Est-ce une chance que de naître parmi ces monstres ? Ton premier cri suffit à ravir les oreilles des alentours, enthousiasme cette mauvaise troupe. On t’offre un prénom, une chance de vie, de survie… Seulement si tu te montres à la hauteur de ces attentes précises. On attend que ton regard s’ouvre définitivement, que tes prunelles si précieuses observent le monde avec le regard méritant, auquel cas, ta place n’est pas ici et il te faudra faire preuve d’indulgence envers les pauvres hères qui t’entourent. Ton nez sent bien des odeurs, mais celle qui te revient le plus souvent est sauvage, ferreuse… Mélange boisé et d’hémoglobine. Tu t’en imprègnes, ton innocence est déjà happée dans cette violence nécessaire. Et tu grandis, ton regard se transforme chaque jour, herbe savoureuse ou glace d’hiver, il te faut choisir, mais tu ne parviens à te décider… alors tu prends les deux, gourmandes, et c’est le bon choix que tu fais. Les hurlements te parviennent, la joie. Tu viens de gagner ta place au sein des monstres. Mais ce n’est rien d’autre qu’un titre insignifiant : tu n’as pas fini de faire tes preuves. Ton attention se fait plus accrue, sans doute à cause de cet œil bleu dont la légende raconte que c’est l’œil d’Óðinn. Puis tu deviens toi aussi un monstre, dès lors que ton corps se voit doté de la capacité de supporter la douleur de tes os qui se brisent, se transforment. C’est le vert de ton autre œil qui te permet de voir l’au-delà, cet autre monde, sous une autre forme. Mère Nature t’a dotée d’un tout autre pouvoir, que l’astre lunaire seul peut éveiller. Ta douleur est sans pareille, elle n’en est pas moins salvatrice, et tu l’oublies vite sous cette liberté ressentie. Te voilà monstre tapie sous une bien belle enveloppe, et je sens ton cœur qui se partage, se pare d’une cape de douceur teintée pourtant de la sourde colère de ton peuple. Es-tu dès lors Courroux ou Bienveillance ?



« Encore et toujours en train de lire Mhäav… N’as-tu rien de mieux à faire ? » C’est à peine si je lève le nez mon livre. Mon aîné n’entend rien à la culture, n’entend rien à rien de toute évidence, si ce n’est cet aspect lupin qu’il revêt durant les nuits de pleine lune. On ne peut le blâmer le pauvre, du haut de ses quinze ans, il n’est que masse de muscles, avec pour cerveau un hamster dans une roue, qui tourne et tourne seulement pour faire avancer cette carcasse. Entendons-nous sur un point : je ne hais pas mon frère, j’ai même tendance à l’aduler, n’en demeure pas moins que son attitude m’exaspère. Tout comme en cet instant où sa main se referme sur mon livre pour me l’ôter, attirer mon attention. Il a gain de cause, je ne peux que braquer mon regard vairon sur lui, remontant finement les lèvres pour lui gronder après. Je suis enfant encore, à peine âgée de dix ans, mais j’entends ne pas me soumettre à ses quatre volontés. « Ouh, voilà le louveteau qui montre les crocs. J’ai peur. » Je sais pertinemment où mon canidé de frère veut en venir, il ne vit que pour l’honneur de la victoire, et je suis celle qui doit perdre en cet instant. Son arrogance n’a d’égal que sa stupidité, il lui faut toutefois reconnaître qu’il est le digne fils d’Ulaf Ó’Dubhda, et sans conteste son héritier. Quant à moi, je tiens plus de notre génitrice Gentraige, de son besoin de savoir. Cela pourtant, ne me suffit pas, je tiens à posséder les deux traits principaux de mes parents. Je n’aspire pas à n’être que la cadette du Wöll-jöfur, je veux plus. Mais pas aujourd’hui, alors que je me lève pour déserter l’endroit, gagner les bois et échapper à mon frère adoré. Oh, il ne l’entend pas ainsi, alors que sa paume se referme sur mon poignet, cherchant à marquer son ascendance sur ma propre personne, la gifle part sans attendre, les ongles griffent sa joue. Je n’ai pas l’intention de plier d’avantage, me débarrasse de sa poigne. C’est à ce moment-ci que les choses dégénèrent, et bien entendu, ce n’est nullement la première fois. Ce n’est pas bien méchant, aurait même tendance à rentrer dans nos mœurs et coutumes, nos traditions. Il faut faire ses preuves lorsque l’on fait partie des Skölls, ces fiers loups à la tendance agressive, violente. J’évite un coup de mon adversaire, mais pas sa poigne, de nouveau à sa merci. Le but n’est pas de faire mal, ce n’est qu’un jeu de louveteaux, au pire m’en sortirais-je avec quelques bleus, rien de bien grave néanmoins.  Mon pied s’abat sur son tibia, l’effet escompté ne tarde plus, alors que nos regards si similaires se croisent. Mes lèvres se retroussent de nouveau, je montre les dents, il en fait tout autant. « Tu penses pouvoir me battre petite louve ? » Pour changer, la situation nous amuse, il sait que je n’aspire pas à la victoire malgré ma volonté, que je ne possède pas encore la force nécessaire pour le vaincre. « Même un lapin saurait te mettre à terre Syvin. » Je le nargue, cela ne changera jamais. D’ici quelques minutes, à force de taquinerie, il se laissera aveuglément prendre à mon jeu. Moi qui ne désirais nullement prendre part à ce jeu idiot, me voilà bien prise dans le piège tendu ! Mes protestations se font entendre sous sa masse, j’étouffe, lutte pour me débarrasser de mon aîné. En vain. La colère me gagne, tout autant que l’inquiétude : je me sens oppressée, écrasée, d’ici peu, il pourrait bien finir fils unique… Voilà la panique qui me gagne, mon sang qui bouillonne, mes angoisses franchissent les pores de ma peau blanche, j’ai peur. « Mhäav, aïe, arrête !! Aïe !! MHÄAV ! » Les protestations de mon frère m’obligent à ouvrir un œil, puis les deux, ronds : mon frère est en train de se faire caillasser sans qu’il n’y ait pourtant personnes aux alentours. Puis sans crier gare, les cailloux retombent et nous savons tous deux que j’en suis l’instigatrice. Mon aîné se redresse, le visage marqué par le jet de pierres, et m’entoure de ses bras. « Pas trop tôt sœurette. Je craignais que tu ne me rejoignes pas à Poudlard. » Incrédule, je tape mon poing sur son torse, ne récoltant que son rire. « T’es qu’un idiot Syvin ! » Oui, il le sait, mais déjà m’entoure de son bras, l’accolade fraternelle. « Ouais, je sais. Si tu dis à papa que tu m’as battu, je te fous une raclée digne d’un Sköll, t’entends ? » Tss. Crétin des bois. Mais c’est là notre secret… De toute évidence ce combat n’était pas loyal.



Je souffre, mon souffle se fait court puis se coupe brutalement alors que je retiens à grand-peine un hurlement de douleur. Ce n’est pas la première transformation, néanmoins, elles sont toujours aussi pénibles. Je peux sentir mon cœur qui s’affole, mes os qui se brisent un à un au profit d’une nouvelle carrure. Je ne me sens pas en sécurité ici, ce n’est pas chez moi, sans doute est-ce ce qui accentue ma douleur, ma peine. Ma première transformation au sein de Poudlard, et j’ai peur qu’elle ne tourne mal… Mais je suis une Sköll, la peur ne doit pas m’atteindre, je dois jeter au feu tous les sentiments négatifs qui tournent autour de moi. Ce qui ne les empêche pas de me narguer. Un goût ferreux envahit ma bouche, caresse ma langue… Ce parfum est envahissant, me tourne la tête. J’inspire, laisse mon regard se porter sur le château, au loin. Ma première nuit au sein de cette prestigieuse école restera toujours dans ma mémoire, emplie de bons souvenirs. Comment oublier la rencontre de nouveaux étudiants comme moi dans les compartiments du Poudlard Express ? Le trépignement de joie de mon aîné, les spéculations sur ma future appartenance à l’une des maisons. Je me souviens sans peine l’engouement de mon aîné, son désir de le rejoindre à Serpentard. Et si j’en riais avec lui, mon cœur savait pertinemment que cette maison ne pouvait me correspondre. Je ne peux qu’être mieux dans celle que le Choixpeau a choisi pour moi. Oh combien j’ai attendu de franchir les portes de cette école ! Nouveau craquement, et je sens la souffrance traverser mon corps tout entier. Nouvelle inspiration, je tâche de me détendre. Non loin de moi, je peux sentir l’odeur musquée de mon aîné. Oh comme il se moquerait de moi s’il me voyait dans cet état ! Me voilà en train de couiner sous la douleur. Demain, tout sera terminé, demain, je serai de nouveau humaine, sorcière, baguette en main, prête à me rendre à mon premier cours de la journée. Mais ce soir… Je vais courir, me sentir libérée. Cette pensée se fait salvatrice, adoucie mon calvaire, ne serait-ce qu’un peu. Je sens l’achèvement au bout de mes membres… D’ici peu, ma conscience sera plus animale, je n ‘aurai plus le souvenir désagréable de la peine, et je ne peux qu’espérer qu’aucun inconscient n’aura l’idée de se promener en cette nuit. Un dernier hurlement, et j’entends un écho différent, d’un cri humain devenant animal.




« Freyja, avance je te prie. » Comme toujours, la voix de mon paternel se fait vibrante de dominance. J’ignore ce qu’il attend de moi, néanmoins, ne me fais pas prier pour me diriger vers lui, le regard plein de surprise. Il ne semble nullement en colère, j’ose donc espérer que je ne suis pas en cause de quoi que ce soit. De toute manière, en comparaison avec mon aîné, je suis sans conteste la plus sage. « Assieds-toi. » Une fois encore, je m’exécute, silencieuse. M’ordonnerait-il de sauter par la fenêtre que ma bête et moi-même exécuterions ses ordres. J’observe l’homme qui me sert d’Alpha, de père et de mentor, détaille chacun de ses gestes, devine sans peine qu’il ne sait comment me parler… Dans mon esprit, je remonte les fils métaphysiques qui lient chaque membre de notre meute à mon alpha jusqu’à ce dernier. On ne me surnomme par Freyja pour rien et déjà j’utilise ce pouvoir pour apaiser les angoisses de mon paternel, ce dont je sais, il est déjà reconnaissant. À l’inverse des autres loups de ma meute, je ne suis pas aussi agressive qu’il n’y paraît, bien trop douce, bienveillante, mon seul désir consiste à protéger les miens, veiller sur leur bien-être, et cela commence par apaiser l’Alpha. « Tu n’es pas sans savoir que Loki a prit les rênes de la meute Greyback n’est-ce pas ? » J’acquiesce  d’un signe de tête, le jeune homme ne m’est pas inconnu, ami de longue date, d’enfance, repère indispensable dans ma courte vie. Autant le reconnaître, j’aimais Loki d’une certaine façon. « Il a été décidé que nos deux meutes se devaient d’être alliées, après tout, cela va dans la logique des choses, l’amitié qui lie les Greyback aux Skölls n’est plus à refaire. » Une nouvelle fois, ma tête s’incline, même si je peine à comprendre où souhaite en venir mon paternel. Il ne pouvait être question de mariage de toute évidence, l’Alpha de la meute alliée étant désormais engagé envers l’Écosse. « Où voulez-vous en venir père ? » Finis-je par me risquer. Un soupir, une inspiration, et je sens déjà que mon géniteur souhaite me faire part de quelque chose qui le ronge. « Un pacte. Une alliance forgée dans le sang par l’intermédiaire de sept femmes. Il va de soit que ce contrat aurait un impact bien plus fort si toi, ma fille, tu es l’une de ces femmes. » Cette fois, ma surprise se fait visible. Je connais l’impact de ce pacte, et la nature ne m’en dérange pas le moins du monde, mais plus encore, l’attitude de mon paternel est surprenante, en tant qu’Alpha, il sait que je ne pourrais refuser cet honneur, et pourtant, je sens l’appréhension dans sa voix, son regard. Craint-il que je n’apprécie l’expérience d’une telle implication ? Non, ce qui l’angoisse le plus n’est rien de moins que cette peur de me perdre. « Ce serait un véritable honneur que de faire partie de la meute des Greyback pour le bien des nôtres. » Ma réponse n’est que politique, mon cœur en revanche, est à la fois enthousiaste et anxieux. Ces pactes ne sont pas à prendre à la légère, et leur impact, fort.

Je n’y vais nullement contre mon gré, pas plus que les six autres qui m’accompagnent et partageront avec moi la culture de nos hôtes.  Comme le veut la tradition, nous sommes de blanc vêtues, la teinte que prendra le tissu déterminera la force de notre lien. Nulle question de viol, de massacre ou de sacrifice, rien d’autre que le consentement et le plaisir de la bestialité. Mon regard croise le regard de mon ami, mon futur Alpha. Cette nuit, je serai sienne autant qu’il sera mien. Mes dents attrapent sa peau, transpercent la chair, je m’abreuve de son parfum, me régale de sa présence, étouffe sous son être. Je connais ses besoins, autant qu’il sait ce qui me fait vibrer. La douleur est salvatrice, le parfum du sang embaume ma bulle, et celui de notre échange intime s’y mêle avec langueur. En cet instant, je ne vois nullement cet acte comme une clause de contrat, mais comme un aboutissement de l’amitié que je lui porte, la vassalité de ma loyauté. Mes mains se perdent dans sa chevelure ébène, mon souffle se coupe sous la force de sa mâchoire. Si les rumeurs avaient été vraies, il aurait été le compagnon le plus parfait qu’il existe, mais je ne peux que maudire Merlin et bénir le croissant de lune. Par cette nuit, je sais que ma meute vient d’hériter du lien le plus fort qu’il soit.