Un vide. Il y avait un vide en lui, un vide qu'il n'arrivait pas à combler. Une absence, un cri sans fin, quelque chose qui le bouffait de l'intérieur. S'il se concentrait assez, il pouvait même mettre un nom dessus, mais cela faisait encore plus mal, et il n'essayait plus. Il ne voulait plus, penser, réfléchir, voir, bouger, rêver... A chaque fois que leur discussion lui revenait en tête, il se ruait vers la salle d'eau la plus proche pour se plonger la tête dans un lavabo rempli d'eau glacée, quitte à avoir les lèvres violettes, les yeux rouges, et l'air d'un mort vivant, d'un chien battu. Il fallait la morsure du froid pour lui arracher toute pensée et le faire se sentir... pas mieux, mais indifférent, un peu. Calmer le mal par le mal.
Il n'était même plus dans une phase de déni, même plus dans la phase d'acceptation. Il savait très bien ce dont il retournait, maintenant, il ne lui avait pas fallu longtemps, à vrai dire, pour comprendre ce que la tempête qui faisait rage en lui signifiait, pourquoi il était con, pourquoi il avait perdu la meilleure chose qui lui était arrivée depuis longtemps. Il savait ses fautes, toutes ses fautes, il avait suffit d'une discussion avec Lui pour se les prendre en pleine face. Il ne cherchait même plus à les justifier. Avant, oui, avant, il l'aurait fait, mais les choses avaient changé. Oui, les choses avaient changés, bien trop changés.
Une main dans la sienne lui fit relever des yeux assombris par la douleur, ne répondant plus aux stimuli que parce qu'il avait été éduqué pour donner le change en public. Il pouvait remercier son père, pour le coup, sans quoi il aurait été la parfaite proie de n'importe quelle personne souhaitant lui régler son compte. Il pouvait parler, dire deux ou trois répliques acerbes, réagir aux dangers, suivre les cours... comme il l'avait fait plus jeune à chaque fois qu'il avait fallu assister à un bal alors qu'il était couvert de bleus. Sauf qu'aujourd'hui, ses bleus n'étaient pas visibles.
Mais ils n'en faisaient pas moins mal.

Morrigan, elle était là. Les entrainant hors du train... ce n'était pas la fin de l'année, pourtant. Le brouillard qui occupait ses pensées se dissipa assez pour qu'il se rappelle ce à quoi il avait signé. Pour faire plaisir à sa cousine. Pour le voir, loin de l'école, aussi. Sans doute parce qu'elle lui avait dit que ça lui ferait prendre l'air. Il hocha la tête quand elle lui dit qu'elle se chargeait du transplanage, lui faisant confiance pour l'amener où elle le voulait. Après tout, elle était sa seule constante.
Une absence de douleur à l'arrivée. Pas de morceaux de corps partis en balade donc. Il vérifia que Morrigan s'en était aussi bien sortie, avant de passer un bras autour de ses épaules, pour la garder près de lui, et la protéger contre des attaques. Ils étaient à l'air libre, après tout, loin du château, des proies faciles... pour les dragons dont il voyait les formes, tout autour d'eux. Qui avait eu cette grandiose idée, déjà ? Il ne se donna en tout cas pas la peine d'écouter ce que le professeur disait. Sans doute la même merde qu'à l'habitude, soyez prudents, blablabla. Ils n'avaient pas douze ans, ils étaient tous majeurs et vaccinés. C'était leur putain de problème ce qui leur arriverait ici.. à croire qu'on les avaient amenés là justement pour faire un peu de sélection naturelle.
Mais toute idée de complot s'envola lorsqu'il remarqua sa silhouette, reconnaissable parmi la masse, comme un coup de poing. Il était là, oui. Et Rohàn crevait d'envie d'aller le voir, de l'embrasser, de le forcer à lui pardonner, à lui parler. Leurs regards se croisèrent alors, quelques secondes qui suffirent à lui faire exhaler tout l'oxygène qu'il avait pu avaler, quelques secondes où sa vision semblait se retrouver dans sa tunnel. Plus rien n'existait autour de lui, tout était noir, il n'y avait plus que son visage, ses yeux. Sa colère et sa déception, et d'autres choses, d'autres émotions que Rohàn ne savait pas lire, ne pouvait pas lire. Quelques secondes avant que Charles ne s'arrache à lui, ne brise le sort, encore, et le laisse sur le carreau. Ses lèvres s'étaient serrées, il avait perdu le peu de couleur qu'il avait conservé ses dernières semaines, et il n'en fallut donc pas plus pour que Morrigan sache ce qu'il se passait. La valkyrie était futée. Trop, peut-être. Détournant le visage pour que ni lui ni elle ne puisse lire l'éclair de rage et d'impuissance qui s'y était glissé, il hocha la tête. Oui, c'était lui. Un gryffondor, un Archer, son Archer... non, plus son Archer, cela ne l'avait jamais été, parce qu'il avait tout foutu en l'air, parce qu'il ne pensait qu'avec sa queue et qu'à détruire, et qu'il n'avait pas le droit à quoi que ce soit de beau dans sa vie.

Il avait Morrigan, quand même. Lui offrant un sourire totalement faux, mais un sourire quand même, aussi brave qu'il pouvait se permettre, il prit la parole, las de toujours tout cacher. « Oui. Ca... ca se voit tant que ça, n'est ce pas. » À se faire arracher tous ses masques, il en devenait surement un livre ouvert. « On peut...je t'expliquerais comment et pourquoi quand on sera rentrés, si tu veux. Tu veux voir quel dragon? » Il pouvait au moins la tenir éloignée de Charles un moment. Peut-être. Parce qu'il ne doutait pas de ce qui trottait dans la tête de sa petite fée, mais ce n'était pas la faute de Charles, ce qui s'était passé. Il était, et il resterait, l'unique fautif.

Ne pas lui dire le nom de la personne qui hantait ses pensées avait peut-être été un mauvais geste de la part de Rohàn. S'il le lui avait dit plus tôt, alors qu'ils n'étaient pas au beau milieu de nul part, sans personne pour réellement se mettre en travers de sa route, il aurait peut-être pu éviter ce qui avait suivi son hochement de tête, éviter l'humiliation de Charles du fait de la surprotection de Morrigan. Mais il ne l'avait pas fait, lorsqu'il avait dévoilé à la jeune femme tout ce qui lui pesait sur le cœur, dans une tentative de protection. Pas de honte, non, il n'avait plus honte, à vrai dire. Honte de quoi ? D'être... d'être bisexuel ? Il n'arrivait pas à se voir gay, à se dire gay, ne savait pas si cela viendrait ou s'il était simplement destiné à rester coincé entre les deux, à ne jamais savoir lequel des deux amours était une passade, n'imaginant tout simplement pas pouvoir être les deux pour toujours. C'était comme être coincé au dessus d'un précipice et ne pas savoir de quel coté sauter. Mais il n'avait pas honte de ses actes. Enfin. Du moins, pas des histoires qu'il avait pu vivre avec ceux qui comptaient. Bien sur, il comprenait que sa relation avec Enoah était choquante, et en se concentrant, il pouvait entrevoir le coté totalement glauque et amoral de ce qu'il lui faisait subir, mais c'était distant, peu important, comparé au fait qu'il avait trahi ainsi la confiance de Charles. Mais il n'avait rien su, il n'avait pas su voir... il s'était voilé la face et désormais, les conséquences de ses actes lui revenaient en pleine tronche. L'obligeant à réfléchir, à se calmer, à arrêter de courir après les nuits sans lendemain, à faire le tri.

Il avait cru réussir à tenir Morrigan, à l’empêcher d'attaquer dés maintenant, et il avait même cherché du regard le dragon qu'elle lui pointait, rassuré par sa présence. Elle était là, elle était réelle et quotidienne, son parfum lui parlait d'automatisme et de routine, ne l'obligeait pas encore à penser, à se faire du mal. Mais malheureusement, il ne put bouger de sa place sans qu'elle ne se dégage, le regarde de ses grands yeux sombres, et ne parte voir le gryffondor. Non.
Une pointe de panique le traversa alors qu'il la suivait, plus lentement, presque hésitant, n'ayant aucune envie de s'approcher de Charles alors que Morrigan devait le menacer, mais ne pouvant à vrai dire pas s'en empêcher. Il crevait d'envie de lui adresser la parole, d'effleurer son bras... hell, même lui attraper la nuque comme il l'avait fait tant de fois, plonger ses dents dans son cou, lui rappeler qu'il était le seul à pouvoir le faire trembler ainsi.. Mais il ne le ferait pas. Ce n'était ni l'endroit, ni le moment, cela risquait de ne plus jamais l'être, et il pouvait simplement observer la scène avec une sorte de détachement qui ne présageait rien de bon. Intérieurement, il criait bien sur au gryffondor de réagir, de faire quelque chose, parce que c'était lui qui lui avait appris à laisser parler son cœur, un peu, c'était lui qui était sensé vivre avec ses instincts, partir au quart de tour.. pas juste offrir un regard las à sa cousine et s'éloigner sans un bruit.

C'était tellement faux, tellement anormal, que Rohàn ne pouvait s’empêcher de serrer les poings, furieux contre lui même. C'était de sa faute si Charles se comportait ainsi, renfermé, sans réponse. Ça, plus Roderer, mais le Lestrange avait encore assez de cervelle pour ne pas rejeter la majeure partie des fautes sur le gryffondor qui venait de réapparaitre, même s'il aurait aimé lui tordre le cou. À cause de lui, Charles s'éloignait, et il pouvait lire dans la ligne tendue de ses épaules et sa démarche saccadée qu'il retenait des larmes. Et il ne pouvait qu'étouffer dans l'oeuf la bouffée qui l'envahissait de le rejoindre en courant et de le serrer contre lui, d'embrasser ses larmes et de le rassurer, parce que ce n'était pas sa place, parce qu'il serait mal recu... parce que même s'il n'avait plus honte de ce qu'il était, il ne voulait pas peindre une cible dans le dos de son ex, il ne voulait pas le voir tomber avec lui.

Alors, il détourna le regard, le laissant à son dragon, le laissant à sa peine. Il ne savait pas ce que Morrigan lui avait dit, il ne voulait pas savoir. Il se permit juste de venir l'enlacer elle, ayant perdu le sourire, pour la trainer vers le dragon qu'elle avait choisi. Qui était, sans doute par hasard, mais il n'y croyait pas, plutôt proche de celui que Charles était en train d'étudier. Il pouvait encore le voir, de profil, écrire quelque chose dans un carnet, et il espérait seulement qu'il relêve la tête, juste une seconde, qu'il lui laisse le temps de s'excuser pour sa cousine, qu'il lui explique qu'il ne lui avait pas menti, qu'il n'avait rien rejeté sur lui, qu'il savait maintenant, qu'il ne le referait plus. Mais au lieu de ça, il fallait être fort et accorder plus d'importance à sa valkyrie. Posant sa tête sur la sienne, comme à son habitude, il soupira, regardant dans la direction de la créature sans même la voir. « Tu sais que ce n'est pas sa faute. » Une simple affirmation. Il lui avait tout dit, après tout. Mais il savait aussi qu'il ne serait jamais en tords à ses yeux, tout comme elle ne l'était jamais aux siens. « Mais merçi. » Merci de prendre ma défense, merci d'être là. « Tu penses qu'on peut l'apprivoiser, cette bestiole ? Elle serait du plus bel effet dans le jardin du manoir, tu ne trouves pas? » Passer à autre chose, détourner l'attention, maintenir les apparences... s'occuper l'esprit pour ne pas revenir toujours et encore au même mantra. Il était vraiment pathétique.

La discussion n'était pas à la hauteur, il le savait, rien de ce qu'il tentait de faire pour cacher son chagrin n'était à la hauteur, de toute manière. Il tentait d'y mettre du sien et de faire sourire Morrigan tout en regardant d'un oeil presque indifférent les reptiles leur faisant face, se demandant comment ils pouvaient se laisser apprivoiser, mettre en cage, par des humains. Bien que la lueur au fond de leurs yeux soit tout sauf affable, ils restaient cloués au sol, dans des enclaves... Rohàn aurait aimé les relâcher et les voir semer la terreur au sein de la population moldue.
Se tirant de ses pensées moroses, il tourna la tête vers le cri du dragon, vers... Charles. Morrigan revint dans ses bras lui qui ne l'avait même pas vu s'en éclipser, et il resserra son étreinte autour d'elle, avant qu'elle ne parle. Ses yeux se fermèrent un moment pour résister, pour ne pas craquer, aussi, et il prit son visage entre ses mains pour effleurer ses lèvres avec les siennes, la remerciant silencieusement. “S'il y a le moindre problème, tu m'appelles, tu le sais. Ou tu les jettes aux dragons.”

Prenant une longue inspiration, il se défit ensuite de sa cousine, traversant les quelques mètres qui le séparait de Charles, l'estomac lourd et l’anxiété jusque dans la gorge. Même si c'était fini, il ne pouvait pas le laisser partir vraiment. Il voulait une autre chance, une vraie chance, et faire des efforts, y mettre du sien en sachant qu'en face il n'aurait que de la sincérité en retour. Il avait besoin, aussi, tout simplement, de lui parler. “Je m'excuse, pour Morrigan. Elle prend toujours mon parti, même quand je suis responsable, et je n'ai pas réussi à l’empêcher de venir. Ne l'écoute pas, d'accord ?” Il ne savait pas trop ce qu'elle avait pu lui dire, mais ce devait être un discours assez proche de celui qu'il servirait lui même à tout mec brisant le coeur de sa soeur. Là, c'était sa voix qui se brisait à la fin de sa phrase, le regardant, son profil pâle et fatigué, les épaules voutées, révant de simplement l'enlacer et lui rendre des couleurs. “And for what it's worth, I'm still... i'm still sorry for what I did to you. To us.” De nous il n'y en avait presque pas eu, et il regrettait ce futur qu'il n'atteindrait plus.

La peine lui dévorait le cœur et la gorge, asséchant ses lèvres et ses yeux. Il n'avait pas la force de se tenir éloigné, pas la force de laisser de l'espace à Charles, il fallait qu'il le voit, qu'il se fasse du mal, qu'il s'impose dans sa vie. Il ne voulait pas lui laisser le temps de se remettre, pas le temps de passer à autre chose, pas le temps.. pas le temps de l'oublier. Mais les yeux rougis du gryffondor lui racontaient la même histoire que celle qui parcourait ses veines. L'oubli était la dernière des choses qui leur traversait l'esprit, mais le pardon n'était pas prêt d'arriver, alors il fallait qu'il continue à s'excuser, jusqu'à ce que cela fonctionne, jusqu'à un miracle, jusqu'à ce que Charles estime que cela suffisait. Rohàn était décidé, était déterminé, parce que même s'il pourrissait tout, autour de lui, ça, il voulait le réussir, faire les choses biens, alléger la peine de son gryffondor, de celui qu'il aimait. Voilà, il se l'était dit, comme il aurait du le lui dire déjà bien avant, comme il aurait du le prouver dés le début. Pourquoi ne se rendait-on compte de ce que l'on avait qu'une fois que toutes les chances d'y revenir étaient perdues ? Pourquoi avait-il fallu qu'il foute tout en l'air ?
La seule chose qu'il pouvait faire, c'était s'excuser. Pas lui demander pardon, parce qu'il ne voulait pas être pardonné, il ne voulait pas que Charles lui pardonne, parce qu'il ne le méritait pas, parce qu'il n'avait pas à le faire. Il l'avait blessé, lui, Rohàn, pas l'inverse, et toute la douleur qu'il pouvait désormais ressentir n'était qu'une faible revanche, qu'une faible compensation. Il lui avait susurré des mots d'espoir pour les briser dans la semaine, et sérieusement, comment avait-il pu croire qu'il ne serait pas puni, qu'il pourrait échapper à ce qu'il ressentait. Mais c'était trop tard, trop tard pour demander pardon. Alors il s'excusait, à la place. Même si cela ne suffirait pas.

Sa voix rauque, il voulait l'embrasser, il voulait qu'elle ne lui parle plus que de phrases positives, mais chaque mot qui passait les lèvres de Charles était un poison de plus. Un poison dans lequel il se laissait tremper, dissoudre, sans le moindre mouvement. Résigné et demandeur, à la fois. Résigné à ne plus rien entendre de positif, à ne plus avoir droit à son sourire et à ses regards complices, qu'il n'avait compris que trop tard. Demandeur de l'entendre, de l'écouter, de savourer le son de sa voix, de s'y enrouler, de s'y blesser. Il ne se faisait pas d'illusions sur ce que Charles disait, reconnaissait ce ton qu'il prenait. Cette fatigue et ce désarroi, cette sensation de vide, de manque. La sensation que rien ne serait plus pareil, et qu'il allait falloir apprendre à vivre sans. Réapprendre, même, à vivre. Il était surement présomptueux, il ne valait pas la peine que Charles vive ça, par sa faute, mais il était trop tard. Et maintenant Charles avait cette voix vide, détestable, et c'était sa faute.

Fermant les yeux, il pouvait imaginer leurs promesses, lui aussi, se remémorant l'ambiance et la chaleur de son corps contre le sien, son sourire et le goût de ses lèvres. Il s'en rappelait chaque mot, chaque intonation, toutes les étincelles qui avaient traversé le regard du gryffondor, leurs moindres mouvements, et ce souvenir le hantait tout en lui donnant la force de continuer. Ses yeux se rouvrirent et il fixa Charles, le laissant parler, le laissant le miner encore. Il ne pouvait pas le quitter du regard, il ne pouvait que l'affronter, lui montrer ce qu'il était devenu depuis leur rupture, espérant que cela aiderait son amant, d'une façon ou d'une autre. « I can't forget, either. I don't want to forget what I promised to you because I still mean it, every word. And I can't forget that I broke them, that I betrayed your trust, that I'm... I'm a fucking monster. I would undo everything to have you back, but I can't, and you... you deserve so much more than my apologies, than excuses. But it's all I've got left. » Parce qu'il n'était plus qu'un zombie, parce qu'il avait ouvert son cœur une deuxième fois pour le piétiner lui même, parce que Morrigan faisait de son mieux pour le soutenir mais qu'il ne savait même pas s'il avait encore envie de tenir debout. Il comprenait, petit à petit, que les gens sains ne.. ne violaient pas les autres, que les gens sains n'allaient pas voir ailleurs, que les gens biens ne faisaient pas du mal aux êtres qu'ils aimaient, et il aurait aimé, tant aimé, être une personne bien, quelqu'un sur qui Charles pourrait compter, mais il ne savait pas si c'était possible, s'il en était capable, s'il en avait même le droit. Et il ne le serait jamais, de toute façon. Il pouvait apprendre de ses erreurs, utiliser encore une fois le sang et les larmes des autres pour apprendre, sortir plus grand, plus fort, mais cela le rendait malade de se dire que cette nouvelle leçon de vie, il l'aurait apprise en brisant son Gryffondor.
« I understand that you don't want to look at me anymore, that I... I mean, I can barely look at myself in the mirror nowadays, but I... I want you to know that even if you don't ever again want to have anything to do with me, if you need help... I'll be here. » Une autre promesse, comme s'il n'en avait pas déjà suffisamment faite. Une autre parole jetée en l'air, mais toujours aussi lourde de conséquences. Comme s'il avait la possibilité de prédire l'avenir, comme s'il pourrait aider Charles alors qu'il était la source principale de ses souffrances maintenant.
Comme s'il avait une chance.

Rien de bon ne sortirait de sa bouche, de son esprit déprimé, ni de cette entrevue. Ils étaient tous les deux au bout du rouleau, cherchant à se relever sans aide, cherchant à oublier et à passer à autre chose, cherchant à retourner en arrière. Rohàn ne savait même plus trop bien pourquoi il pensait encore avoir le droit de lui parler et de l'importuner, pourquoi il fallait qu'il ouvre sa grande gueule une nouvelle fois, alors qu'il prouvait encore son inutilité. Il n'avait jamais été bon pour s'exprimer, jamais bon pour montrer ses sentiments, et si Charles avait appris à le connaître, l'avait aidé à devenir plus expansif, il n'était toujours pas capable de mobiliser assez de finesse, de mots, d'émotions, pour faire plier Charles, pour atteindre le Gryffondor et lui montrer la réalité de sa désolation, la profondeur de ses excuses et de son remords. Juste capable de ressasser les mêmes paroles sans valeur, toutes faites, et de le regarder souffrir sans pouvoir le prendre dans ses bras, sans faire passer sa douleur par un baiser, une étreinte. Le seul attribut qu'il avait jamais eu était son corps, et il ne pouvait pas s'en servir. Sa masse était inutile, son cerveau insuffisant, et il n'arrivait même plus trop à savoir pourquoi Charles lui avait trouvé quelque chose, pourquoi, comment, leur relation avait évolué. Il savait juste comment elle s'était finie.
Et il savait juste supplier et refaire les mêmes erreurs.

La gorge sèche et les yeux douloureux, il se tenait droit, regardant son ex petit ami comme si c'était la dernière chose qui le faisait tenir debout, ce qui n'était pas loin de la vérité. Il ne faisait pas très crédible, et tout le monde pouvait voir à travers son masque d'assurance fissuré sa fatigue et son apparence négligée. Sa barbe de trois jours, les cernes sous ses yeux, son état général était bien loin de l'idée qu'on se faisait en général du serpentard qui maintenait un aspect sans accrocs, qui se plaisait normalement à se sentir supérieur. Il avait tout d'un condamné, d'une cause perdue, alors sa coquetterie habituelle était partie par la fenêtre. Alors, entendre Charles relever cet aspect négligé, se moquer de sa situation, ce n'était plus que justice. Le serpentard ferma les yeux une demi seconde pour retenir une vague d'émotions qu'il ne contrôlait que peu, ne comprenant pas vraiment pourquoi cela l'atteignait autant, mais combattant quand même, pour ne pas lui donner encore plus raison. Oui, il était pitoyable, oui, il n'avait pas trouvé la force qu'il avait cru devoir chercher, oui, tout ce qu'il avait fait en brisant leur couple n'avait servi à rien. Est ce que Charles se sentait aussi malade que lui à l'idée que tout ça, toutes ces conneries de sa part, n'avaient eu aucun effet ? Qu'il avait tout foutu en l'air pour quelque chose qu'il n'avait pas été foutu capable de faire, d'atteindre.
Restant sur place, tétanisé par le constat que le gryffondor avait fait, il n'avait plus rien à offrir, que du vent, des mots, des mots que le brun refoulait sans problèmes, avec hargne, désespoir. Et avec raison. Pourquoi l'écouterait-il, pourquoi croirait-il en une nouvelle promesse sans fondements ?
Mais pourtant Rohàn avait espéré qu'il le fasse, avait espéré tout arranger, parce qu'il savait, il le savait, au fond de lui, dans ses tripes, dans son cœur, dans sa dernière détermination, son dernier rempart, qu'il ferait tout pour la respecter, qu'il ne traiterait jamais le gryffondor aussi mal une deuxième fois. Une dernière fois, même. Il n'était pas capable de se pardonner sa première trahison, alors imaginer en provoquer une nouvelle, avec son lot de souffrances, de détresse, avec le regard de Charles gravé dans son esprit, sa voix saccadée et grave, les larmes qu'il avait surpris dans la pénombre de la tour d'astronomie, c'était impensable. Jamais il n'aurait du trahir sa confiance la première fois, et maintenant qu'il avait compris à quel point elle était fragile et précieuse, il ne recommencerait pas. Mais comment le lui faire comprendre ? Hurler, ou se le graver dans la chair, écarter sa peau et le promettre sur son sang et sa chair, jurer sur sa magie ou sa propre vie, pour ne se voir opposer que le silence et la peine du gryffondor ? Il était inatteignable, une forteresse sans prises que Rohàn ne pouvait qu'admirer de loin, au mépris du danger pour lui même. Une forteresse aux yeux rouges et à la voix rauque de chagrin qui lui disait de partir, et à laquelle il n'avait rien à apporter, à part plus de malheur.

Pourtant, il fallait qu'il parle, qu'il lui dise qu'il comprenait, qu'il lui laisserait tout le temps du monde pour aller mieux, qu'il ne savait pas quoi faire pour l'aider mais qu'il était prêt à tout pour le revoir sourire, qu'il serait là quoi qu'il arrive. Il fallait qu'il ouvre la bouche, qu'il inspire une bouffée d'air, qu'il cherche à expulser ces mots, sans comprendre le nœud dans sa gorge et son torse, l'humidité sur son visage. Hébété, il se passa une main sur une joue, sans comprendre qu'il avait craqué et qu'il pleurait, que la douleur dans ses yeux ne s'était pas amplifiée pour rien et qu'il ne savait pas comment on arrêtait ce genre de choses. Sentant un sanglot lui déchirer les poumons, il arracha ses yeux à leur contemplation du gryffondor pour les fermer jusqu'à en avoir mal, pliant comme un arbre fatigué pour retenir les larmes et le reste et ne pas se montrer encore plus pathéthique. Il fallait qu'il lui parle, qu'il lui dise... mais il ne pouvait plus rien dire. Juste acquiescer sans même savoir s'il le regardait encore, avoir envie de s'enterrer six pieds sous terre et de pouvoir enfin hurler jusqu'à ce que toutes ces choses qui lui faisaient mal s'évanouissent.