Il parait que je n’ai gardé aucune séquelle. C’est plus ou moins vrai, en fait. Je n’ai en effet aucun souvenir du jour où mes parents se sont fais choper. J’avais trois ans. Un groupe de sorciers appartenant à l’Ordre du Phoenix je crois. Ils ont débarqué un jour chez nous, mes parents ont voulu se défendre. Ça a mal tourné. L’un des mecs m’a retrouvé planqué sous la table de la cuisine. J’avais sous les yeux le cadavre de mon père et je ne pleurais même pas. Je devais être trop jeune pour comprendre ce qu’il venait de se passer, tout ça n’était pour moi qu’un feu d’artifice, une grosse blague d’adulte. Sauf que c’était pas drôle. Ma mère, elle, elle s’est retrouvée à Askaban. La prison d’où personne ne s’échappe, à ce qu’il parait.
On m’a confié à une famille de médicomages, la famille Forester qui était l’une des plus réputées de la région, à l’époque. Leur fils unique avait été tué dans la bataille. J’étais en quelque sorte le mioche de remplacement. Le cadeau pour service rendu à la nation. Ils avaient perdu un héros, on leur donnait un résidu de Mangemorts en réparation. C’était plutôt bancal, comme échange. Même moi je m’en suis rendu compte… Pourtant, ils se sont appliqués dans leur devoir de faux parents. Ils m’ont toujours fait croire que j’étais leur enfant, ils ont joué le jeu, ils étaient doués. J’ai très vite compris que je devais faire pareil moi aussi, même si j’ignorais pourquoi. L’instinct de survie probablement. Déjà tout petit, je me découvrais un talent pour tromper les gens. Je suis devenu ce qu’ils attendaient tous de moi, un enfant adorable, joueur, calme, studieux. Le pire, c’est qu’à force de faire semblant, j’avais l’impression d’être vraiment comme ça, je parvenais à me tromper moi-même, à me bander les yeux pour oublier cette fugace et constante sensation que quelque chose clochait dans notre groupe, sans que j’en sache la cause exacte. Nous étions une petite famille parfaite et heureuse, j’étais un fils très gentil et sociable, on ne s’était jamais plaint de moi en aucune manière. Donc là oui, en effet, je n’avais gardé aucune séquelle visible…

Assis dans l’escalier, j’écoutais. C’était ma spécialité. Ecouter ce qu’il se disait quand personne ne s’y attendait. Heureusement pour moi, alors que j’étais tranquillement assis dans l’escalier du premier étage, mes parents me croyaient en train de jouer au ballon dans le jardin. Quelques minutes plus tôt, deux hommes en capes noires étaient entrés dans la maison. J’avais l’impression d’avoir déjà vu cette scène quelque part, ça m’intriguait, alors j’étais discrètement rentré me poster à mon coin d’espionnage favoris. Un endroit qui convenait parfaitement pour cacher un enfant de sept ans. Ils s’étaient tous installés dans le salon et buvaient je ne sais quelle truc pour se détendre. La conversation était ennuyeuse, et je m’apprêtais à partir lorsque j’ai entendu mon prénom. Je me suis figé, retenant mon souffle. On parlait de moi ?
« … Elle sera exécutée dans 3 jours. Elle demande à voir son fils. »
« Il en est hors de question. Cléo a déjà assez souffert, il n’est même pas au courant ! »
« Pas au courant ?! »
« Nous avons pensé que cela serait mieux pour lui, pour se reconstruire… »
Un des hommes en cape poussa un soupir qui en disait long sur ses pensées. Ma mère ne lâcha plus un mot. Et moi… moi, j’avais le cœur qui battait à cent à l’heure et l’impression que d’un seul coup, toutes les pièces du puzzle s’emboitaient…

Après ça, je me suis mis à feuilleté frénétiquement les journaux dans l’espoir de dénicher un article qui aurait parlé de l’exécution de ma mère. Je me suis mis à regarder les infos avec mes parents, ça leur a fait plaisir, mais ils se trompaient sur toute la ligne quant à mes motivations. Quatre jours plus tard, j’ai fini par trouver ce que je cherchais. Trois minuscules lignes à propos de Kathlyn Robb, à qui les détraqueurs avaient abrégé les souffrances. Une ancienne mangemort qui, avec son mari, avait été accusé de trois meurtres. Il y avait également un hommage aux victimes du couple et ensuite, le journaliste enchainait sur la dernière visite du Ministre à la prison. Trois putains de lignes pour parler de la mort de quelqu’un. C’était tout.
Mes parents adoptifs ne surent jamais que je savais. Durant les années qui suivirent, je continuais de jouer le jeu de l’innocence. Je faisais comme si rien ne s’était passé, comme si j’ignorais tout du mensonge qui entourait ma petite vie bien tranquille. Je n’obtenais pas forcément les meilleures notes à l’école, bien au contraire. Je préférais passer pour le bouffon de service où bien le petit timide que la classe entière victimisait, parce qu’au moins personne ne s’intéressait à moi. J’étais l’élève sérieux qui se cale sans trop de mal dans la moyenne, mais qui est timide et sensible voyez vous, le petit qu’il faut laisser tranquille et protéger. C’est plus pratique d’être bien vu quand on est une victime que quand on est un petit rigolo. J’avais intégré très vite cette notion et je la mettais en pratique régulièrement. Même si pour ça je devais supporter les railleries et les moqueries, les bousculades….. si ça pouvait me permettre de lire mes bouquins en paix, soit. En réalité, si j’avais fait ne serait-ce qu’un minuscule effort, j’aurais aisément pu devenir un leader et le premier de la classe. Tout ça n’était qu’un jeu pour moi. Obtenir un treize au lieu d’un quinze, laisser Morgan casser mes lunettes pour la centième fois pendant la pause déjeuner. J’avais l’impression de danser sur un fil, je ne devais louper aucun pas sinon je risquais la chute mortelle. Je calculais tout ce que je faisais, j’envisageais ce que les gens pourraient en penser, ce que je voulais qu’ils en pensent, ce que je devais donc faire et comment je devais le faire, sous quel jour le présenter… A croire que j’étais né pour manipuler les gens. Tout ça pour que personne ne se rende compte qu’en réalité, j’étais le plus vicieux de la classe. J’avais accumulé en quelques années une haine et une rancœur à l’égard de ces gens qui s’étaient permis de foutre en l’air ma famille, ma vraie famille, celle avec qui j’aurais du grandir et être choyé. A douze ans, j’avais déjà en tête de les venger. Certains auraient put penser qu’il s’agissait là du caprice d’un gosse, que ça passerait avec le temps, c’était juste l’adolescence. Il n’en était rien, puisque cet esprit de vengeance me suivit au fil des années, grandissant même davantage…



J’entendis la porte de la cuisine sortir brusquement de ses gonds alors que mon père adoptif entrait dans la maison, le souffle court. Il semblait presser. Et il n’était pas seul. « Cléo ! Cléo, apporte-moi vite mes potions ! Dépêche-toi ! » Je laissais tombé mes stylos pour me précipiter sur ce qu’il m’avait dit de prendre et je me dirigeais en courant vers la pièce où ils s’étaient installés. Mon père avait dégagé le canapé, il y avait dessus allongé un garçon. Du même âge que moi. Je le connaissais, de vue du moins. Skyler Rowle. Le deuxième homme devait être son père, même si en fait, je n’en savais rien du tout. Les traits de Sky était déchiré par la douleur, impossible de savoir s’il avait une quelconque ressemblance avec celui qui s’agitait en tout sens autour de son corps torturé. « Aaaaah… » « Il souffre ! Dépêchez vous, faites quelque chose ! » L’inconnu déchira les vêtements pour dégager la blessure, une morsure aussi large que mon avant bras, béante et dégoulinante. Je n’ai pas détourné les yeux. Je tenais la malle de mon père, pleine de potions. Je lui servais souvent d’assistant lors de ses interventions. Il voulait sans doute que je prenne la relève, par la suite. Alors je ne devais pas détourner le regard, tandis que M. Forester mélangeait divers produits le plus rapidement possible, en renversant un peu au sol à chaque mouvement hâtif. L’enfant sur le sofa commença à se débattre. Mon père lui posa une main sur le front pour le forcer à se rallonger. « Je vais mourir… ? » « Non, tu vas t’en sortir… Mais ce n’est pas une blessure comme les autres Sky, tu le sais, n’est-ce pas ? » L’intéressé resta très calme. Moi-même j’en fus étonné... « Ce n’est vraiment pas beau à voir… » « Il aurait pu y rester, il a eu beaucoup de chance que vous le trouviez à temps M. Rowle… » Mon père termina la potion et glissa le liquide visqueux entre les lèvres du blessé. Ensuite, il me dit de quitter la pièce, et il resta encore quelques heures au chevet de Sky avant que celui-ci ne puisse rentrer chez lui.

Après cet incident, on m’a interdit de m’approcher de Skyler. Ça ne me posait aucun problème, je ne lui adressais déjà pas la parole en temps normal. Même si savoir qu’il était devenu un loup garou m’avait rendu curieux à son sujet, je ne cherchais pas à désobéir à cet ordre strict. C’était bien moi, le fils de la famille Forester, toujours obéissant et souriant. Quand j’ai eu aux alentours de quatorze ans je crois, j’ai commencé à faire des recherches sur ma famille. J’ai découvert que mon père s’était fait tué lorsque l’équipe envoyée pour les emprisonner avait forcé la porte. J’habitais dans un petit village non loin d’ici, et un jour je m’y rendis. La maison était restée inoccupée. Ça ressemblait à une maison abandonnée comme beaucoup d’autres, le jardin autrefois bien entretenu avait repris son état sauvage, certaines vitres étaient cassées, la porte mal fermée. Tout était poussiéreux, sale, plein de terre et de rouille. J’ai retrouvé énormément de livres et d’albums photos. Moi avec ma mère, moi dans la balançoire, moi en train de souffler mes 1 ans, le mariage de mes parents, mon père regardant la télé avec une tasse de café. Des trucs banals, tout ce qui touchait à la magie avait été soigneusement effacé, je suppose, au cas où un moldu se serait introduit dans la maison pour fouiller. Ce qui avait dut arriver, étant donné qu’il ne restait plus aucun objet de valeur. Décidément, les gens n’avaient aucun respect. J’embarquais avec moi tout ce que je pus trouver et je revins dans la maison régulièrement pour fouiller à la recherche de nouveaux souvenirs. Jusqu’à ce qu’un jour, le destin me joua un petit tour très agréable. Tout n’avait pas été effacé… en fait… il restait un livre. Un seul. Il traitait de la magie noire, pour n’importe quel moldu, il aurait passé pour un bouquin fantaisiste et farfelu, mais pour moi, il représentait ce que j’avais toujours espéré. Le moyen de venger mes parents.

Ce sont les moments forts qui ont marqué ma vie, et à présent je suis en septième année de Poudlard. Je m’appelle Cléo Ysatis Forester. Vous me croisez tous les jours dans les couloirs sans me voir, je suis timide et incapable de faire du mal à une mouche, souriant, amical. Vous avez peut-être déjà cassé mes lunettes d’intello en me bousculant et ça vous a fait marrer. J’étudie la magie noire quand je suis seul parce qu’un jour, je vous tuerais peut-être. Je suis froid, calculateur et j’ai passé mon existence entière à manipuler ceux qui m’entouraient. Alors si vous croyez être plus malin que moi, je vous en prie, amusez moi.

SEE YA, MOTHERFUCKA'.