Enfin. Elle refait surface, reprend le dessus. Enfin, elle efface cet autre qui ne devrait pas être là, qui aurait dû disparaître depuis longtemps. Enfin, elle reprend le contrôle, réduit le double à néant, juste une voix dans le fond de sa conscience, une voix qu’elle ignore aisément. Un sourire s’étire sur ses lèvres rouges, elle devient plus forte. Jour après jour, elle parvient à mieux se battre contre le parasite qui occupe son corps. Pourtant l’Autre n’est pas facilement battable. Elle se bat, elle aussi. À chaque instant, elle combat et il faut admettre qu’avec le temps elle a réussi à faire ses armes. Mais elle n’est pas assez forte, pas assez déterminée. Il lui suffit de se glisser dans ses moments de doute pour prendre le dessus, pour la mettre au tapis et la remettre dans l’ombre, là où est sa place véritable. Elle s’étire, comme si elle avait dormi pendant trop longtemps, ce qui est le cas en un sens. Elle sent ses muscles se détendre, serre et dé-serre la main pour prendre pleinement possession de chacun de ses membres. Elle sent son cœur battre dans sa poitrine, le sang pulser à travers ses veines. Elle se sent en vie et ce sentiment n’est pas égalable. Jane se redresse, s’observe dans le miroir et une moue déçue se glisse sur son visage. Dieu que son hôte est une prude. Elle remonte la jupe de l’uniforme de la rouge et or et dévoile plus de jambes que le veut la tradition. Elle se débarrasse rapidement du cardigan informe et passe quelque chose de plus saillant, déboutonnant au passage la chemise fermée jusqu’au col. Cela commence à plus lui ressembler. Enfin, elle glisse une main dans ses cheveux pour ôter l’élastique qui retient la chevelure d’Ivy et laisse tomber cette dernière librement sur ses épaules. Enfin, un nouveau sourire se dessine sur ses lèvres, elle est prête.

Après avoir luté toute la journée pour prendre le contrôle sur son ôte, l’ancienne sorcière se sent quelque peu fatiguée, mais elle sait que son énergie va vite revenir. Elle n’est pas encore assez forte pour prendre le dessus sur Ivy à volonté. Elle doit attendre que la sorcière soit plus faible, ne peut apparaître que lorsque la Rouge et Or perd son optimisme et commence à broyer du noir. Ces moments-là sont toujours les plus propices à Jane. Elle peut alors se glisser au travers des failles mentales de la jeune femme et la réduire à son tour à l’état d’observateur silencieux. Et encore. Si Jane ne veut pas qu’Ivy soit témoin de quelque chose, cette dernière ne pourra rien voir, rien entendre. Comme aujourd’hui. Aujourd’hui, elle devra disparaître totalement, car la vieille sorcière a un rendez-vous important et elle ne veut pas laisser filer des informations susceptibles d’aider le camp de son hôte. Ivy en a encore conscience, elle sait qu’elle va finir par disparaître au cours de la journée, ce qu’elle ne peut supporter. Jane la sent lutter, elle sait que la petite veut reprendre le contrôle, qui ne le voudrait pas, mais elle ne peut pas la laisser faire, pas aujourd’hui, pas maintenant. Plus tard peut-être, quand elle sera trop épuisée pour combattre vraiment, quand elle aura rencontré celui qu’elle doit voir.

Alors elle sort, ignore ceux et celles qui tentent de l’intercepter. Elle a été claire. 22.00 tapantes dans les cachots, juste après le couvre-feu. Personne ne les verra, elle le sait. On ne les entendra pas non plus. Il n’y aura personne à cette heure-là dans les environs, il le faut. Leur mission est trop importante. Ses pas glissent sur le sol, elle ne fait pas de bruit, se déplace telle un chat que personne ne pourrait entendre. Elle n’a pas besoin de lumière non plus, sait où aller, vers où se diriger. Elle connaît à présent le château par cœur, sait où se glisser, où tourner. Seul élément pouvant la ralentir, les escaliers. Si ces derniers décident de l’envoyer ailleurs, elle devra avoir recours à la magie, ce qui risque de l’épuiser, mais qu’importe. Elle a du temps, elle le sait, et elle sent l’énergie se répandre dans son corps, un simple sort de lumière ne devrait pas poser de problème. Elle évite les portraits, ne se fait connaître de personne. Quand, enfin, elle arrive à destination, elle n’a pas de mal à reconnaître la silhouette du jeune homme qu’elle est venue rencontrer. Ce n’est pas un rendez-vous galant, elle n’a pas le temps de se lancer dans des histoires d’adolescents, mais bien un rendez-vous professionnel. Un sourire sans joie apparaît sur son visage, ses yeux sont froids comme la glace. « Bonsoir Charles. » La voix d’Ivy a parlé, mais ce n’est pas sa voix, pas vraiment. Il y a dans le ton une pointe de glace prête à vous transpercer le cœur, quelque chose de menaçant qui ne serait jamais apparu si la Rouge et Or avait réellement parlé.

Quand était-elle apparue pour la première fois ? Elle n’aurait su le dire tant l’évolution avait été lente, laborieuse. Elle n’était qu’une voix alors, une voix qui se glissait dans les rêves de la petite Mulciber, une voix qui dictait à la jeune fille ce qu’elle devait penser ou faire. Mais déjà à l’époque, Ivy luttait, résistait. Elle ne pensait pas comme cet Autre, ce parasite qui s’était logé en elle. Elle en était même le parfait opposé, tant et si bien que Jane se demandait souvent pourquoi elle était réapparue à cette époque-ci au lieu de la précédente. Peut-être devait-elle nécessairement renaître dans le corps d’une femme, ce qui expliquait dès lors bien des choses. Elle était devenue plus forte, de jour en jour, de mois en mois, d’année en année. Elle avait fini par avoir un pouvoir plus important sur son hôte, une influence plus importante, jusqu’à enfin parvenir à la posséder complètement. Cela avait commencé quand elle avait jugé que la jeune fille était prisonnière de ses parents, qu’ils étaient devenus inutiles dans le plan que l’ancienne sorcière dessinait. Certes le père possédait les mêmes idéaux, mais il avait déjà échoué par le passé. Il n’avait pas réussi à imposer sa volonté sous l’ancien régime, il ne serait pas plus utile aujourd’hui. Voldemort avait raison à l’époque, c’était la jeunesse qu’il fallait assujettir avant tout, car ils étaient l’avenir. Ce qui expliquait pourquoi Jane appréciait le fait que la jeune Ivy soit toujours à Poudlard. De là, elle pouvait avoir une idée sur ce qu’il se tramait au sein de l’école, être au courant des actions portées par l’Ombre. Un sourire mesquin s’étire sur ses lèvres, un sourire presque … joyeux, chose inhabituelle pour la sorcière. Elle est de bonne humeur. Le sourire est presque nostalgique alors qu’elle se retrouve dans ces cachots qu’elle a si bien connus. Le 17ème siècle paraît si loin, et pourtant elle n’en a rien oublié. Les choses n’ont pas tant changé, on reconnaît l’envie de garder l’héritage légué par les anciens, et dans le fond, cela lui plait. Jane est plutôt conservatrice, elle n’aime pas ce nouveau monde dans lequel elle a émergé. Poudlard est la seule constante de cette nouvelle vie.

Elle vit de loin le sourire se glisser sur les lèvres du jeune homme. Leur réunion pouvait commencer. Elle sentait Ivy se débattre au fond de sa conscience, fermer son esprit, ses souvenirs, mais il était trop tard, Jane avait déjà aperçu ce dont elle avait besoin. Elle enferma Ivy dans cette cage mentale et lui cacha la vue. Elle ne devait pas savoir qu’elle était en contact avec Charles, encore moins que ce dernier faisait partie de l’Ombre. L’équilibre des choses reposait sur ce secret, car si son hôte venait à apprendre que le rouge et or était dans l’autre camp, elle ne donnait pas cher de sa peau. L’Ordre s’était organisé ces derniers temps, prêt à agir, prêt à attaquer à son tour. Les récents évènements avaient bousculé les leaders du groupe, les obligeant à prendre les choses en main à leur tour. « Aucun problème sur le chemin ? Quoi de neuf depuis la dernière fois ? » Le sourire disparût, à nouveau un regard froid se glissa sur le visage de la jeune femme, ce même regard qui n’appartenait pas à Ivy. Quiconque connaissant bien Ivy pouvait facilement remarquer la différence. Elle ne tenait pas à grand chose, pourtant elle était là. Des petits détails, ce regard, ce sourire, cette voix, le maintient de la sorcière, beaucoup plus assuré quand Jane prenait le contrôle. « Tu sais que je ne commets jamais d’erreur Charles. » voix solennelle, presque méprisante. Des problèmes sur le chemin ? Si il y en avait eu, serait-elle là ? Non, évidemment. Elle aurait rebroussé chemin et n’aurait rien fait pour mettre son secret en danger. Tout était parfaitement orchestré pour que personne ne découvre qui se cachait derrière les jolis yeux d’Ivy. Elle n’était pas imprudente, quoiqu’il lui arrivait de s’emporter.

« Alors, qu'est-ce que tu as pour moi ? Qu'est-ce qu'il se trame dans l'Ordre ?  » Quelle impatience. Elle le comprenait, après tout. Il était jeune, un fou à ses yeux. Mais il avait su prouver sa valeur, à présent, il devait lui prouver son utilité. Elle fit quelques pas, prétendant être entrain de réfléchir. Elle aussi choisissait subtilement chaque information qu’elle lui donnait. Elle ne voulait pas qu’il se croit trop puissant, encore moins plus puissant qu’elle. Et le ton qu’il venait d’employer ne lui plaisait guère. « Patience. Tu n’obtiendras rien de moi si tu emploies ce ton. N’oublie pas qui je suis, ce que je représente pour toi. Sans moi, tu ne serais rien, qu’un petit sorcier de pacotille qui désire s’élever dans les sphères du pouvoir, mais qui n’en aurait pas les moyens. » La menace était là, bien présente comme le ton de la sorcière le laissait sous-entendre. Elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds, pas par un Gryffondor. Car il avait vu juste, elle avait bien été une Serpentard en son temps, méprisant les autres maisons, ou pas dans le fond, car les autres ne lui importait guère, tout ce qui comptait pour Jane à l’époque était sa propre réussite. C’était pourquoi elle se reconnaissait en Charles, il était animé de la même flamme qu’elle à l’époque. Elle lui pardonna alors son impatience, son insouciance et lui sourit, comme un maître sourirait à son élève. « Je t’ai déjà donné énormément d’information jusqu’ici Charles, mais je n’ai toujours rien reçu en retour. Je viens à me demander ce que ce partenariat m’apporte. Qu’as-tu à ME donner ? » Elle déchiffra son visage et sourit de plus belle. « Ne t’en fais pas, tu auras aussi quelque chose à te mettre sous la dent, mais j’ai besoin de savoir que nous échangeons ici des informations et non que je suis la seule à faire tout le travail. »

Froissée ? Non. Jamais. Elle ne se froissait pas pour si peu, mais la frontière était mince et il l’aurait su si il l’avait réellement touché. Mais, si, dans le fond il l’avait froissé. Il ne comprenait donc pas qui elle était ? Après tout ce temps ? Le pire qui aurait pu se produire aurait été que la jeune écervelée qui lui prêtait son corps reprenne conscience. Cela aurait pu être la seule erreur à commettre, mais ce n’était pas le cas. Elle sentait pourtant la Gryffondor se débattre dans les tréfonds de sa conscience, elle voulait reprendre le dessus, savoir à qui son Autre avait affaire. Mais Jane se sentait pleine de vigueur ce soir là et elle savait qu’Ivy menait une bataille qu’elle allait perdre. Jamais elle ne la laisserait reprendre le contrôle, pas tout de suite du moins. Elle allait s’effacer une fois Charles disparu, laisserait alors une fois de plus la rouge et or dans un sentiment de confusion total, comme cela arrivait souvent quand elle la laissait reprendre le contrôle. Ou alors elle la mènerait dans la forêt interdite et la réveillerait à l’orée du bois. Un sourire sadique se dessina sur ses lèvres à cette pensée, sourire qu’elle effaça rapidement, se rappelant dès lors qu’elle n’était pas seule. Mais dans le fond, glisser le doute dans l’esprit du jeune Archer ne la dérangeait pas le moins du monde, au contraire. Si il interprétait ce sourire comme une pensée qui le concernait lui ferait plaisir. Elle vrilla ses pupilles dans le regard du jeune homme, avide de chacune de ses paroles. Le jeu venait de commencer, chacun avait posé ses pions, elle avait fait son premier mouvement. Elle avait le contrôle. Ou alors se disait-elle cela pour s’en convaincre ? Elle n’aurait su le dire.

Il se trémoussa alors qu’elle lui exhortait la patience. Ce n’était visiblement pas son fort, elle l’avait déjà compris lors de leurs derniers entretiens. Pourtant, la patience était une qualité, un atout dans une guerre telle que celle qui se préparait. La guerre n’était pas que faite de batailles que l’on menait de front à coup de baguette, bien au contraire, il y avait les cops bas, les coups de couteau dans le dos qui demandaient réflexion et préparation. Il fallait réfléchir avant d’agir, affiner sa stratégie, toujours. La guerre se préparait comme on prépare une partie d’échec, en réfléchissant à tous les coups possibles, tant les siens que ceux de l’adversaire. Toujours avoir trois coups d’avance sur l’adversaire, c’était ce en quoi elle croyait le plus. Pourtant, elle avait perdu une guerre par le passé. Elle se rappelait de la trahison, de ce coup qu’elle avait reçu dans le dos elle aussi. Mais Jane avait appris de ses erreurs. Ne pas s’attacher, jamais, ne pas dévoiler ses secrets trop facilement. Elle devait s’assurer une certaine sécurité et s’assurer surtout que ce qu’ils faisaient ne remontait pas aux oreilles des membres de l’Ordre, aussi non il en serait fini d’elle et d’Ivy. Personne ne croirait la rouge et or si elle jouait la carte de la possession. Elle devrait se révéler, pour leurs biens à toutes les deux. Dans d’autres circonstances, elle n’aurait eu cure du sort de son hôte, mais dans le cas présent, elle devait s’en soucier. Elle ne pouvait dire ce qu’il lui arriverait si Ivy venait à mourir ou à être blessée gravement. Les douleurs de la demoiselle, elle les ressentait aussi, c’est pourquoi elle devait à tout prix protéger cette enveloppe corporelle, même si elle se serait volontiers débarrassé de ce moineau sans cervelle depuis bien longtemps si elle en avait eu l’occasion.

« Je t'avouerai ne jamais avoir pensé que tu pourrais vouloir plus. » Bien sûr qu’il n’y avait pas pensé. Le partenariat, jusqu’ici, devait lui plaire tel qu’il était. Elle amenait les informations pendant que lui ne lui offrait rien en retour. Enfin, presque, car il aurait pu la dénoncer depuis longtemps, mais cela n’aurait pas été dans son intérêt. Elle sonda son regard. Il ne savait pas trop quoi lui dire, pourtant il y avait tant de questions auxquelles elle aurait aimé des réponses. Elle n’avait affaire qu’à un groupe d’enfant qui voulait jouer à la guerre, mais les enfants pouvaient surprendre et elle voulait savoir à quel point elle serait surprise. Ils ne savaient pas ce à quoi ressemblait la guerre, en vrai, celle où les gens brûlaient sur des bûchers ou mourraient d’une flèche tirée dans leur cœur. Il ne savait pas ce que le mot trahison voulait dire, le goût amer qu’il laissait dans votre bouche. Elle ne parlait pas que de trahison amoureuse, non, cela allait beaucoup plus loin que cela. Elle se souvenait du regard de Matthew planté dans le sien alors qu’elle serrait les dents pour ne pas lui offrir le plaisir d’hurler pour sa vie. Elle aurait pu s’enfuir, disparaître, mais à quoi bon. Il ne la connaissait que trop bien et la vengeance viendrait, elle le savait déjà à l’époque. « Mais demande moi ce que tu veux, et je m'efforcerai de te donner ce que tu veux. Comme tu l'as dit, je suis ton obligé. » Un sourire sans joie se dessina sur les lèvres de la sorcière. Elle acquiesça. « Que planifie l’Ombre ? à quelle point est-elle organisée ? Je veux m’assurer que mes informations ne sont pas vaines, que je ne prends pas tous ces risques pour rien. » Je veux éradiquer les moldus de cette école et du monde magique. Mais cela, elle ne le dit pas à haute voix, elle le pensa si fort que cette pensée atteignit Ivy de plein fouet et lui redonna vigueur. Jane esquissa une grimace. La migraine montait, signe que son hôte se débattait. « Et je veux que tu gardes un œil sur Ivy. Qu'il ne lui arrive rien, qu'elle ne soit la cible de personne. » Elle craignait que la jeune femme se prenne une balle dans l'échange de tir, qu'elle soit la cible de par son nom et sa trahison à son sang. Mais il fallait l'avouer, elle n'avait pas peur pour Ivy mais bien pour elle-même.