Un doux soleil hivernal éclairait imperceptiblement, à la manière d’une veilleuse câline, l’immense domaine familial. Du ciel tombait un éclat lumineux et tiède qui coulait lentement en d’épaisses couches sur les hautes bâtisses. Un paysage apaisant, comme peint sur aquarelle. Les grandes grilles en fer semblaient s’animer dans un mouvement de grâce, se mêlant en tous sens, cherchant à la manière de branches de lierres à se frayer un chemin vers les plus hautes cimes qui jamais ne se finissent et toujours s’effondrent.
La forge noire, sculptée par d’habiles mains, portait en sa haute extrémité l’emblème des occupants, adoubés depuis maintenant tant de générations qu’il fallait déplier successivement plus de trois parchemins généalogiques vieillis par l’humidité, le soleil et les tracas du temps pour parvenir à en cerner la complexité. Derrière ces splendides barreaux vivaient des individus qui tenaient à leur sang avec bien plus de vigueur que l’entendement raisonnable ne pouvait le permettre. Sur les côtés du portique s’érigeaient deux dragons dressés sur leur arrière train puissant et battant des sabots vaillamment, ailes déployées, dégageant de la pierre froide une beauté menaçante. Leurs yeux, coupant la monotonie d’un ébène interminable, sertis de pierres de lune aux reflets irisés, paraissaient répandre une lueur d’amusement sarcastique, et ce couplé au rictus imparable qui se dessinait sur leur mâchoire conférait une horreur pesante à la bâtisse sans vie. Les deux protecteurs de l’entrée remplissaient bien leur rôle, et malheur à celui qui dans sa stupidité, osait sans permission aucune, traverser le rempart de la propriété.
Derrière les hauts piliers se traçait finement un long chemin au dallage de marbre blanc zébré, importé de lointaines carrières, folie de leurs ancêtres, qui en quelques semaines avait transporté, un chargement entier acheminé sur le Nil. Les splendides carreaux étaient entourés par de gros arbustes taillés en bonbonnières où printemps et été des fleurs jaillissaient, mais l’hiver restaient sombres et feuillus, endormis par la neige. S’étendait tout autour une pelouse ternie par la saison morte où batifolaient des cygnes près d’un lac à l’eau claire. En s’approchant on pouvait distinguer, des animaux marins évoluant avec grâce dans cette eau limpide. Les cygnes, créatures majestueuses au chant funeste rendaient un peu de vie aux environs dormeurs. Traçant sur l’eau de sublimes arabesques, arquant leur long cou en de superbes courbes, ils flottaient, dansaient sur le fluide vital où somnolaient au-dessous des créatures à l’apparence ravissante mais trompeuse en tous points et au charme ensorceleur. Leurs nageoires écailleuses peintes de couleurs multiples enjolivaient le fond de l’eau qui alors dévoilait des teintes telles qu’on se fut cru au beau milieu d’un océan de corail. Les rochers sombres contrastaient parfaitement avec les pastels rougeoyants et bleuissant des nymphes aqueuses.
En continuant le chemin bordé par la nature typiquement française du lieu et les grandes statues représentatives de diverses et anciennes divinités oubliées par la masse, l’on aboutissait finalement devant la demeure de la noblesse vivant en ces terres. La structure colossale de l’édifice rendait à chacun son sentiment de petitesse de l’humanité. Les tours, majestueusement levées, cloisonnaient la bâtisse élevée sur trois étages.
La porte d’entrée, richement construite, reflétait la richesse ambiante mais également, le strict émanant. Le bois ébène rehaussait d’un ton le grisonnant des pierres et les quelques gravures implantées dans la porte représentaient des scènes glorieuses des nombreux ancêtres qui avaient franchis le seuil bien avant ce siècle, et quelques autres d’ailleurs. Deux grands lions accoudés d’un air vague, la tête haute, les pattes croisées, accompagnaient le visiteur sur la montée des quelques marches menant jusqu’au heurtoir indiquant aux domestiques la présence d’un visiteur.
Car une fois annoncé, le vieux majordome, qui avait hélas, ridé plus rapidement que les murs ne s’étaient fissurés, s’empressait d’indiquer au chef de la maisonnée, la venue d’une personne et s’il le pouvait, déterminait son identité car le vieil homme avait une mémoire d’éléphant et lisait régulièrement les hebdomadaires sur lesquels les hautes personnalités apparaissaient.
Une fois repéré, le domaine s’ouvrait discrètement et laissait place à un hall d’entrée immense où pendait un lustre à l’éclat blanc, reflétant de ses milles prismes cristallins, une auréole de lumière, un océan de clarté. Au sol, de lourds tapis issues de pays orientaux, étendus selon un ordre proprement agencé, s’emparaient des yeux de tous car finement brodés dans les plus riches étoffes. On pouvait distinguer les efforts des domestiques s’affairant en toutes tâches, ne laissant aucune trace de saleté ou de désordre apparaître au sein de la maison du Maître. Le domaine avait été élaboré de telle manière que les escaliers menant aux étages étaient situés sur les côtés droit et gauche. Les pièces présentables étaient principalement au premier étage.
Pour le reste du rez-de-chaussée il y avait les cuisines, les cachots et quelques pièces dont Charles Chilvalry – parce que lui non plus, n’avait pas échappé aux traditions - gardait précieusement l’existence. Ainsi, en grimpant les hautes marches de pierre, laissant glisser ses doigts sur la rambarde de bois massif, l’on pouvait accéder au superbe salon, terrain de festivité, ouvert aux visiteurs et sans cesse en mouvement. Quelques servantes s'affairaient en une tâche bien complexe, celle d’une décoration qui devait être des plus magnifiques pour l’heureux évènement qui surviendrait dans la semaine, si tout se passait au mieux, et Mr De Chastel l’espérait.
Il était là, assit dans un des fauteuils Louis XIV qui entourait une table basse où était apposé un verre de vin, quasiment vide. Au fond du calice s’endormait paisiblement le fluide sanguin, aux vertus apaisantes si consommé avec modération. Et il n’en était qu’à son troisième verre. Levant élégamment le bras, il claqua son pouce contre l’index en faisant signe qu’il prenait une autre coupe. En attendant, caressant les bras du fauteuil finement sculpté, passant la paume de sa main sur le satin brodé, il s’occupait à la lecture de la Gazette du Sorcier tentant de rester sourd aux cris de douleur que poussait sa femme un étage au-dessus. Et Merlin sait qu’elle devait hurler pour qu’il l’entende de son emplacement.
Après ce qui lui sembla être des heures, la sage-femme se présenta pour lui annoncer avec une déférence inquiète que sa fille était née. Sans se presser le moins du monde il prit le temps de déguster la fin de sa coupe – un aussi bon vin ne méritait pas d’être gâché par la précipitation – avant de prendre la direction des appartements de sa femme. Il la trouva couchée, les yeux à demi-clos avec son – leur – nouveau-né dans les bras. Loin de s’attendrir devant la scène, il observa les deux femmes de sa vie avec impassibilité. Il aurait préféré un garçon mais puisqu’il n’en était rien, il s’en contenterait. « Viviane Honor Fudge. » dit-il de sa voix profond. Ils avaient déjà discuté du prénom mais poser les mots sur une réalité était toujours étrange. Une fois ceci fait, l’homme s’autorisa un premier signe d’affection envers sa fille : il lui caressa la joue en espérant qu’elle saurait être à la hauteur de toutes ses espérances.
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« C’est idiot » décréta-t-elle en haussant le menton d’un ton qui ne souffre nulle contradiction. C’est quelle avait l’air farouche, du haut de ses onze ans, sous la lumière cru que le soleil déversait avec bienveillance sur la petite ville de St Alban où était nichée la maison familiale.
Son air sauvage n’ôtait rien à ces charmes naissants : elle avait des de grands yeux en amandes frangés de cils d’ébène qui lui mangeait le visage, un petit nez droit et discret et des lèvres pleines et suaves, naturellement orientée au sourire. Depuis quelques semaines, ses joues s’étaient affinées et avaient perdues les rondeurs de l’enfance pour dévoiler de hautes pommettes qui trahissait son haut lignage. Sa longue chevelure cascadaient en une chute de boucles chocolats qui se mêlaient et s’emmêlait en une forêt inextricable jusqu’au bas de son dos. Elle était tout occupée à arracher les pétales d’une malheureuse fleur qui n’avait commis pour seul crime que de pousser au mauvais endroit.
« Et si tes parents avaient décidés de te nommer Ronflax, les miens se seraient-ils senti obligé de m’appeler Cornu ? On est même pas frère et sœur ! » Elle se composa un air horrifié pour souligner que la seule idée lui glaçait les sangs.
Agacé par tant de babillage et ne l’écoutant que d’une oreille, Pride quant à lui s’était mis en tête d’attraper le crapaud qui se cachait non-loin de là.
Une seconde d’inattention due au sourire que lui avait tiré la réflexion de sa jeune cousine suffit pour qu’il lâche sa proie des yeux. Avec un soupire, il répliqua sans ambages
« Ne dis pas de sottise plus grosse que toi. Mes parents ne m’aurait jamais appelé Ronflax … De nous deux, c’est bien moi le plus beau. Je te laisse le plaisir de porter le nom des horribles bestioles, je préfère ceux des chevaliers et des grands sorciers. Allons Viviane, ne fais pas la tête. Tu n’es pas si laide que ça … Peut-être même que le fils de notre cuisinier te trouverait à son goût. » Une grimace et il déguerpit à toute jambe, suivie par la petite fille ivre d’hilarité
« Je t’ai dit que je ne voulais plus que tu m’appelles comme ça ! Reviens que je coupe cette langue bien trop pendue. » puis s’apercevant que ses menaces le faisait fuir plus loin encore, elle entreprit de le persuader autrement
« Merliiiiiiiiin ! Reviens ! Il n’y a aucune fierté à m’échapper alors que tu as des jambes plus grandes que les miennes ! » La jeunesse est bien trop souvent assimilée à l’ignorance mais il est des choses qu’un enfant apprend très rapidement : à commencer par obtenir ce qu’il veut. Nul doute que c’était un domaine dans lequel Honor excellait.
Un sourire mutin affleura à ses lèvres : personne n’était plus tatillon sur ce sujet-là que Pride. Déjà il se retournait pour lancer une réplique cinglante … mais elle ne lui laissa pas la chance de s’exprimer. D’un bond, elle lui sauta dessus pour lui faire payer son affront.
Cet idiot savait bien qu’elle n’aimait pas ça, qu’il l’appelle Viviane.
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« Viviane, tu me déçois beaucoup. » Elle eut beau grimacer lorsque son père employa son premier prénom – ses parents étaient les seuls à ne pas s’être soumis à son vœux de ne répondre à un autre nom qu’Honor – elle n’émit aucune protestation, elle savait que la tempête requerrait toutes ses capacités à se défendre.
« Tu connais notre tolérance pour les né-moldus … mais de là à t’acoquiner avec l’un d’entre eux ! Mais enfin, qu’as-tu dans la tête ? » Encore une fois, elle dû se mordre la langue pour ne pas laisser s’échapper une réplique acerbe. Que les paroles de son père étaient douce … Tolérance n’était certainement pas le mot qu’elle aurait choisi. La vérité était que ses parents souffraient de se retrouver en présence de sorcier au sang-mêlé (ou pis, né-moldus) mais qu’ils ne leur accordait aucun crédit – ce qui était presque aussi grave, si vous vouliez son avis. Il est vrai que Nathan avait remis en cause toutes les idées qu’elle avait sur les nés-moldus et aujourd’hui elle se demandait si ses préjugés n’étaient pas totalement infondés.
Honor avait envie de baisser la tête, faire le dos rond en attendant que ses parents en aient fini avec elle mais elle ne le pouvait pas. Malheureusement, la jeune femme ne savait pas feindre la honte quand elle ne la ressentait nullement. Être injustement rabrouée pour des idées qu'elle jugeait noble ne lui convenait pas non plus. Ne lui avait-on pas inculqué de se lever pour ce qu'elle jugeait juste ?
Elle commença à sa défense :
« Je ne sais pas qui diable a pu vous rapporter mon amitié avec ce sorcier né-moldu mais puisque vous êtes au courant, n’attendez pas de moi que je le renie. Mais il n’est pas comme les autres. Il est brillant, je suis sûre que vous seriez étonné par sa culture magique c’est … »Un soupir exaspéré de sa mère l’arrêta en plein milieu de sa phrase. Grande et svelte, Ambre Fudge était l’archétype de la femme cinquantenaire dont les charmes n’avaient fait que s’épanouir avec l’âge. Honor l’observa un instant avec objectivité : belle femme et de bonne famille, elle avait réussi une union heureuse où, s’il n’y avait pas d’amour, au moins s’était créé une réelle complicité avec son mari.
« Epargne-nous donc ton discours. Ne peux-tu donc pas te trouver des amis convenables ? »C’en fut trop pour que la brune volcanique puisse se contrôler :
« Seul ton discours est inconvenant maman, pas mes fréquentations. »Elle sentit la tension monter d’un cran avant d’apercevoir la main de son père jaillir pour la frapper. Honor se raidit, prête à recevoir le coup sans broncher mais la main de sa mère stoppa Charles. La brune laissa s’échapper un soupir de soulagement imperceptible sans se douter un instant que la baffe aurait mieux valu que ce qui allait suivre :
« Charles, voyons. Je suis d’accord qu’il faut sévir l’insolence et crois bien que je regrette autant que toi qu’il ne soit pas bienséant de lever la main sur son propre sang … » commença Ambre d’une voix douce d’où perçait un sadisme qu’Honor n’avait encore jamais remarqué. En aucun cas elle n’aurait cru cela de sa mère adorée et cette révélation la blessa bien plus que n’aurait pu le faire n’importe quelle claque.
« Laissons-là expérimenter la vie des né-moldus si elle tiens tant que cela à défendre leur cause. Qu’elle passe une semaine dans la chambre de bonne. Les sorciers de moindre qualité finissent dans des maisons comme la nôtre à lancer des sorts de récurage pour le compte de nobles familles. »Honor sentait les mots se bousculer dans sa gorge, prêts à déborder dans sa bouche pour finir par s’évaporer en d’amers volutes au bout de sa langue. Elle était estomaquée et ne s’était pas préparée à découvrir cette facette de la personnalité de sa mère qu’elle avait toujours trouvée douce et équilibrée. Après les mots, ce fut les larmes qui menacèrent de se bousculer à ses paupières.
Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir trahit devant la dureté des paroles qui avaient été prononcées et en même temps elle devait lutter pour ne pas céder face à ses parents. Un instant elle crut avoir assez de contrôle pour que son masque impénétrable ne se brise pas en mille morceaux, mais un instant seulement. Une larme perfide vint frayer son chemin entre ses cils avant de dévaler sa joue comme une goutte d’acide, traçant un sillon brûlant sur ses pommettes empourprées par la colère.
La langue de son père claque. Elle essuya prestement la larme mais d’autres suivirent la première.
« Un sang-pur ne pleure pas » dit-il d’un ton implacable. La sentence était tombée. Violemment.
N’y tenant plus et voulant s’éviter l’humiliation de sangloter comme une enfant de neuf ans, elle leur adressa un ultime regard empli pêle-mêle de haine, de déception, d’incompréhension, d’amour et de tristesse. Elle ne sait pas ce qu’ils y virent mais ils eurent, en revanche, la décence de prendre un air interloqué. Avec un détachement qu’elle était loin d’éprouver – et qui contrastait étonnamment avec ses manières volcaniques habituelle – elle répliqua :
« Non, ce sont les sang-cœurs qui ne le font pas. »Pour ce qui fut de sa punition, aussi pénible fut-elle, Honor s’en accommoda avec toute la froide dignité dont elle pouvait faire preuve. On considéra ensuite implicitement l’incident clôt. Rien ne changea. Honor continua à fréquenter Nathan. Ses parents à mépriser silencieusement les nés-moldus. Tabou. Il n’était pas dans les habitudes des Fudge de lever le voile des choses qui dérangent. Le temps soigne plus rapidement que les mots et Honor pardonna.
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« Tes parents auraient-ils un sens de l’humour particulièrement noir ? » demanda avec un calme dangereux une voix qu’elle ne reconnaissait pas.
Sentant la provocation, Honor troqua son sourire naturel contre une moue dubitative, attendant d’en savoir plus.
« Il paraît que tu te fais appeler Honor et que tu refuses qu’on utilise ton vrai prénom. C’est amusant, tu ne trouves pas ? » Elle haussa un sourcil interrogateur en laissant le silence se prolonger. La jeune femme avait apprit que le mutisme déliait les langues bien plus facilement que ne le faisait les questions. L’élève continua son raisonnement à voix haute, sans jamais faire disparaître le sourire moqueur de ses lèvres.
« On connaît tous les agissements de ton grand-père. Te faire appeler ainsi ne restaurera pas le lustre ancien de ta famille.
En fait, je ne sais pas si c’est de l’humour ou de la bêtise. »Elle aurait dû s’en douter. Pourquoi était-elle toujours étonnée que ce sujet vienne troubler son existence ? Son instinct lui hurlait d’attraper sa baguette pour punir l’imprudent mais elle se sentait d’humeur à discuter avec les sots.
« Et aurais-je l’honneur » Oui, elle aussi pouvait faire preuve d’humour
« de savoir qui m’adresse de telles récriminations ? Ou peut-être préfères-tu t’offrir le luxe de l’anonymat de peur que ton petit jeu ne se retourne contre toi ? » Elle s’avança d’un pas tandis que l’autre semblait sur le point de répliquer. Elle ne lui en laissa pas l’opportunité :
« Puisque c’est comme ça, et pour que l’on soit sur un pied d’égalité toi et moi je vais te donner un surnom tu veux bien ? Oh ! Ne prend pas la peine de me répondre, c’est une rhétorique … Tu sais ce que c’est, une question rhétorique, n’est-ce pas ? » Elle laissa un sourire mauvais affleurer à ses lèvres. Jamais mauvaise gratuitement, elle était en revanche impétueuse et malheur à celui qui s’attirait ses foudres.
« Que préfères-tu ? Idiot ou Médiocre ? Je suis désolée, mais c’est tout ce que tu m’inspires.
Mon grand-père a, certes, fait des erreurs. Mais il a surtout été la tête à abattre quand tout s’est écroulé. Parle-t-on des autres grandes familles aux pouvoirs à l’époque, complices de ce que s’est passé mais jamais exposées au scandale qui a « déshonoré » mon grand-père ? Quoi qu’on en dise et malgré des méthodes discutables son seul but n’a jamais été que de maintenir la paix coûte que coûte. Et crois-moi, ça lui a coûté très cher. »Elle accrocha le regard du serpentard. Il n’eut pas de mot à prononcer : elle pouvait presque sentir le dégoût émaner de lui comme une vague de chaleur. Pourtant il semblait sur ses gardes. Il faut dire qu’avec les années, une sauvagerie s’était inscrite en elle, menaçant de surgir à chaque fois qu’on faisait mine de l’approcher. On devinait des grondements au fond de sa gorge, de la férocité à chaque battement de cils et toute une – fausse – assurance qui fait qu’elle ressemblait à un fauve qui sort à moitié les griffes.
Et pourtant, elle espérait être capable de cacher cette fragilité extrême qu’on pouvait deviner sous les fissures qu’elle s’obstinait à faire passer pour des blessures de guerre.
« Appelle-moi comme tu le veux, bouffondor. L’insolence ne te mènera nulle part avec moi. Je n’ai aucune leçon à recevoir de toi. » Il lui tourna le dos, superbe et hautain, les mains dans les poches. Il prit néamoins le soin d’articuler distinctement ses derniers mots :
« Il paraît que la lâcheté est une tare qui se transmet par le sang. Tu sais ce que c’est … une tare, n’est-ce pas ? ».
Interdite, Honor laissa quelques secondes s’écouler avant de réagir.
« Idiot, attend !». Il lui sembla que sa baguette jaillit d’elle-même dans sa main et que sa bouche prononçait les mots avant qu’elle ne les aient assemblés dans son esprit :
« Mobilicorpus » Une jubilation éphémère l’embrasa toute entière alors qu’elle voyait le corps du vert et argent flotter vers elle. D’un geste sec du poignet, elle le plaqua contre le mur et prit le relai du sort en le bloquant de son corps.
« Allons. Ce n’est pas très poli de tourner le dos à une jeune fille de bonne famille … Tu apprendras qu’on m’appelle Honor parce que je ne prend jamais un ennemi en traitre en l’attaquant quand il me tourne le dos. » Et sur ces mots elle lui administra un formidable coup de genou dans le bas ventre.
« Ravie d’avoir pu mettre ce point au clair avec toi. » lui murmura-t-elle à l’oreille, suave, profitant qu’il fut replié sur lui-même pour lui adresser une caresse qui se voulait solidaire.
Elle aimait bien ça. Souffler le chaud et le froid, être la main qui frappe et qui flatte.
Elle réussit à sortir du couloir avec dignité mais elle dû faire appel à tout son contrôle. Elle sentait ses membres trembler sous le coup de la colère et l’incompréhension. Elle ne pouvait pas supporter qu’on s’attaque à sa famille et à ce grand-père si gentil malgré sa démence. Cornelius s’était battu – peut-être de façon malhabile – pour le monde des sorciers pourtant il ne récoltait que du mépris.
Les larmes flirtaient à ses cils mais déjà elle entendait la voix grave de son père arguant qu’un sang-pur ne pleure pas. Bien qu’en désaccord avec cette idée, elle ravala sa tristesse. A force de patience, elle réussie à se recomposer un visage, si ce n’est joyeux, au moins serein.