Darling, dearest, dead —

Altheda avait vingt ans la première fois où Rodolphus Lestrange entra avec fracas (littéralement) dans sa vie. Elle, qui, avait grandi avec pour livres de chevet des contes épiques en guise de seule compagnie, s'amouracha de ce jeune homme taciturne. Seulement, personne, dans ses livres tant aimés, ne l'avait prévenue que l'amour au premier regard (ou plutôt avec le recul des années, les passions éphémères et lunatiques des premiers amours) n'était ni un signe du destin, ni un clin d'oeil des Moires car parfois, parfois, il n'était pas réciproque.
Comme bien d'autres avant elle et bien d'autres après elles, ce fut son cas et c'est ainsi qu'elle connut l'amertume de l'échec amoureux lorsqu'il se refusa à elle, dénigrant chaque aspect de son être comme si elle n'était rien de plus qu'une jolie poupée de porcelaine qu'on entreposait sur une étagère qu'il n'apercevait même pas, tant obnubilé qu'il l'était déjà à cette époque par le fléau de la vie d'Altheda : Bellatrix Black.
Cette dernière lui faisait même l'affront d'ignorer sa présence, comme si elle n'était même pas considérée en tant que rivale amoureuse digne de ce nom mais rien d'autre qu'une mouche agaçante bourdonnant à ses oreilles, cette même Bellatrix qui repoussait mollement, comme ennuyée, chaque avance que Rodolphus faisait à son encontre.

Fermement décidée à ne pas demeurer dans l'ombre de Black, qui si jeune, avait déjà une telle présence qu'elle envoutait tout un chacun autour d'elle, Altheda s'était jetée à corps perdu dans ses études et avait eu, après des mois de dur travail, la satisfaction de voir la bouche de la Serpentarde s'étirer en un moue contrariée lorsque ses efforts portèrent leur fruit.
Ainsi, méticuleusement, Altheda détrôna celle qui avait été couronnée 'brightest witch of her age'. Son succès, aussi court fut-il, la plaça directement dans la ligne de mire de sa rivale et, Altheda, n'eut le temps d'éprouver qu'un plaisir fugace, anticipant délicieusement les représailles qui allaient venir, puisqu'au retour de vacances d'hiver, Bellatrix Black s'était fiancée à nul autre que Rodolphus Lestrange.

L'annonce sonna le glas d'un respect tacite et Altheda accusa le coup de grâce avec autant de dignité que son lignage le lui avait appris : en silence. Cependant, durant les années qui suivirent, les rares fois où elle s'attardait à songer à Bellatrix (et à Rodolphus), elle se demandait sans faille quelle était l'expression qui avait pris possession du visage de Black lorsque ses yeux s'étaient plantés dans les siens à l'annonce de la nouvelle. A l'époque, elle les avait pensés victorieux. Dorénavant, les années aidant, elle n'en était plus si sûre. Peut-être l'avait-elle défiée une dernière fois, comme durant tant de soirées à jouer silencieusement aux échecs sorciers. It's your move now.
Mais Altheda avait été terrassée et la queue entre les jambes, elle s'était laissée de nouveau fondre dans les ombres des couloirs de Poudlard, essayant de se persuader que Rodolphus ne pouvait être qu'une obsession passagère, un caprice irréalisable.


Ca ne pouvait pas durer.


Ca dure.


La démise de Bellatrix, célébrée par le monde sorcier et plastifiée sur chaque numéro de la Gazette du Sorcier qu'elle voyait autour d'elle, sembla la laisser de marbre. Elle n'éprouva ni satiété, ni chagrin à sa mort précipitée et cette absence d'émotions, la terrifia.
Ce ne fut que lorsque le vendeur de journaux l'aperçut, faisant de grands moulinets de la main vers son visage et s'exclamant bruyamment avec une félicité certaine :  « That cunt finally got what she deserved. », qu'Altheda leva une main tremblante vers ses joues et rencontra des larmes silencieuses. L'homme les avait prises pour du soulagement et Altheda, effrayée par une perspective contraire, s'éloigna à pas pressés.
 

Mariée. Altheda était mariée.
Mais en ce jour qui aurait du être le plus beau jour de sa vie, les cloches de l'église, en arrière plan, semblaient néanmoins plutôt funestes. Elle ne parvenait pas à savoir pour qui, Rodolphus ou elle-même. (Peut-être était-ce pour Bellatrix, qui avait eu la grâce d'effectuer une dernière révérence, avant de se retirer à jamais, ayant toujours eu le dernier rire comme à son habitude).
Tous deux, engoncés dans des habits de cérémonie splendides, étaient magnifiquement tragiques sur le dais, chacun portant secrètement le deuil d'un nom qu'aucun des deux ne pouvait prononcer à haute voix. Et si elle souhaitait trouver réconfort dans les bras d'un homme qu'elles avaient toutes deux partagées à leur façon, lui-même n'en voulait aucune part.  C'est ainsi que sentant enfin l'isolement dans lequel elle s'était emmurée depuis leur septième année ensemble, Altheda connut la morsure du froid malgré l'éclatant soleil de Juin.


« Mummy... »

En d'autres temps, en d'autres lieux, Altheda se serait précipitée vers Benjen, son premier né, alors âgé d'une dizaine d'années, rien qu'à cet appel déchirant le silence de la nuit entre deux coups de tonnerre mais il y avait quelque chose, quelque chose qu'elle ne parvenait pas à discerner, dans sa voix d'ordinaire si posée, si assurée qu'elle se figea dans l'embrasure de la porte de sa chambre.
Elle allait se faire violence afin d'assister son fils qui la réclamait malgré la chair de poule qui apparaissait sur ses avant-bras, malgré la certitude quasi viscérale qu'elle devrait reculer et barrer sa porte car si elle demeurait une seconde de plus dans ce couloir, tout allait changer mais elle n'en fit rien, ne recula pas mais n'avança pas non plus et cette indécision passagère fut plus que suffisante.
L'espace d'une fraction de seconde, un éclair illumina le couloir et l'aspect du jeune garçon, qui jusqu'à lors, s'était tenu en retrait dans les ténèbres, se grava irrémédiablement dans l'esprit d'Altheda. Benjen, les cheveux plaqués contre son front par la pluie, était couvert des pieds à la tête de sang et de boue mais c'était son expression si ouvertement confuse qui fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase et Altheda porta une main à ses lèvres, les yeux écarquillés par l'horreur de voir son fils, son fils, dans un tel état. Benjen qui, au même instant, s'était avancé d'un pas vers elle, s'immobilisa brutalement comme giflé.
S'apercevant de son geste de recul inconscient, Altheda chercha les mots pour le rassurer mais le mal était déjà fait et le visage de Benjen auparavant si expressif, si perdu, si nécessiteux d'une main aimante et guidante, se durcit avant de se voiler d'un masque impénétrable.

« Goodnight, mother. »

Et Benjen, sans plus attendre, comme s'il l'avait déjà chassée de ses pensées, la jaugeant insuffisante, tourna prestement des talons, s'enfonçant à nouveau dans les ténèbres, laissant Altheda glacée jusqu'à l'os, sans se douter que cette vision serait la dernière qu'elle aurait de lui.

Dès le lendemain, il deviendrait enfin l'héritier que Rodolphus attendait (lorsqu'il daignait lui montrer un quelconque intérêt) et celui que Bellatrix, dans sa folie, aurait peut-être pu aimer mais un qui, aux yeux d'Altheda, resterait un étranger portant la peau de son fils mais qui lui rappellerait de jour en jour cette femme, qui bien que six pieds sous terre, hantait toujours ceux qui lui survivaient.

L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t'aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi.

« Freak. » L'insulte fusa, indolente et froide au détour d'un couloir. Et le temps d'un battement de coeur, Benjen la laissa enfoncer ses talons dans sa chair avant de la secouer d'un regard noir. Freak. Peut-être qu'il la méritait celle là pour avoir envoyé deux élèves à l'infirmerie alors que trois autres avaient dû le retenir physiquement de s'en prendre au troisième complice. La frénésie meurtrière dans laquelle il s'était retrouvé, se débattant comme un beau diable, un sourire sanglant aux lèvres, réclamant justice contre ceux qui avaient eu l'affront d'attaquer sa famille en face de lui, sans crainte ni remord, comme si sa propre affiliation à une autre maison que les trois autres justifiait un schisme dans leur relations, comme s'il ne les saignerait pas tous comme les petits porcs qu'ils étaient pour porter atteinte à ceux pour qui Benjen sacrifierait tout, avait fait naître un sentiment troublant tant il était enivrant dans la populace qui flânait ces murs : la peur. Et comme un chien enragé sentant la faiblesse de l'ennemi, Benjen y avait planté ses crocs sans la moindre hésitation.
Car si Poudlard avait été supposé être un lieu sûr, il avait vite compris qu'il n'en serait rien. Bien au contraire, c'était un nid de vipères qui n'attendaient qu'une chose, voir ceux qu'ils abhorraient tant pour marcher  d'un port toujours altier, pour avoir conservé l'arrogante beauté que seules des années de consanguinité les plus sélectives savaient offrir, s'écrouler à leur pieds et demander pardon pour des fautes qu'ils n'avaient commises mais qui, aussi longtemps que le sang coulerait dans leur veines, marreraient leur peau.
A sa plus grande fierté, ni Alesya, ni Rohàn, ni Morrigan, ni même le bâtard qui voulait jouer dans la cour des grands, ne leur en avait donné la satisfaction. Néanmoins, il sentait l'agitation et l'impatience chez eux et craignait qu'à se précipiter, ils ne commettent un quelconque impair qui pourrait leur être fatal. Entre ces murs, nul n'était oublié, nul n'était pardonné, pas à eux, d'autant qu'ils portaient la disgrâce qui suivait leur nom avec un régal que beaucoup enviaient.
Mais bientôt, bientôt, le feu aux poudres prendrait et Benjen ne souhaitait pas être pris au dépourvu lorsque cela arriverait. Les conversations avec le portait de Bellatrix, les livres de leur bibliothèque personnelle n'allaient pas suffire. Il allait lui falloir en savoir plus, beaucoup plus s'il souhaitait protéger le reste de leur famille quasiment exterminée par cette chasse aux sorcières lancée à la fin de la deuxième guerre. Et pour cela, il lui fallait se rendre à la bibliothèque de l'école, prochain arrêt : la Réserve, en espérant que cette dernière ne lui fasse pas défaut.
Si cela était le cas, il ne lui resterait alors qu'une solution, son plan B, la solution de dernier recours, celle qu'il espérait n'avoir jamais à mettre en oeuvre mais qu'il travaillait pourtant dans l'ombre depuis la toute première année, depuis qu'il avait porté un intérêt inégalé chez un esprit si jeune à l'Histoire de la magie : se défaire de son nom pour endosser celui de Benjen, celui de frère, de cousin, de protecteur au lieu d'embrasser la vengeance qui faisait scander son coeur à chaque pas et s'il le fallait, s'y perdre si cela signifiait la survie de son clan. Mais cette route là, épineuse, jonchée d'obstacles à chaque tournant, pourrait très bien l'éloigner à jamais des siens et c'est pourquoi, elle demeurerait fermement dans un recoin sombre de ses pensées jusqu'à ce qu'elle soit invoquée de nouveau.

Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d'offrir un appât à l'ennemi pour le leurrer, simulez l'infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s'y briser.

Morrigan s'était assoupie contre son torse et ses traits auparavant figés par le stress lié aux BUSE se relaxèrent imperceptiblement. Lovée là comme ça, entre ses bras, elle paraissait si jeune, si fragile que son coeur se serrait à l'idée de ne pas pouvoir toujours la protéger. Il savait bien qu'il avait été chanceux jusque là car personne n'avait été assez fou pour s'attaquer à sa jeune soeur pour le blesser lui mais un jour, un jour peut-être qu'il n'arriverait pas à temps. Sa main, colorée comme l'arc en ciel, forma un poing à cette pensée qui le torturait matin et soir et il étouffa un gémissement de douleur dans les cheveux de la brunette.
Il s'était encore battu et comme à son habitude, avait refusé d'aller à l'infirmerie pour panser ses blessures. Il n'avait accepté qu'un semi compromis, que Morrigan elle-même s'en occupe. Mais d'avoir sa main si gentiment tenue entre les deux bien plus petites de sa soeur, Benjen, pour la première fois de sa vie, avait connu la honte.
Ses yeux, fermement ancrés dans les siens, loin d'être accusateur pourtant, bien qu'une légère remontrance paraissait sur sa bouche, comme un amusement réticent face à un enfant entêté, avaient sembler l'excuser de tous les vices, de toutes ses fautes, même celles qu'il n'avait encore commises. La tendresse avec laquelle son pouce avait effleuré sa lèvre fendue avait fait monter en lui une bouffée d'affection pour elle qu'il n'avait su comment exprimer si ce n'est en embrassant son pouce et puis sa tempe en guise d'une excuse qu'il ne parvenait à formuler. Sa main libre vint jouer dans les cheveux bruns de sa soeur et, front contre front, les yeux clos, ils s'étaient mutuellement confortés un instant.

Ce n'est que la voix de Benjen, légèrement rauque qui brisa la paix dans laquelle ils s'étaient retrouvés, promesse qu'il réaffirmait encore aujourd'hui, sachant qu'ils en avaient tous deux besoin plus que jamais.

(There is only one god and his name is Death. And there is only one thing we say to Death:) « Not today. »

Morrigan parut chercher dans ses yeux une réponse à une question qu'elle seule connaissait mais un sourire se voulant rassurant s'étira sur les lèvres de son frère en la voyant se mordiller distraitement la sienne et puis, paraissant trouver une réponse satisfaisante, elle caressa une dernière fois sa joue avant de se retourner pour s'asseoir entre ses jambes, attirant avec une certaine autorité les bras de son aîné pour les nouer autour de sa taille, liant leurs doigts ensemble, avant de se laisser aller dans cette embrassade fraternelle. Benjen pressa une nouvelle fois ses lèvres contre la tempe de Morrigan lorsque sa tête vint reposer contre son épaule.

« Not today. »  répondit-elle enfin et Benjen, appuyé contre leur arbre à l'orée de la forêt interdite, où personne ne souhaitait s'aventurer de sa propre volonté, parut apaisé. Souhaitant diffuser l'atmosphère alourdie par des erreurs qu'il ne parvenait jamais à regretter, il changea de sujet et c'est ainsi que Morrigan qui se prêta au jeu, probablement devinant qu'il avait besoin de penser à autre chose, passa près d'une demi-heure à parler des examens à venir et des frasques de ses amies sous le regard affectueux de son frère.

Just close your eyes,
the sun is going down
you'll be alright;
no one can hurt you now
Come morning light,
you and I'll be
safe and sound.





« You disgust me. »

You disgust me. You disgust me. Youdisgustme. Ces trois mots, les derniers qu'Alesya avait prononcés, résonnaient sans fin dans l'esprit de Benjen, qui, lorsqu'elle avait claqué la porte derrière elle - sur lui, sur eux, sur tout espoir de conciliation -, s'était retrouvé à genoux, le dos courbé par le poids de la conviction qu'elle avait mis derrière ces mots, ces trois mots, ces trois mots de rien, ces trois mots qui pour lui étaient tout, tout ce qu'il avait espéré ne jamais entendre dans sa voix, de sa bouche, sachant qu'il ne réussirait jamais à les effacer, peu importe la chaleur de l'eau sur sa peau déjà rougie, peu importe l'affutage de la lame qui courait sur sa peau, peu importe à quel point il peignait la chair tant haie. You disgust me. Ces trois mots crachés au visage avec tant de véhémence, ses lèvres frôlant les siennes, pantomime d'un baiser qui n'aurait jamais dû arriver, caricature d'une intimité à jamais ruinée, il ne les laverait jamais de son sang.

Les yeux brûlant de larmes qu'il ne savait verser, il dût se mordre la lèvre violemment afin de retenir le cri qui grandissait dans sa poitrine à chaque inspiration saccadée, souhaitant malgré tout ne pas alarmer Morrigan. Ou peut-être n'était-ce qu'une vaine tentative de reculer l'inévitable car elle saurait bien assez tôt la condamnation qui venait de se dérouler dans une chambre d'hôte du manoir, et peut-être, comme leur cousine avant elle qui avait été juge, juré et bourreau, elle le quitterait sans même se retourner.

You disgust me. Ses poings se crispèrent sur le sol froid et des demi lunes sanglantes apparurent aussitôt dans ses paumes mais cette douleur physique était si minime comparée à la brûlure qu'avait laissée la gifle qu'Alesya lui avait assené mais surtout la virulence des mots prononcés, où son dégoût pour lui n'avait été que l'infime partie d'un iceberg dont la trahison faisait son fief, que Benjen la sentait à peine. Des tremblements agitèrent sa figure recroquevillée. Il allait vomir, il allait-

La douceur tentative d'une main sur son épaule l'extirpa brutalement du carcan de douleur dans lequel il s'était emmuré. Le toucher si étranger le força à relever la tête, sachant déjà qu'il n'y trouverait ni Alesya, ni Morrigan, ni espoir, ni salut mais la raison avait quitté la navire en même temps que sa bien-aimée et la folle espérance s'était déjà emparée de son coeur. Son regard, troublé, brouillé par l'amertume croisa celui, empreint de compassion et non de pitié ou d'horreur comme il l'avait si longtemps rencontré par le passé, d'Altheda, sa mère.

« Benjen... »

La peine dans sa voix, la chaleur de ses mains qui venaient à présent attraper son visage pour l'obliger à se redresser afin d'éviter une éventuelle fuite, firent s'écrouler les murs qu'il s'était contraint, obstinément, à ériger entre eux depuis des années. Pendant un instant, juste un, il n'était plus Lestrange, il était Benjen, juste Benjen et Benjen, lui, n'avait jamais tressailli à son contact, ne s'était jamais caché sous une façade qui deviendrait bientôt connue sous l'expression "bluffer comme un Lestrange".
Sa mâchoire se détendit pour le laisser hoqueter un mot, un son étranglé, malgré tout facilement reconnaissable mais qu'il n'avait pas verbalisé depuis des années, depuis... l'incident, et dont à l'écoute, les lèvres jusqu'alors pincées de sa mère par le souci, tremblèrent.

« Mum. »

Des années de non-dits naquirent et moururent sur les lèvres de Benjen à travers ces trois lettres. Une expression singulière passa alors sur le visage d'Altheda, joie irrépressible qui flaira immédiatement dans ses yeux et ses mains devinrent plus téméraires, comme poussées par cette appellation dont elle avait été privée durant des années, par sa propre faute. D'un simple mouvement, d'une pression contre la nuque de son fils qui avait été jusque là forcé de s'agenouiller pour continuer le contact visuel, elle l'attira contre elle et l'embrassa presque farouchement de ses bras, comme un noyé s'accrocherait à une bouée de sauvetage, comme si par cette simple étreinte qui était si doucereuse pour lui, elle pouvait offrir son propre dos au destin et protéger celui de son premier né. L'espace d'une seconde, Benjen se tendit contre elle, comme désireux de s'échapper de cette prison dorée dans laquelle elle souhaitait pour quelques minutes le faire prisonnier et puis, comme soudainement las de cette perpétuelle bataille, les épaules du jeune homme s'affaissèrent et lentement, presque avec précaution, il la laissa supporter tout son poids. Ses doigts sur son pull, qui semblaient ne pas savoir s'il allait en fin de compter la conserver contre lui ou la repousser, se détendirent en fin de compte. Apposant son front au creux de son cou et ce en dépit d'une hésitation mesurée comme s'il attendait un coup, un rejet à l'instant même où il baissait sa garde, Benjen ferma les yeux.
Et il se laissa bercer par le fredonnement familier que venait d'entamer sa mère, consolé par la main qui caressait inconsciemment ses cheveux, enveloppé dans son parfum floral. Ce ne fut pourtant que quelques minutes plus tard, lorsqu'il reconnut enfin l'air qu'Altheda humait qu'il finit par fondre en larmes tandis qu'un écho sournois de nuits si longues, bercées de regrets, roula sur le long de la joue de sa mère pour se perdre dans les cheveux noirs de Benjen.

No one's gonna hurt you,
no one's gonna dare.
Others can desert you-
Not to worry-
Whistle,
I'll be there.
Demons'll charm you with a smile
For a while.
But in time,
Nothing can harm you,
Not while I'm around.

La trève, enfin.