« Oh allez, Turner, fais pas chier. Juste une fois. » « Crève, connard. » Un sifflement tiqué et la jeune fille sauta hors du lit. À deux reprises, la sorcière encore imbibée d’alcool manqua de s’échouer sur le sol jonché de fringues. Ses fringues, ses sous-vêtements laissés pour compte dans un recoin du dortoir éteint. Elle souriait en se mangeant les coins de meubles cachés ci et là dans la pénombre, pouffait même parfois, parce-que l’absurde l’avait toujours amusé et parce-que le tableau était bien trop laid pour réellement l’attrister. Aucune poésie dans la perte orchestrée. Aucun reste de chaleur humaine. Blanche baisait les autres comme on l’avait baisée Elle. Elle rodait sans intentions, n’émettait aucune exigence de quelque sorte que ce soit. Les effluves nauséabondes se dégageaient des pores bien incrustés de son Mal, l’haleine était aussi amère que le fiel de sa rancœur, et ça ne dérangeait personne entre ces quatre murs. Il n’y avait pas un rejeton pour réellement se soucier de ses écarts, pas un ami, pas un proche impliqué dans sa petite machination destructrice. L’ingrate creusait plus loin et n’était arrêtée par personne. Jamais.
« T’es gonflée… Te pointer ici et disposer de mon temps comme ça te chante pour me jeter ensuite. » « La ferme, t’es bien content de me trouver à chaque fois. » Libre de dresser un bel et grand doigt d’honneur à l’égard de la vie. Libre de rire ouvertement de son non-sens. Elle n’était peut-être personne, elle n’avait peut-être personne, mais la jeune fille restait maître de sa fin. Elle crèverait comme elle le voudrait, et jamais on ne lui retirerait ça.
« Qu’est-ce qui t’est arrivé au juste ? » Un autre râle, un rien moqueur.
« Je les emmerde tous. » Dressé sur toute sa hauteur, à demi rhabillé et les prunelles fixées sur une nuit menaçante, le serpent crachait une fois de plus. Contre soi-même, contre un monde sectaire qui n’avait jamais voulu l’intégrer. Il faisait pleine lune au dehors, pour ne pas ajouter à ses angoisses nocturnes.
Un halo narquois transperça la pièce, éclaira les faiblesses d’esprit ; chaque ecchymose, chaque punition nacrée ou encore fraîche sur la chute de reins bien trop frêle et à peine féminine. La chair rougie, soigneusement choisie, brillait à l’inclinaison d’un poignet, d’une aine encore nue, et Blanche ne ressentait guère de honte à l’exposer. Elle ne le faisait pas consciemment, ne se cachait pas non plus. C’était comme ça. C’était la réinitialisation d’une vie. Il fallait faire avec elle ou ne pas faire du tout.
« Blanche, tu sais, je t’aime plutôt bien… C’est vrai, ça fait combien de temps qu’on fait ça exactement ? Tu pourrais dormir ici. » « T’es con. » Moue contrite. Hochement de tête frénétique. Non. Juste non. Elle souriait toujours mais se hâtait, pressée de sortir de cette pièce où l’air devenait un peu plus irrespirable à chaque seconde. Une clope au bec, alors que des doigts tremblants tentaient de reboutonner le jean troué.
« Vraiment, t’es pas obligé de faire ça. » Pas de considération, pas de sentimentalisme putride, et pitié, pitié… aucune histoire de respect et de dignité. Les idylles étaient franchement dépassées.
« Je n’suis pas une de ces petites reines à marier. Nos moments sont sympas mais ça s’arrête là, trouve-toi autre chose qu’une bâtarde à satisfaire, je suis loin d’être un bon parti. » Secs et détachés, les mots tombaient sans crier garde.
« Oh là. Qui a parlé de te marier ? » Sourires entendus. La sorcière respirait un peu mieux.
« Quoi, me dis pas que toi aussi tu rêves du beau et grand Prince Charmant ? » « Qu’est-ce que t’es con. » Un vêtement s’échoua soudain sur le visage de l’amant un peu rieur, quand la belle se frayait un rapide chemin hors de la chambre.
« Au fait, moi c’est Lulla. »Pas Blanche. Lulla. Lullaby, comme cette berceuse à laquelle il me comparait autrefois, quand je suffisais encore à l’apaiser. Quand la bête n’était pas.
Il paraît que la haine est une émotion saine, et que par conséquent, la ressentir signifie que l’on n’est pas totalement perdu. Il faisait pleine lune au dehors.
Pleine Lune. Oh Greyback, fils de pute, je te hais. Tu n’peux pas savoir comme je te hais.
« Un jappement bestial. Des crocs, des membres déchiquetés, un peu de chair suintante. Du sang, la Mort, leurs cris… Les conneries habituelles. » Elle avait fermé les volets, pressante, car sans qu’elle ne puisse posément l’expliquer, la sorcière ne supportait pas de voir un ciel lunaire comme celui-ci. Pas alors qu’elle énumérait les frasques horrifiques, pas après avoir transpiré ses craintes dans leurs draps communs. Cet astre fièrement dressé. Il hantait jusqu’à sa réalité. Il la défiait et elle ne le supportait plus.
« Je n’saurais pas t’dire à quoi cette foutue bête fait référence, j’ai jamais cherché à interpréter mes cauchemars avant aujourd’hui, mais sa présence constante doit bien vouloir signifier quelque chose, non? » Doucement, l’adolescente vint se rassoir sur le lit défait du Serpentard.
« Je veux dire, je suis une sorcière, je suis peut-être plus apte à capter certaines choses à ce sujet maintenant que j’ai vieilli…» Assise en tailleur, elle s’était tournée pour lui faire face. Un rien fragile, exposée de la sorte, mais peu lui importait tant qu’il s’agissait de Lui pour recueillir ses confidences.
« Tu trouves ça stupide, pas vrai? Tu ne penses pas qu’ils aient pu être tués par un monstre? » Silence. Cela faisait un moment qu’il ne causait plus, mais Blanche n’intervenait pas. Elle composait avec l’absence de réactions depuis quelques temps. Elle encaissait la distance et les commissures fermées, les rides contrariées sur le front de son ami qui se renfermait et se recroquevillait sur lui-même à mesure que les jours défilaient sous leurs yeux. L’écart entre Eux se creusait sans qu’elle ne puisse rien y faire. Elle le sentait lui filer entre les doigts et ça la crevait sur place. Ça la crevait sur place, putain.
« Loki… » Brisée, comme sa voix à cet instant, Blanche vint se blottir un peu plus contre le torse nu de son ami et amant, espérant au plus profond d’elle-même qu’il ne la rejetterait pas. Pas encore. Pas cette fois. Mais c’était sans compter sur l’impulsivité du dandy qui, déjà, s’était relevé très loin d’elle et commençait à se rhabiller.
« Tu fous quoi, là? » La fuite adverse, elle lui laissait chaque fois cette trace acide au creux de la poitrine.
« Greyback, je te cause. » L’appellation patronymique trahissait la colère qu’elle sentait monter en elle, et qui exploserait sûrement en plusieurs éruptions dévastatrices de reproches.
« Me fais pas le coup du mec qui détale en pleine nuit, pas à moi. Je me fiche de tes élans de tendresse, je demandais juste un minimum de retour. » « Je sors. » Un saut, dément, agressif, comme piqué d’instinct par la réponse vide d’intérêt, et deux petits poings s’échouèrent sur la charpente musclée du grand méchant Loup. Bien sûr, elle ne le touchait pas, ne lui faisait même pas mal au fond, mais l’idiote s’en fichait. Elle continuait d’asséner les coups en grognant à quel point il pouvait être con et à quel point elle le détestait. À quel point elle le haïssait de la faire se mettre dans cet état, à quel point elle le détestait de la larguer comme un vulgaire paquet - parce-que c’est ce qu’il était en train de faire, pas vrai, il la larguait comme on larguerait un poids qu’on ne saurait plus porter sur soi, il la laissait en arrière pour avoir plus de place tout autour de lui pour avancer – ô elle le haïssait tellement.
« C’est ça, connard. T’as raison, casse-toi. » Stupide. Démunie. Aimante.
Mais bien trop fière pour le supplier de rester…Ca y est. Je plane. Au premier abord, tout semblait plus supportable. Le cœur s’essoufflait, et Elle, gémissait la douleur extatique, les abysses exquises du vice que lui renvoyaient l’impression délicate et délicieuse du myocarde dépecé. Blanche accusait ; les vagues, puissantes, qui la dévastaient, faisaient tanguer le monde tout autour d’elle. S’en suivait généralement le linceul de larmes, acide, souvent incontrôlable, qui chaque fois lui brouillait la vue et l’empêchait d’imprimer les traits adverses pendant l’étreinte. L’adolescente, handicapée sentimentale, était incapable de profiter des soupirs, chauds et impériaux dans la sauvagerie de l’instant partagé. Incapable d’encaisser sa propre lucidité dans l’échange. Pupilles dilatées. Substances opiacées. Collision des corps. C’était presque devenu une équation vérifiée. Une liste un rien fâcheuse de facteurs indissociables.
Les rouages n’étaient plus huilés correctement et la camée riait aux éclats. Oui, à s’en décrocher la mâchoire, la pauvre fille riait de sa tragique et de sa dépendance.
Au fond de l’encéphale, les voix railleuses y allaient de leurs petits commentaires. Et les sarcasmes plein d’esprit ne cessaient jamais vraiment. Comme elle était triste. Comme ils avaient honte. Si seulement elle se voyait.
Allez vous faire foutre. Et quel spectacle pathétique. Pourquoi faisait-elle tout ça? N'était-elle pas consciente du mal qu'elle s'infligeait?
La ferme. La ferme putain, la ferme. La bile lui narguait la gorge et il aurait fallu triturer la cervelle de ses phalanges usées et rongées de poudre pour la soulager. Pétrir la substance vitale jusqu’à ce que tout la quitte. Jusqu’à ne plus les entendre. La douleur était trop vive, insupportable, elle la tannait et épousait chacun de ses pores, chaque cellule transpirante et infestée des cauchemars sanglants. L’étau contre le crâne n’y changerait rien. C’était insupportable. On la crevait et il fallait que ça cesse. Il fallait que ça se finisse. Bang-bang interminable, un coup de perceuse pile entre les deux yeux ; le sonneur de cloche derrière les tempes marquait le retour des emmerdes.
Putain, j’ai besoin d’une dose.Et le même schéma qui se répète. Inlassablement.