Introduction à la perfection.
Devenir un grand homme ne se fait pas du jour au lendemain, la fabrication d'une personnalité importante de la société prend du temps, de l'énergie et de la patience. Remington Bloodworth avait toujours été ambitieux, d'aussi loin qu'il s'en souvenait il avait toujours eu des rêves de grandeurs. Sa scolarité à Gryffondor, sa place dans l'équipe de Quidditch, ses résultats, les gens qu'il fréquentait... Toute sa vie rendait très bien sur papier. Il avait intégré l'université d'Edimbourg pour devenir Auror. En dehors de son ambition, Remington n'avait pas grand chose, fils d'une famille aisée, sang-pur jusqu'à la génération de son grand-père, nom respecté bien que méprisé par les nobles familles ayant choisi de suivre Lord Voldemort durant la guerre. Les Bloodworth étaient réputés pour leur droiture, pour leur profond attachement au bien-être commun, à leur capacité à se sacrifier pour leur idéal. Mais ils n'avaient que trop rarement atteint les hautes sphères du pouvoir et Remington comptait bien faire changer cela. Il voulait que son patronyme soit connu de toute l'Angleterre, que son nom paraisse dans les journaux, qu'on lui accorde le respect qu'il méritait pour ses talents. Sans mettre son bonheur en danger il avait mis au point un plan. Tomber amoureux d'une femme de bonne famille, l'épouser et lui faire des enfants, élever ces enfants afin qu'ils puissent faire briller son nom aux yeux de la prochaine génération et enfin se faire un nom par lui-même.
Première étape : la femme parfaite.
La réception battait son plein, Remington naviguait entre les tables de convives accompagné de son patron. Il était impatient de la rencontrer, pas qu'il cherchât à se caser, il avait par mégarde mis enceinte une vélane l'année passée et ne courrait pas après l'amour ces temps-ci, bien trop préoccupé qu'il était par sa carrière prometteuse.
« Victoria, ma chérie, je te présente mon poulain, Remington Bloodworth. » Du haut de ses vingt-sept ans, la fille du chef du bureau des aurors dévisageait ledit poulain. Grand, élancé, bel homme, il avait cette étincelle de charisme qu'ont les grands hommes sur le point d'éclore.
« Le dernier protégé auquel il m'a présentée s'est fait tuer par un éleveur de licornes devenu fou, j'espère que vous tiendrez plus longtemps... » Il la voyait venir, la jeune femme de bonne famille, doctorante brillante. Victoria Robards était la plus jeune spécialiste des civilisations atlantes et akkadiennes d'Angleterre. Elle cherchait à le provoquer, à le tester. Pour s'assurer que sa soirée ne serait pas trop longue vraisemblablement.
« C'est moi qui ai mis fin à cette débâcle. » lança-t-il avec un sourire réellement amusé quoiqu'un peu trop enjoué. Du coin de l'oeil Gawain les surveillait grimant d'être emballé par la conversation que lui offrait son voisin.
« Je suppose que vous n'êtes pas totalement incompétent alors. » Le rire que laissa échapper le chef du bureau des aurors les fit tous les deux sourire. Il les écoutait sans prendre vraiment la peine de se montrer discret. Remington le savait, c'était le moment pour faire un pas dans la direction de la sublime créature que son patron avait mis sur sa route.
« Laissez-moi vous le prouver, une danse. » « Et il sait danser... mon très cher père vous a bien façonné.» Remington frissonna à l'idée qu'elle soit sérieuse. Gawain était son mentor, mais le jeune auror se plaisait à se penser autodidacte. Ambitieux et déterminé à faire ses preuves, il ne voyait cependant aucun mal à profiter de la compagnie de la fille du boss pour se faire bien voir... et hériter d'une ou deux missions à haut risque supplémentaires.
« Je vous en prie, amusez-vous. » Bien qu'il eut la sensation qu'on leur donnait la permission de minuit, il saisit la main de sa nouvelle partenaire de valse et s'éloigna à ses côtés sur la piste.
« Vous avez conscience que ceci est un coup monté par mon père pour me trouver un prétendant qu'il juge digne n'est-ce pas ? » Offensive et quelque peu méprisante. Elle méritait bien sa réputation. Remington n'était cependant pas le genre d'homme à se laisser démonter par si peu.
« Je n'avais aucun doute là-dessus. » « Et vous-avez accepté quand même ? » Il l'avait surprise, ce qui signifiait qu'elle le sous-estimait. Comme beaucoup de Serdaigles ayant réussi après leurs études à Poudlard, Victoria était tellement sûre de sa supériorité intellectuelle qu'elle en venait à oublier que les autres aussi avaient un cerveau.
« Oui. » « Vous devez avoir très envie de lui prouver votre dévotion. » Encore une fois elle se trompait, partiellement du moins, car si la dévotion était une des raisons pour lesquelles il avait accepté de se pointer à cette soirée, elle n'était pas la seule. La politique était une affaire d'hommes et Remington savait bien que pour s'assurer un avenir dans la haute société magique, il devait y faire ses entrées le plus jeune possible. Aussi se servir de son patron, ou de sa fille, pour ça n'était qu'un moyen parmi d'autres. Et puis...
« Pas vraiment, j'ai entendu dire que vous aviez rejeté tous vos soupirants. J'aime les défis Victoria. » Il y avait ça aussi. Cette jeune femme qui se taillait une réputation de dure à cuire, intraitable en amours... tout ce qu'il lui fallait.
« Bien joué. » Il savait qu'il avait piqué son intérêt en ayant un coup d'avance sur elle, mais il devait concrétiser l'essai pour s'assurer qu'elle ne prenne pas congés de lui après ce morceau.
« Et j'avais très envie de danser avec vous une nouvelle fois. » « Une nouvelle fois ? » Elle devait avoir l'esprit plein d'histoires lugubres sur des civilisations mortes depuis des centaines d'années, elle avait toujours été comme ça. D'aussi loin qu'il s'en souvienne Remington se rappelait de la réputation qu'avait eu Victoria quand il était encore à Poudlard, un an plus vieux qu'elle. C'était une des plus brillantes élèves de sa promotion, une véritable tête à qui aucune épreuve théorique ne résistait. Cependant il semblait que ce soir il était le seul à se souvenir d'elle, de cette danse qu'ils avaient échangé lors d'un bal lorsqu'il était en sixième année. Il avait bien vieilli, elle n'avait pas changé, elle était toujours aussi belle, aussi gracieuse et en un sens aussi charismatique.
« Vous comprendrez bien assez vite. » Prenant sa main alors que la musique s'estompait il l'attira vers ses lèvres, en parfait gentleman il la raccompagna à leur table et lui proposa une coupe de champagne sous l'oeil protecteur de son patron.
Seconde étape : les enfants parfaits.
« Enguerrand ! Elizabeth ! Eris ! Descendez ! » Dans les escaliers du manoir londonien les pas pressés des enfants se faisaient entendre. Du haut de leurs sept ans les jumeaux allaient assister à la soirée d'intronisation de leur père en tant que Chef du bureau des Aurors. Leur grand-père venait de prendre sa retraite, laissant à son gendre le poste qu'il avait occupé pendant près de quinze ans.
« Laissez-moi voir vos tenues. Très bien, très bien... Eris remonte te coiffer. » Sa fille aînée avait une façon de défier Victoria qui déplaisait à Remington, tout en l'amusant secrètement. Cependant cette soirée n'était pas sujette à devenir une distraction et ses enfants devaient comprendre cela. Cette soirée changeait tout pour eux, elle couronnait quinze ans de loyaux services et de travail acharné.
« Mais... » « Pas ce soir Eris. Sienna occupe-toi de ses cheveux. » L'elfe de maison accourut d'un pas maladroit et attrapa la main de l'aînée des enfants, elle était toujours prompte à répondre aux ordres de Remington.
« Bien maître. » Alors que l'elfe entraînait déjà Eris dans sa chambre pour refaire sa coiffure, les jumeaux restaient cois, comme ils étaient supposés le faire.
« Enguerrand, tu es très beau ce soir. Tu te souviens de ce dont on a discuté ? » Les leçons éducatives paternelles étaient précieuses, parce qu'elles étaient rares et parce qu'elles venaient d'un homme qui recevait les honneurs des plus hautes sphères. Les enfants Bloodworth étaient introduits aux notions de respectabilité et de bienséance dès leur plus jeune âge.
« Oui ! » « Et toi Lili ? » « Oui. » « Montrez-moi. » Attendant calmement, légèrement amusé par la petite mise en scène que ses enfants préparaient, Remington se surprit à songer qu'ils avaient encore grandi. Entre les missions et les périodes de travail au bureau, il ne voyait pas beaucoup les jumeaux. Mais ses pensées furent chassées par Elizabeth qui, dans un geste théâtral dont elle seule avait le secret, imita ce à quoi ressemblait une adulte à travers les yeux d'une enfant de sept ans.
« Alors Enguerrand qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » « Je veux être comme Papa, je veux chasser les mauvais sorciers et faire régner la paix. Et toi Elizabeth ? » Un petit sourire se fixa sur les lèvres fières de Remington alors qu'il entendait son fils, sincère comme à son habitude, exprimer le vœu de suivre ses pas.
« Je veux être la cinquième femme Ministre de la Magie. » Encore une fois il ne put s'empêcher d'intervenir. Si sa fille tenait de sa mère pour son intelligence, elle en avait aussi hérité son entêtement.
« Elizabeth ! » « Quoi ? » Il la voyait prendre peu à peu le même ton qu'Eris, un peu plus indépendante qu'Enguerrand, un peu plus encline à le défier aussi.
« Je t'ai déjà dit que ce n'était pas une façon de s'exprimer. Tu vas passer pour une idiote si tu dis ça. » « Mais c'est la vérité ! » L'agacement paternel s'évapora, même s'il imaginait volontiers sa fille inscrire leur nom de famille s'inscrire dans l'Histoire pour être la cinquième femme à accéder au rang de Ministre de la Magie, il ne pouvait tolérer qu'elle se ridiculise ce soir. Elizabeth devait apprendre à ne pas se montrer trop franche. Il l'ignorait alors, mais cette leçon, la jumelle ne la retiendrait que trop bien.
« Lili, tu ne dois jamais tenir ce genre de propos devant des adultes. Dis-leur que tu veux être haute fonctionnaire au Ministère, compris ? » « Oui Papa. » Boudeuse elle se détourna de lui. Il le voyait dans sa moue, elle ne démordrait pas de son idée, mais il la savait assez futée pour ne pas le mettre en colère ce soir.
« Crois-moi, c'est en te faisant remarquer pour tes qualités que tu obtiendras ce que tu voudras, pas en clamant haut et fort ce que tu désires. » « C'est comme ça que tu as obtenu le poste de chef de bureau des Aurors Papa ? En faisant remarquer tes qualités à Grand-Père ? » Il savait ce qu'elle sous-entendait, et cela ne lui plaisait pas. Des trois enfants, c'était sa fille, l'enfant de vélane, qui représentait le plus grand challenge. Enguerrand était le plus doux, Eris la plus hostile, Elizabeth était un mélange des deux, ce qui ne la rendait pas plus simple à gérer parce qu'elle avait cette fâcheuse tendance à être aussi sournoise que sa sœur mais à le camoufler sous la douceur de son frère.
« Eris tu es bien plus jolie comme ça. J'apprécierais que tu te tiennes correctement ce soir, pour moi. » Eris, comme toute demi-vélane, était très sensible aux compliments. Sa mère était une créature sublime, dont la beauté était indéniable. Si Eris détestait tant Victoria, sa belle-mère, c'était probablement parce que celle-ci n'était sensible à aucun de ses charmes, qu'elle l'avait tout de suite mise sur un pied d'égalité avec les jumeaux et avait tenté de la dresser comme on dompte un animal, sans comprendre qu'il valait mieux la caresser dans le sens du poil.
« Je vais faire un effort. » Remington embrassa ses trois enfants, accordant une tendresse particulière à la plus âgée. Si elle se tenait bien les deux plus jeunes prendraient exemple et la soirée serait paisible.
Troisième étape : l'emploi parfait.
« Avertissez le groupe que je me rends sur place. » Depuis son bureau, regardant en direction d'un mur de miroirs à double-sens, Remington suivait plusieurs missions en cours sur le terrain. L'une d'elles était sur le point de s'achever et nécessitait son attention.
« Monsieur vous êtes sûr ? Cette mission est en cours depuis deux mois... » Le regard qu'il lui lança fit frémir la jeune femme. Il appréciait le calme de son bureau, l'aspect politique de son labeur était lui aussi appréciable. Néanmoins il ne supportait pas de voir ses hommes sur le terrain, conclure une mission difficile et dangereuse sans lui. Au fond, Remington était un homme de terrain qui se complaisait dans sa position de supérieur hiérarchique.
« Asmodea, merci de votre vote de confiance. Mais je ne compte pas laisser la moindre chance à ce projet d'échouer. Si vous connaissez quelqu'un de mieux placé que moi pour réussir je vous en prie, faites-moi une suggestion. » Son ton ne laissait pas beaucoup de place à la discussion et la petite assistante de direction ferait mieux de le comprendre.
« Je suis désolée, ce n'est pas ce que je vo... » « Appelez-moi Kingsley, je vais avoir une mission pour lui. » Elle l'avait agacé et maintenant elle allait en subir les conséquences. Joindre Rosenbach était particulièrement pénible. Leur inimitié était légendaire depuis le jour où ils s'étaient rencontrés. Elle le méprisait et le trouvait insupportable.
« Pour Kingsley ? » Son étonnement et son expression dégoûtée en disait long sur l'enthousiasme que provoquait l'idée de convoquer Kingsley, qu'elle considérait comme un incompétent présomptueux suscitait chez elle.
« Aux dernières nouvelles vous êtes ma secrétaire et Kingsley est encore mon adjoint. » « Je vais l'appeler. » « Et prévenez Amarrisa de mon arrivée imminente. » Un peu résignée, Asmodea opina, elle savait depuis qu'elle travaillait pour le chef du bureau des Aurors que contester une décision n'était pas une bonne idée et que, même si cela l'avait été, elle n'aurait pas était en droit de le faire.
« Bien. »« Remington vous avez réquisitionné ma présence par décret royal ? » Le ton narquois, un peu trop enjoué de son adjoint l'irrita presque aussitôt. Ce type avait toujours été un brillant sorcier, mais sa condescendance, son arrogance et sa façon de s'exprimer avaient tendance à mettre Remington sur les nerfs.
« Kingsley, te souviens-tu de ton passage à Poudlard ? » Une époque maudite par beaucoup de souffre-douleur. Remington avait été un élève remarquable, talentueux à souhait et connu pour avoir été un joueur de Quidditch plutôt doué.
« Plutôt bien. » « L'as-tu apprécié ? » lança le patron à son employé avec un petit sourire amusé. Cette conversation était tout bonnement hilarante. Il savait où elle finirait alors que Kingsley avançait dans le brouillard avec pas mal de prudence.
« Je ne suis pas triste qu'il soit derrière moi. » « Il ne l'est pas. » La bombe était lâchée et Remington ne pouvait pas dire qu'il était déçu par la tête que son adjoint faisait maintenant qu'il comprenait où voulait en venir son employeur.
« Pardon ? » « Tu vas retourner à Poudlard, travailler avec le directeur. » Pour être honnête, Remington appréciait son second, il le trouvait particulièrement distrayant même s'il avait une tendance à être un peu vulgaire. Cette caractéristique avait tendance à s'exprimer bien trop souvent au goût du distingué chef du bureau des Aurors.
« Bordel de merde ! » et s'il tolérait qu'il parlât comme un charretier à ses subordonnés, Remington n'était pas du genre à accepter qu'on parle ainsi en sa présence.
« Rosenbach ! » gronda-t-il d'une voix que les autres savaient ne pas devoir contredire.
« BLOODWORTH ! » Kingsley n'était pas les autres. Il était trop impulsif, trop impétueux et c'était le genre de comportement que le susnommé Bloodworth devait mater.
« Un ton plus bas. Immédiatement Kingsley. » « Fait chier. » cracha-t-il dans sa barbe.
« Je te conseille de prendre cette mission comme un test de ta capacité à être diplomate. Qui sait ce qui pourrait en ressortir ? » La carotte pour faire avancer l'âne. C'était toujours une stratégie qui fonctionnait. Kingsley et Remington avait une histoire, ils avaient toujours eu un rapport conflictuel. Au fond le chef des aurors avait toujours pensé, paranoïa ou non, que son second cherchait à prendre sa place.
« Je vais leur faire vivre un enfer. » La réaction typique d'un Kingsley Rosenbach frustré et sur le point d'exploser.
« Tu peux faire ce qu'il te chante. » « Parfait ! » « Juste pour que ce soit clair, tu fais ce qu'il te chante mais si les événements échappent ne serait-ce qu'un peu à ton contrôle... » Après la bombe, après le cadeau, les menaces. Une technique classique mais efficace.
« Qu'allez-vous faire ? Me donner la fessée ? » L'image aurait pu être amusante si Remington n'avait pas été aussi répugné à l'idée même de toucher le postérieur de son second.
« Je prendrai les choses en main et je m'assurerai que tu retrouves la place que tu occupais à Poudlard avant que je ne quitte les lieux. Et qui sait, peut-être que j'irai jusqu'à revoir ta position dans ce bureau. » Leur histoire était un peu compliquée, mais vivre dans l'ombre de Remington à Poudlard puis au sein du bureau des aurors, n'avait certainement pas aidé Kingsley à se sentir le bienvenu dans ce bureau.