Lentement, mon doigt vient caresser ton visage. Pourtant, ce n’est pas la douce sensation de ta peau contre la mienne que je ressens. Ce n’est pas la chaleur de ton corps qui m’enveloppe tendrement. C’est la simple fraicheur de l’image. L’image de ton visage. Tu es belle maman. Si belle. J’aurais aimé te connaitre. J’aurais aimé sentir tes bras m’enlacer. Tes doigts me caresser. J’aurais aimé me perdre dans tes prunelles dorées sans pleurer cet amour regretté. Et alors, les yeux humides d’avoir trop pleuré, je me perds. Dans la solitude. Dans la culpabilité. Je m’égare dans les songes noirs d’un rêve sans espoir. Le rêve d’effacer le passé. Et de te ramener.
« m…maman … » Doucement, j’essuie mes yeux humides.
« …il…il m’a frappé… ». La marque de sa main orne encore mon visage enfantin. Je voulais simplement te connaitre tu sais. Mais il ne comprend pas. Il ne veut pas comprendre. Il me déteste trop pour ça. Et moi j’ai mal. Mal de sa violence. Mal de son indifférence. J’ai mal de ses mots. De ses gestes. J’ai même mal de ses pensées qui, pourtant, ne me parviennent pas. Je ne mérite pas de vivre. Pas en t’ayant tué. Tout le monde aurait été tellement plus heureux si j’avais été celui dont le cœur s’était arrêté de battre. Je sais qu’ils le pensent. Papa. Skyler. Ils le pensent si fort que j’en suis désormais persuadé. J’aurais dû mourir à ta place. Pour te laisser vivre. Et aujourd’hui, je le ferais si l’on me le demandait. Je mourrais pour te laisser revenir à leurs côtés. Pour le sourire de Skyler. Juste pour son sourire. Il est beau son sourire tu sais ? Il n’est jamais pour moi. Pourtant, parfois, je peux le voir. Là. Juste là. Au creux de ses lèvres. Tu l’aurais aimé maman. Tu l’aurais aimé. Il ressemble au tient. Cette petite fossette qui se forme à la commissure de ses lèvres. Je crois que tu avais la même. C’est celle de la photo en tout cas. Tu serais fière de lui si tu avais été là. Il réussit toujours tout. Je voudrais être comme lui tu sais. Avoir sa force. Son courage. Sa beauté aussi. Il est beau. Comme toi maman. Oui, c’est sûr, tu serais fière de lui. Il est le descendant parfait de la famille. Il est tout ce que je ne suis pas. Et moi je suis là. Comme un gamin égaré. J’ai dû me perdre maman. Je n’ai rien de leur prestance. J’suis un morveux moi. Un traitre. Un faible. J’suis un putain de gamin. J’suis pas un Rowle. Il me le dit souvent papa. Que je mérite pas son nom. Que je mérite pas mon sang. Je devrais être plus comme lui. Tu vois maman. J’aurais mieux fait de mourir. Vous auriez été heureux tous les trois.
Les genoux recroquevillés contre ma poitrine, je joue distraitement avec ma cravate noir et jaune en lisant une nouvelle fois le
Quidditch à travers les âges. Autour de moi, la salle commune se vide peu à peu. Mes paupières se font lourdes. Si lourdes. Pourtant, je refuse catégoriquement de me décider à aller dormir. J’ai peur. Peur de ce qui va venir hanter mes nuits. Peur de me réveiller en hurlant comme cela arrive si souvent. Ils me détestent. Les autres. De les réveiller, nuit après nuit. Et moi je m’en veux. Je m’en veux tellement.
« Joran…Viens… » Je redresse la tête vers lui. Mon meilleur ami. Je lui souris timidement, montrant mon livre en le soulevant légèrement.
« Je lis … » Il hausse les sourcils, s’approchant de moi.
« T’essaies de me berner avec ça ? P’tit con va. Aller viens. Tu dormiras avec moi ». Et moi je rougis. Comme un idiot. J’ai l’impression d’être un gamin dans ses moments-là. Quand je me glisse dans son lit parce que je suis incapable de dormir seul sans me réveiller en hurlant. Pourtant, je glisse mon marque page dans les feuilles usées du livre avant de l’abandonner là pour suivre le beau brun dans le dortoir des garçons. Sans un bruit, je me déshabille jusqu’à finir en boxer et me glisse dans les draps froids du lit voisin au mien. Un petit soupire de contentement s’échappe de mes lèvres lorsque la chaleur de son corps vient se coller contre ma peau. Son bras vient m’enlacer. Comme à chaque fois. Et doucement, il vient murmurer à mon oreille.
« Bonne nuit petit ange … ». Et je souris. Cette nuit, je dormirais. Contre lui, le sommeil est moins lourd. Moins pesant. Sa présence me rassure comme celle de Skyler le faisait des années auparavant. Lorsque je venais me glisser dans sa chambre pour m’endormir sur le sol froid dans le simple but de le savoir près de moi.
« Je … Je croyais que … ça te ferait plaisir de…de le savoir… » Son regard me glace le sang. Noir. Si noir. Je voudrais disparaitre. Me métamorphoser en souris pour ne plus sentir ce regard si dédaigneux sur moi. Il me déteste. Je voulais juste lui faire plaisir. Lui rapporter ce que le professeur de vol m’avait raconté sur maman. Pour qu’il sache lui aussi.
« Arrête de croire alors ! t'es pathétique ! Je ne veux rien savoir venant de toi ! Tu n'as pas le droit de me parler d'elle, t'entends ?! ». Ma gorge se serre et je reste comme un con devant lui. Lui qui, finalement, me tourne le dos pour repartir. Non sans m’avoir jeté un dernier regard glacial. Et moi j’reste là. J’le regarde partir, essuyant mes yeux d’un revers de main. J’aurais voulu être insensible à tout ça. Ne pas avoir aussi mal à chaque fois. Mais c’est plus fort que moi. Mon cœur se brise à chaque mot dur.
« Hey … Ca va aller … » Une main passe doucement sur mon dos, me faisant sursauter. Je me retourne pour découvrir un homme. Grand. Trop grand pour être un élève. Du moins. Je crois. Je souris timidement, les yeux encore plein de larmes.
« oui … je sais … » Ca va toujours. Toujours. De toute façon, je n’ai pas le choix. Ce ne sera pas mieux demain. Ni après-demain. Alors ça va. Comme on peut.
« Tu le connais … ? » Je ne peux laisser échapper un petit rire nerveux. Si je le connais …
« … C’est mon frère … » Et alors, je vois dans ce regard, ce petit éclair d’incompréhension. Mais pas de pitié. Et je déteste la pitié. J’hausse doucement les épaules.
« C’est rien vous savez … ».
C’est comme ça que je l’ai rencontré. Khalen. Je me sens bien avec lui. Il est ce grand frère que j’ai toujours cherché chez Skyler. Présent lorsque j’en ai besoin. Tendre et dur à la fois. Il m’aide à donner le meilleur de moi-même. A m’améliorer chaque jour pour atteindre cette perfection incarnée par mon grand frère.
Un petit grognement s’échappe de mes lèvres tandis qu’il vient doucement ébouriffer mes cheveux dans un petit rire. Je n’aime pas ça. Pourtant, j’ai fini par m’habituer. Allongé sur son petit canapé, je dévore le livre sur les dragons que Khalen m’a offert. Je m’évade dans ses bouquins, dans ses paroles. Je m’évade en rêvant de dragons. En le questionnant sur les loups garous et sur toutes les créatures que porte ce monde. Je crois qu’il aime ma curiosité. Mes rêves d’aventure. J’aimerais voyager comme il l’a fait.
« Oh doucement là ! On se calme ! Si je te vois encore t'adresser à ton frère de cette façon, passera tout ton samedi en heure de colle à récurer de la bouse de dragons... » Le regard de Skyler est sans équivoque. Il nous tourne le dos pour partir malgré sa furieuse envie de nous écrabouiller tous les deux. Et moi je sers le poing. J’attends qu’il ait disparu pour me tourner brusquement vers Khal.
« Putain ! Arrête ! Arrête de toujours vouloir me protéger ! ». Mon regard est noir. Je m’énerve rarement. Très rarement. Il m’a probablement jamais vu comme ça.
« J’suis plus un gamin ! » Je ne supporte plus ce regard paternel qu’il porte sur moi. Cette façon de me traiter comme un enfant. J’en peux plus de me sentir toujours aussi faible face aux autres. De me sentir toujours aussi protégé. Comme si je ne pouvais pas le faire moi-même.
« Arrête de me traiter comme … comme ton fils ! J’suis pas ton enfant ! J’suis un homme ! » Ton poing s’abat sur son torse. Pas violemment. C’est juste un geste d’agacement. J’oublie encore une fois que Khalen est mon professeur. Que je n’ai pas le droit d’agir ainsi. Pourtant je le fais. Je le fais avant de partir. De faire demi-tour pour partir sur les pas de mon frère.
Je ne suis pas un gamin. Je suis un Rowle.