Il l’avait su dès qu’il s’était glissé dans les draps sombres de son lit. Il ne parviendrait pas à dormir, à fermer l’œil de la nuit. Trop de choses le tourmentaient, trop de choses s’étaient produites qui venaient obscurcir son jugement. Pouvait-il encore faire confiance à Alesya ? Il l’espérait. Il espérait qu’elle réalise à quel point il pouvait être un élément décisif dans son organisation, nom choisi faute de mieux. Il n’en pouvait plus d’attendre, de ne pas savoir, d’être dans le doute. Ce sentiment le rendait fou, et dieu seul savait de quoi il était capable quand il était dans un tel état d’énervement. Il devait se calmer, vite, s’éloigner des autres élèves de sa maison qui risqueraient de se retrouver avec un bout de plafond à leur côté si il ne s’échappait pas de l’espace confiné des cachots. Il devait aller respirer l’air frais de l’extérieur si il voulait calmer la pulse de son cœur. Ses battements cognaient fort dans sa poitrine, il peinait à respirer régulièrement. Enfilant le premier jeans et t-shirt qui trainait là, il sortit en trombe du dortoir, mettant de la distance entre ceux qui pourraient subir les affres de sa colère grandissante. À dire vrai, cette colère n’était pas dirigé vers la Lestrange, mais vers lui-même, incapable de prouver à cette dernière qu’il était plus que apte à avoir un post important à ses côtés, qu’il était prêt à faire ce qu’elle voulait, du moment qu’il lui donnait une parcelle de son pouvoir. C’était tout ce qui l’intéressait dans le fond. Le pouvoir, faire ses preuves, enfin marcher dans les traces de son père, car c’était là qu’il devait commencer si il voulait réussir là où celui-ci avait échoué. Il voulait lui prouver à lui surtout que son fils n’était pas le bon à rien qu’il prétendait. La pensée de son père ne l’aida pas à se calmer. Le jeune homme appuya son front contre la cheminée en pierre froide ce qui aida à faire descendre la colère qui montait dans sa gorge, mais pas assez pour empêcher son poing de s’abattre lourdement sur le contour dur de l’âtre, mais il sentit à peine le choc effleurer la peau de sa main. Son regard se perdit alors dans les braises mourantes, dernière trace du feu qui avait brulé toute la soirée durant et qui serait rallumé avant que les élèves ne soient réveillés par les elfes de maison. Il entendit alors un bruit de pas qui l’obligea à se baisser. Il ne voulait pas être vu, mais voulait voir qui était cet autre individu qui venait se promener la nuit dans la salle commune. Il fronça les sourcils alors que la silhouette se dessinait dans l’obscurité. Il ne mit que quelques secondes pour deviner l’identité de la personne qui ne semblait pas l’avoir vu. Qu’est-ce que Lesya venait faire ici à cette heure aussi tardive ? Mais elle ne s’attarda pas, quittant les lieux aussi vite. Eliot y vit sa chance, aussi décida-t-il de la suivre, il voulait savoir ce qu’elle trafiquait, il en avait marre des cachoteries, il était temps qu’elle le mette dans la confidence. Il la suivit en silence, ne se faisant jamais remarqué. Enfin, ils pénétrèrent dans la forêt interdite. Il se dit que les choses deviendraient intéressantes, mais Alesya décida de s’asseoir sur une souche. Il resta dans sa cachette, observant ses moindres faits et gestes, ne comprenant pas ce qu’elle faisait là.

De l’air. Elle avait besoin d’air. Elle étouffait, son crâne semblait sur le point d’exploser, sa gorge était si nouée qu’elle aurait pu jurer qu’une force invisible s’amusait à l’étrangler, juste pour voir combien de temps elle serait à même de tenir sans oxygène, sans pouvoir respirer correctement. Elle hoquetait, elle haletait alors qu’elle cherchait, désespérément, sa baguette. Elle avait posé son arme le temps d’enfiler un large pull portant l’odeur de son ainé, vêtement volé pendant l’été, avant que celui-ci ne la blesse mortellement. Avait-il la moindre idée de la profondeur de la plaie ? Surement pas. Elle se vidait de son sang, métaphoriquement parlant et l’idée lui filait le tournis, la nausée. Elle avait besoin d’air, de sortir de là, alors qu’autour d’elle, ses camarades commençaient à bouger, à tourner, à se plaindre du bruit. Il ne lui restait que quelques secondes pour poser la main sur sa précieuse baguette et déguerpir, quelques secondes avant qu’une lumière ne s’allume et qu’elle perde, au passage, sa raison. Finalement, ses doigts se fermèrent sur un morceau de bois familier et alors qu’un éclair de soulagement remontait, de ses phalanges à son épaule, elle fondit en direction de la porte, mettant les voiles et s’enfonçant dans les boyaux de l’école.

Il fallait qu’elle sorte de là. Ses pas étaient pressés, frappant la pierre avec une vivacité propre à Alesya, à sa détermination, à sa rage, alors qu’elle avait de plus en plus l’impression que les murs se resserraient autours d’elle, sarcophage en devenir, tombe pour le peu de santé mentale qu’il lui restait. Elle devenait folle. Trop de douleur, trop de pression, trop de haine. S’avérait-elle à la hauteur ? L’Ombre n’était-elle pas plus grande qu’elle, plus grande que son désir de vengeance ? Elle sentit un point violent transpercer son cœur et accéléra le pas, traversant la salle commune des Verts et Argents sans même regarder si quelqu’un se trouvait là. Pas le temps. Pas l’envie. Elle voulait être seule et dans les couloirs la menant à la surface, puis à la sortie, elle se sentit prête à courir. Elle voulait que tout s’arrête, elle voulait revenir à cette époque où tout semblait plus simple, plus facile, où ses actions n’avaient guère de conséquences et où elle n’était pas épiée, pas prise en modèle. Elle voulait revenir à cette époque, surtout, où les alliances s’avéraient plus simple, où les désirs et les ambitions ne se mêlaient pas. Combien de fois avait-elle manqué d’y passer pendant le mois dernier et ce juste à cause des changements d’avis des uns, des autres. Piètre leader qu’elle était, incapable de discipliner ses troupes. Elle n’avait pas la poigne de Rohàn, elle avait besoin de lui… Plus que tout, elle voulait revenir à cette époque où ils formaient un duo plus qu’un duel. Sans lui, elle ne valait plus rien, à peine assez maligne pour se débrouiller.

Le souffle court, elle arriva dans la Forêt Interdite, réalisant à quel point elle se foutait bien de ce qui pourrait lui arriver. Prise dans les plis chauds du pull volé à son ainé, elle avança jusqu’à trouver une place, jusqu’à se laisser tomber sur un banc de fortune. Elle s’était voilée la face, elle ne pouvait pas y arriver seule et si Rohàn n’était plus là pour elle, il lui faudrait composer, impérativement, avant d’y laisser sa peau. Elle souffla, longuement, avant qu’un hoquet ne passe ses lèvres. Voilà pourquoi elle avait voulu être seule, voilà pourquoi c’était nécessaire. Elle se retrouva bien vite à sangloter comme une enfant, tordant ses mains pour se faire mal, pour canaliser cette détresse, pour se punir, aussi. Pauvre idiote, pauvre conne, gamine stupide… Elle remonta ses jambes, se retrouvant prostrée, fatiguée, tellement seule dans ses desseins trop sombres, trop belliqueux. Elle avait beau vouloir ce reprendre, ce soir, c’était impossible. Comme un milliard de vagues s’abattant sur elle, la peine et l’angoisse la submergeaient, lui donnant l’impression de se noyer dans une tempête qu’elle avait elle-même provoquée.

Il l’observa durant de longues minutes, se demandant ce que la verte et argent pouvait bien faire là à cette heure avancée de la nuit. Il hésitait à s’avancer, à se faire connaître de la jeune femme. Il ne voulait pas qu’elle pense qu’il l’avait suivi, même si c’était exactement ce qu’il avait fait. Elle ne semblait pas être là pour l’Ombre, mais pour elle seulement. Le regard du vert et argent se fit plus perçant, plus dur. Il ne voulait pas tomber dans un piège quelconque tendu par la Lestrange. Il savait à quel point elle pouvait se montrer fourbe et manipulatrice quand elle le désirait, surtout quand elle voulait quelque chose de quelqu’un. Il n’avait pas la certitude que la jeune femme ne l’avait pas repéré dans les couloirs du château, il n’avait pas la certitude non plus qu’elle ignorait réellement sa présence. Tout ceci pouvait être une comédie mise en scène par les talents de la Serpentard. Il n’était pas né de la dernière pluie et si il voulait travailler pour Alesya, il savait aussi qu’il ne pouvait pas avoir une confiance aveugle en elle. Elle pouvait l’utiliser, le jeter dès qu’elle le désirait, mais Eliot était fourbe lui aussi et il comptait bien prouver qu’il lui était indispensable. Là se trouvait l’occasion, se rapprocher d’elle, la réconforter, car elle semblait en avoir besoin. Depuis qu’ils se connaissaient, presque toujours donc, il n’avait jamais vu la jeune Lestrange dans cet état. Elle semblait douter. L’éclat de son regard ne laissait aucune incertitude quant à la bataille de sentiments qui semblait faire rage dans le cœur de la demoiselle. Eliot connaissait bien ce regard qu’elle arborait alors car il l’avait souvent vu dans le miroir. Suis-je suffisant ? Suis-je assez fort ? Vais-je réussir ? Tant de questions sans réponses que le jeune homme s’était déjà posé des centaines, que dis-je, des milliers de fois. Chaque matin, chaque jour, chaque instant. Eliot doute un peu plus alors que les années s’écoulent, mais ces doutes le font avancer, l’empêchent de perdre de vue son but ultime. Il aurait voulu avoir la force et la confiance qu’il laissait paraître, il aurait voulu que tout cela ne soit pas qu’une façade, une image qu’il renvoyait pour être craint, pour imposer le respect, mais dans le fond les doutes le rongeaient. Il voulait rendre son père fier, comme jamais il ne l’avait été. Mais le jeune homme avait plus de force qu’il ne voulait bien le croire.

Soudain, Alesya se mit à sangloter. Eliot soupira, il n’était pas vraiment doué pour réconforter les filles, il avait plutôt tendance à les faire pleurer. Il songea à Luce, il arrivait toujours à lui soutirer un sourire, en se comportant de cette façon avec la vert et argent, peut-être parviendrait-il à se rapprocher d’elle et à s’attirer ses faveurs. Le plan se dessina rapidement dans son esprit. Ils étaient déjà amis, autant qu’ils pouvaient l’être du moins, mais jamais il n’avait imaginé devenir réellement proche de la demoiselle. Il voulait qu’elle finisse par se confier à lui, à ce qu’elle lui fasse confiance. Il savait que la tâche serait ardue, extrêmement complexe même, rares étaient ceux qui s’attiraient les faveurs de la Lestrange, des membres de la famille en générale même. Et pourtant, le jeune homme était déterminé. Il voulait devenir indispensable à la vert et argent. Dans le fond, Eliot voulait être son bras droit, toujours être au courant de tout, toujours au milieu de l’action. Il prit une grande inspiration et oublia ses doutes pendant quelques instants. Il pouvait le faire, il pouvait se rapprocher d’Alesya.

Le jeune homme fit un pas, puis deux. Une branche craqua sous son pied, très vite il sortit de l’ombre pour que la Serpentard ne prenne pas peur. Il fallait dire que de là où se trouvait le jeune homme, elle n’avait pas grand chose d’impressionnant. Il se demandait pourquoi tant de gens craignaient ses accès de rage et de colère. À présent, il voyait une autre facette de la personnalité de la Lestrange, une fragilité qu’il ne lui connaissait pas, qu’il n’avait jamais aperçu dans son regard. Pourtant la faille était bien là, reflet de son cœur, de ses doutes, probablement. Il eut pitié d’elle. Son regard dur se radoucit, il plongea ses yeux gris-bleus dans ceux, sombres, de la jeune femme. « Alesya ? » il s’avança à nouveau, se retrouvant à quelques pas seulement de la brune. « Que fais-tu là ? ça ne va pas ? » il aurait voulu ne pas être aussi direct, craignait qu’elle n’agisse comme une biche effarouchée et ne lui file entre les doigts. Un frisson se glissa le long de son échine. Ce regard. Il ne le connaissait que trop bien. Il l’avait aussi souvent vu sur le visage de sa petite sœur. Eliot ne s’approcha pas plus, il aurait pu s’installer aux côtés de la Serpentard, mais il voulait d’abord savoir si elle le laisserait faire.