle en gesticulant, le temps de se caler correctement.

La nouveauté peut être la plus excitante des choses, parfois elle l'était. Comme en ce moment où, pour la première fois depuis son arrivée, il se sentait appartenir à quelque chose de plus grand qu'une chambrée. Lou-Sixte... ah il n'était pas un tendre, ni un facile à vivre. Combien de camarades de chambres avait-il fait partir dans d'autres dortoirs à Durmstrang ? Il n'aurait su les compter sur les doigts de ses deux mains. Aussi le simple fait de réintégrer une sorte de fratrie de jeunes adultes, n'était pas pour le ravir. Surtout que... contrairement à son école bulgare, ici il ne ferait pas la loi facilement, il avait réussi la veille à jouer sur les sentiments d'un idiot pour obtenir le lit du fond de la chambre, le plus isolé. Le Levski restait un garçon secret et l'effective existence de l'Ombre à Poudlard ne ferait pas de lui une pipelette dont les informations couleraient comme l'eau du ruisseau va à la mer.

La nuée de chauves-souris n'était rien en comparaison avec ce qu'aurait voulu faire Lou à ce garçon irrespectueux. Il ne connaissait pas spécialement la réputation d'Alesya et s'en fichait. Il lisait en elle, presque littéralement, il avait le sentiment de la comprendre assez instinctivement. Sa cohabitation avec les garçons ne serait certainement pas évidente, mais il trouverait le moyen de s'intégrer, ou de leur faire courber l'échine. Le choix leur reviendrait, accepter gentiment sa personne ou être soumis à sa personnalité. Alesya ne s'attardait pas sur les événements, bientôt elle entrait dans ses draps, amusante et gracieuse, lui flanquant un coup de coussin au passage. Geste à la fois amusant et marquant leur complicité instantanée. Sa remarque suivante l'aurait refroidi, vivement, s'il n'avait déjà pas eu l'occasion de se faire à l'idée que la Lestrange et l'homosexualité n'étaient pas des amies de toujours. Elle l'acceptait autant que faire se pouvait et il respectait ça, et c'était pour ça qu'il ne se permettrait pas de la chatouiller sur ce sujet, pas avant qu'ils aient créé de vrais liens.

Elle l'interrogeait sur sa première nuit à Poudlard, en toute honnêteté elle n'aurait pu être pire, entre ses rêves, ses camarades qui avaient fait la fête une partie de la nuit sans lui accorder la moindre attention -à son grand bonheur-. Une nuit courte et agitée, voilà ce qu'il avait vécu. Mais sa réponse, comme toujours, serait probablement plus élaborée. Comme toujours... Véritable moulin à parole quand il était en confiance, Sixte avait emmagasiné quelques milliers de mots ces vingt-quatre dernières heures. « Oh... tu sais ce que c'est. Je n'ai parlé à personne, je n'ai rien demandé à personne. J'ai savouré ma solitude ! Je pense que je ne te surprendrais pas en disant que j'ai eu un arrière-goût de nostalgie en voyant cette euphorie quand les membres de la famille que j'avais créé à Durmstrang et au sein de notre organisation, mais après tout, j'ai mérité mon sort. Et toi, ta nuit ? Tu as renoué avec un amant ? des amis ? ou mieux... des ennemis ? »

Les mots avaient fusé de sa bouche, comme un torrent, il était habitué à ces flots, parfois intempestifs, de paroles. Mais avec Alesya il ne pensait pas déranger, cette première entrevue ne serait pas facilement dérangeable. Sixte avait pour la jeune fille une affection toute particulière, une attirance étrange -purement platonique évidemment- qui lui rappelait les images décrivant l'amitié dans les livres qu'on lui lisait enfant. Ensemble ils franchiraient des montagnes, retourneraient le monde magique et l'asserviraient. Ils en avaient tous les deux les moyens et l'ambition.

Son regard se perdait dans les boucles de la jeune femme. Troublant d'avoir une fille dans son lit, la dernière fois que ça lui était arrivé... ça remontait à la dernière fois qu'il avait tenté de se convaincre que peut-être une part de son être pouvait aimer les femmes. Sans succès. « J'espère que tu n'es pas déçue, je veux dire après tout... tu aurais pu imaginer que je faisais cent kilos de plus et que j'étais albinos ! Tu aurais pu imaginer que je ressemblais à mon camarade Stejn en somme. » Pauvre garçon il n'avait pas eu de chances avec la génétique, il fallait le lui reconnaître ses parents avaient vraiment mal fait les choses. Lou-Sixte Levski était parfois très direct, trop diront certains. Mais il ne voyait pas toujours l'intérêt de se perdre en considération et une conversation palpitante pouvait se mêler à d'autres plus légères. « Quand est-ce que nous commençons ? Ma baguette et moi avons envie de nous divertir, et je pense qu'une première action nette et franche doit se faire quand le fer est chaud, pas toi ? » Un petit sourire entendu posé sur ses lèvres en un sourire sarcastique, voilà le visage que Sixte ne montrait pas à n'importe qui. Alesya ne soupçonnait probablement pas sa chance, mais qu'importait, elle le figurerait bientôt.

Il parlait. Beaucoup. Il parlait d’une façon presque enjouée et même si elle ne pouvait pas être certaine, elle avait l’impression que sous la couche de sarcasme qu’il balançait comme d’autres tiennent des boucliers, il était… content. C’était étrange, comme notion, car Alesya prenait tout en compte dans l’équation. Arraché à ses amis et ses habitudes, il avait été foutu dans un train l’emmenant ici, collé au milieu d’une armée de sorciers bruyants et peu disciplinés ne parlant pas la même langue que lui. Elle ne connaissait pas Durmstrang mais elle en avait assez entendu parler pour se douter que, contrairement aux élèves de Poudlard, les jeunes se rendant dans l’école Bulgare n’étaient pas vraiment encouragés à se prendre aux filets à bagages, dans les cabines, en hurlant comme des abrutis. Poudlard était une école trop libre, depuis la guerre. Ils étaient devenus doux, passifs, fainéants peut-être et la nouvelle génération faisait n’importe quoi sous la coupe permissive de ces hippies-à-baguette persuadés que plus aucun danger n’était à craindre. A quoi bon apprendre le sérieux et les arts les plus efficaces sur le plan martial, après tout ? Elle retint un sursaut de rire dédaigneux et sardonique. Tant pis, ou tant mieux. Cela rendrait la tâche plus aisée, le pouvoir ne serait que plus facile à reprendre.

Perdue dans ses pensées, elle réalisa qu’elle l’observait encore à moitié et qu’il souriait à présent. Il lui avait demandé si elle était déçue de cette rencontre, enchainant trop vite pour qu’elle ne puisse répondre. Elle venait de le réveiller en sursaut, cheveux en vrac et pyjama douteux compris. Déçue n’était pas vraiment le mot, parce qu’elle n’était pas non plus des plus présentables, c’était le moins que l’on ait pu dire. Elle restait une enfant semblant grognon et en vrac le matin, en dépit de son âge, en dépit de cette alliance qu’elle portait, l’air de rien, au doigt. L’espace d’un instant, elle se surprit à plaindre Ezechiel, qui devrait se réveiller à côté de ça pour le reste de ses jours mais elle fut bien vite détournée de cette idée alors que Lou-Sixte semblait s’impatienter, parlant de plan, des manigances… Presque aussitôt, elle fronça les sourcils, prenant un air sévère l’espace d’une seconde, assez longtemps pour lui intimer le silence d’un « Chut » pressant. Bougeant un peu, elle tira sur le rideau du lit à baldaquin, jetant un coup d’œil à l’extérieur. « On ne parle pas de ça ici, c’est trop risqué, tous les Serpentards ne sont pas encore ralliés et à vrai dire, certains n’ont pas leur place dans nos rangs… » aussitôt, elle put mentalement peindre les visages d’une bonne dizaine d’imbécile. « Soit tu patientes, soit tu jettes un sortilège pour nous isoler, les risques inutiles ne servent à rien… » et la paranoïa sembla prendre le dessus pendant une seconde. Elle souffla, pourtant, cherchant à retrouver sa belle assurance. Il le fallait. Elle avait un an pour prendre le dessus sur tous ses doutes, un an pour apprendre à mener avant que Rohàn ne s’en aille, car il était tout bonnement hors de question que quiconque d’autre qu’elle ne soit à la tête. Les Lestrange avaient un droit au pouvoir qui, trop longtemps, leur avait été usurpés et elle comptait bien y remédier. Une année scolaire, dix mois pour devenir glaciale, austère, efficace, pour ne plus rien laisser au hasard. Elle inspira profondément, se surprenant à prier pour que la pression devienne plus supportable.

C’était pour ça, au fond, qu’elle avait besoin d’alliés. Besoin de gens qu’elle pouvait croire, à qui elle pouvait faire confiance. De jeunes sorciers talentueux et déterminés, des gens la comprenant… dernièrement, cela se faisait réellement rare, d’ailleurs, car Ezechiel prenait de la distance avec toutes ces histoires de revanche. Il était différent, plus calme, plus réfléchit… c’était surement pour ça qu’il ne partageait pas le dortoir de Sixte, d’ailleurs, pour ça qu’il était en sixième année à Serdaigle et non-Serpentard… Définitivement, elle aurait besoin de gens près d’elle et l’arrivée du bulgare la soulageait. Elle le connaissait à peine et pourtant… pourtant ils se ressemblaient, pourtant elle avait l’impression de pouvoir prédire ses réactions, pourtant elle avait envie de lui accorder sa confiance, chose qui n’était pas évident. Alesya Lestrange était une amie loyale et dévouée mais encore fallait-il gagner son amitié. Secouant un peu la tête, elle chassa toutes les préoccupations qui, en temps normal, lui auraient fait serrer les dents. L’année commençait à peine, elle avait une année entière pour se débrouiller, pour grandir, pour récupérer les rennes et éloigner Rohàn, ce traitre qui lui servait de frère… tout irait bien, elle se le répétait, du moins.

Elle bougea un peu et se retrouva à tirer sur le bras du jeune homme, s’arrangeant pour qu’il le passe dans son dos, geste voulu presque innocent. Alesya n’était pas tactile. Personne n’aurait pu le deviner tant sa promiscuité avec la gente masculine était à présent notoire mais cela ne changeait rien à sa nature. Elle n’était pas du genre à s’approcher, à réclamer des contacts, plutôt solitaire quoi que toujours entourée, bien dans sa petite bulle. Elle était venue se lover contre cet ami qu’elle venait à peine de rencontrer, pourtant, après des mois de correspondance. « J’suis fatiguée, en plus, j’ai passé une partie de la nuit dehors pour vérifier que les passages et les installations n’ont pas été abîmés pendant l’été… » déclara-t-elle finalement, en guise de réponse au trop plein d’engouement. Il aurait de l’action, juste… pas immédiatement.

Etrangement, elle oublia d’omettre les raisons de ses vagabondages nocturnes. Avait-il vraiment besoin de savoir qu’elle fuyait la moitié de ce dortoir et une bonne partie des autres élèves de leur maison ?

Le bruit dans le dortoir aurait pu être gênant, il l’était en fait, mais Sixte n’était aucunement dérangé. Les rideaux tombés, clos, il se sentait isolé. Cette séparation métaphorique plus que réellement physique lui suffisait pour se sentir en sécurité. Et pourtant, voyant la réaction d’Alesya face à son évocation à peine voilée de l’Ombre le bulgare comprit. Il comprit que le terrain n’était pas aussi sur qu’il l’aurait pensé. A Durmstrang son dortoir était composé de garçons tous enrôlés dans l’association de malfaiteurs en herbe. Cette réaction de la Lestrange le laissa dubitatif un instant. Qu’en était-il vraiment de l’avancement des choses à Poudlard ? La question méritait d’être posée et il le ferait, Sixte n’avait aucune gêne à être franc avec Alesya. Ce n’était pas de la fierté mal placée, ce n’était pas non plus de l’orgueil ou de la désapprobation, mais il ne pouvait s’empêcher de comparer l’Ombre bulgare à l’Ombre britannique. Ce qui lui paraissait le plus étrange dans toute cette situation restait le fait que cette école avait vu grandir l’un des mages noirs les plus puissants et que les élèves qu’il côtoyait aujourd’hui étaient les enfants des disciples de ce dernier… Il aurait cru l’organisation bien plus développée, bien mieux organisée, en somme plus proche de ce qu’ils avaient réalisé à Durmstrang.

Doucement il pointa sa baguette vers Alesya. Il n’y mettait aucune animosité, de sorte qu’elle ne se sente pas menacée. [color=teal] « Bulgarski vulgarni. » laissa-t-il échapper. Pour eux rien n’avait changé, pour ceux les oreilles mal intentionnées ou simplement curieuses qui auraient voulu écouter aux rideaux en revanche tout serait différent. La voix douce de la jeune fille sonnerait comme la voix d’une fille de l’Est et les mots qui sortiraient de ses lèvres voluptueuses seraient dans un bulgare parfait. Lou ne prenait pas trop de risque en lançant un sort aussi simple. Il supposait que personne dans ce dortoir ne parlait bulgare après sa petite expérience anthropologique de la veille. [color=teal] « Voilà, nous pouvons parler en toute tranquillité, ne t’inquiète pas les effets de ce sortilège disparaîtront au moment même où tu te lèveras de mon matelas. » Avec un petit sourire il décida d’enchaîner rapidement avec sa question, elle lui brûlait les lèvres depuis quelques minutes et ne pas savoir le rendait quelque peu dingue. « Kazhi mi vsichko , kolko chlenove imate? Iskam da kazha, polezni chlenove, a ne, pushechno meso. Kakto mozhete da vidite , che ne sŭm mnogo tŭrpeliv kato momche. »* Voilà ce qu’aurait entendu une personne indiscrète. Quant à Alesya elle avait très bien compris le sens de sa question, en fait elle ne s’était probablement même pas rendu compte qu’il avait parlé en bulgare, les joies de la magie étaient tellement infinies.

L’ambition au sein d’un groupe hétéroclite était une chose très complexe avec laquelle il fallait savoir gérer. Lou-Sixte était clairement un homme d’action, un homme de stratégie et un homme d’ambition. Cependant il n’avait pas nécessairement l’âme d’un leader, ou du moins il n’en avait pas le désir de la revendication. Cette façon de voir la vie était totalement paradoxale, car au final il ne visait qu’à régner sur une partie du monde. Le jeune Levski n’avait pas intégré l’Ombre sans raison. Devenir le Mage Noir suprême… très peu pour lui. Il comptait rendre au monde magique un service magistral en devenant Empereur. Pour l’instant sa seule ambition était de devenir un Lieutenant, son Lieutenant. Alesya était une femme de pouvoir il le sentait. Cependant elle n’était qu’en formation, pas encore aboutie, parachevée. Ces deux années qu’ils auraient à leur disposition ne seraient pas de trop pour lui donner la carrure qu’elle méritait. Sixte l’y aiderait autant qu’il pouvait. Être son second ne le dérangeait pas, il œuvrait pour qu’elle puisse voir son destin se réaliser. Désintéressé ? Ne rêvez pas. Dans le monde magique comme ailleurs un service en appelle un autre. Et c’est parce qu’il ferait d’elle une reine qu’elle lui rendrait la pareille en l’aidant à s’asseoir sur le trône de Bulgarie, à la tête de Durmstrang.

Reprenant part à la conversation qu’Alesya venait de relancer en répondant à sa question au caractère nocturne. « I sŭorŭzheniya ne sa postradali tvŭrde mnogo ? » ** avant d’ajouter presque immédiatement « Sledvashtiyat pŭt, kogato se nuzhdayat ot pomosht , mislish za men. Az ne sŭm mnogo populyaren kato moite sotsialni deĭnosti sa otnositelno malko. » *** Son excitation à l’idée de reprendre du service commençait à renaître, en même temps que mourrait son ennui. Alesya était vraiment une fille intrigante et, même si l’avoir sous son bras n’était pas désagréable, Sixte ne put s’empêcher de penser qu’aucune fille n’avait jamais été aussi proche de lui. Si vite, si proches… ces deux là se sont bien trouvés.