Assis sur le bord de la falaise, un air lointain inscrit sur le visage dont le vent venait fouetter de sa hargne, Conan contemplait la mer quelques minutes avant que le verdict ne soit prononcé. Un moment de répit dont il aurait souhaité que la fin n’arrive jamais. En cet instant de paix intime il pouvait se lire sur ses traits toute la préoccupation qui l’animait. Ses pensées se confrontaient, rencontrant ses craintes et ses espoirs profonds. Pourtant il n’avait aucun poids face à ce phénomène. Un tournant de l’histoire de la meute sur lequel il n’avait aucun pouvoir, aucune influence. Faible. Il n’était qu’un Bêta après tout. Elle était l’Alpha.
Sous ses pas au rythme cadencé, aussi furieusement que sa folie louvière crissaient les graviers. Il savait ce qui l’attendait là-bas. Il allait entendre le constat d’une alliance que sa fierté lui refusait d’accepter. Une alliance qui venait briser ses évidences, ses croyances certaines. La survie de sa meute était en jeu, il se devait d’accepter ce sacrifice pour les autres, l’égoïsme n’ayant jamais été très bien perçu en ce milieu. Son corps se mouvait au vent, le menton relevé et fier il s'efforçait de s'estimer prêt à faire face à une vérité qui le ferait grincer des dents. Dans une démarche de mâle imposant, de son état de Bêta il posa son regard sombre et intense sur la réunion qui se préparait à quelques mètres de lui et de laquelle il se rapprochait à chacune de ses enjambées. Ses mots seraient cette fois-ci superflus. Il connaissait ses défauts, serrer les dents et les poings ayant toujours été le meilleur remède pour les contrer, il prit place en silence autour de la tablée. Elle était là, revenue de son voyage, de sa rencontre avec son futur. Son futur. Ce mot était déjà de trop pour le jeune loup qui n’avait qu’une envie à cette pensée, faire valser la table et hurler sa rage. Ses pupilles noires de jais vinrent se poser sur elle, portant à la fois un regard accusateur et interrogateur sur sa frêle silhouette au-delà de laquelle elle tentait de faire bonne figure, de jouer l'Alpha. Il la connaissait mieux que quiconque, Iona ne pouvait pas le tromper par des faux semblants. Ce ne fut pas elle qui prit la parole. Ses paternels le firent à sa place. Alors quoi, elle n'avait pas assez de cran pour l'annoncer elle-même ? Il était très bien placé pour savoir que si. Ce qu’il entendait à l’instant… il aurait aimé l’apprendre de sa bouche. De la sienne bordel. Pourquoi maintenant, là, assis sur une putain de chaise comme quelqu’un de calme et consentant ? Ils ne parlaient pas du prochain repas là mais bel et bien de l’alliance avec les Greyback. Meute de sauvages, en totale contraction avec leurs mœurs. Ils avaient plus de fierté que ça pour en arriver à ce stade, non ? Visiblement non. Etaient-ils tous cons ?! D’un regard assassin ses prunelles se posèrent sur son père. Son prétendu père. Celui qui n’était même pas foutu de lui transmettre le don. Ou peut-être devait-il s’en prendre à sa mère. Il ne savait plus. Il était perdu. Tous étaient fautifs, ils l’étaient tous autant qu’ils se tenaient devant lui. A cet instant même il les haïssait, leur rejeter toute la faute dessus étant sa façon à lui d’encaisser les choses. Le silence suite à l’officialisation de l’alliance lui sembla durer une éternité. De longues secondes pendant lesquelles sa colère monta. L’impulsivité du jeune loup ne put cependant être contenue, ses mains venant brusquement claquer la table. «
Ok super nous voilà sauvés. Merci d’être là la promise, on aurait difficilement pu faire mieux sans toi. Faible choix pour une Alpha, parmi toutes les options que tu avais t’as choisi la plus lâche. J'ai même pas l'envie de t'applaudir tiens. » L'applaudir de quoi ? De sa pathétique décision ? Jamais. Personne ne l'y obligeait mais il se sentait le besoin de le préciser afin de démontrer toute son indignation. Il le savait pourtant, il avait cru s'y être assez préparé mais encore une fois il avait surestimé sa sagesse. Dans un geste de fougue absolue, il se leva brusquement et quitta la tablée pour s'isoler. Ses poings le démangeait, il se devait d'aller taper dans quelque chose afin d'extérioriser sa colère. Toute cette colère qui montait en lui. L'ensemble des pensées lui traversant l'esprit à cet instant étant un bon prétexte pour aller s'abimer les poings. Une en particulier. Une dont il n'avouera jamais l'existence. Le simple fait d'imaginer Iona avec un autre le rendait dingue et lorsqu’en la personne de cet homme il s'agissait du fils Alpha Greyback sa haine n'en était qu'exacerbée. Toute cette histoire d'alliance venait briser ses idées de futur. Pour lui la chose s'était toujours avérée évidente: l'Alpha et le Bêta unis pour la survie de la meute. Malheureusement être pacifiste n'étant pas une forme de combat offensive, la meute McKinley avait tendance à plus en souffrir qu'à en tirer avantages. Les leurs disparaissaient petit à petit, l'époque où la puissance de la meute était à son paroxysme commençant à dangereusement s'éloigner. Ces mœurs qu'il prônait eurent fini par avoir raison de lui, cédant celle dont il fut toujours entiché pour le bien de la meute. Ce soir il se défoulerait, permettant à sa rage de s'exprimer afin de mieux la réprimer. Reculer pour le bien de la meute. N'être relayé qu'au second plan. La notion serait difficile à encaisser mais il s'y efforcerait.
Il erra dans la forêt de longues heures, n'éprouvant le besoin de rentrer qu'une fois la nuit tombée; les mains maculées de son propre sang et la peau salie par la terre.
Tapis dans l’ombre, caché de tous, le fils Sutherland dont seul le corps se trouvait vaguement éclairé par une lampe défectueuse demeurait stoïque face au vieux miroir mural qui trônait sur le mur de la salle de bain familiale. La nuit s’était avérée courte, il ne s’était même pas donné la peine de se lever pour s’emplir la panse. C’était bien simple, il ne voulait voir personne. Même son simple reflet était de trop. Mécaniquement il souleva sa crinière, sa main abimée de la veille venant la rabattre du côté gauche de sa nuque pour laisser dévoiler le début d’une plaie infectée tout près de sa clavicule qui continuait au derrière de son épaule. Sa morsure. Infectée, encore une fois... elle ne finirait donc jamais par guérir cette honteuse trace. Trace d'un sang-pur n'acceptant le don cher aux lycanthropes. Prenant possession de sa pochette pharmaceutique qu’il prenait le soin de cacher de tous, il en sortit quelques compresses et un produit désinfectant dont le liquide en était à son dernier niveau. Comme à chaque fois des grimaces de douleurs vinrent déformer son visage et c’est alors qu’il repensa à elle. A ce jour où une fois de plus il l’avait défiée et où, d’une simple pression sur son épaule fragilisée elle l’avait fait fléchir. De cette fois où elle avait honoré son statut de Louve Blanche, lui évitant de commettre un acte de folie qui lui aurait valu les grondes du gouvernement. Il se remémora ses paroles de la veille, dures et irréfléchies à son égard. Une fois de plus il s’était emporté sans même songer aux conséquences que cela pourrait avoir. Il n’avait aucunement le fond méchant, Iona le savait pertinemment, pourtant si elle avait pour intention de lui en vouloir alors il comprenait. A croire que ses pensées furent entendues à mauvais escient puisque quelques poignées de minutes plus tard il reçut la visite d’un de ses fidèles amis, Fergus. Quelque peu contraint il écouta ce qu’il avait à lui dire. Rien de bien intéressant, vraiment. «
Tu l’as mise dans l’embarras hier… t’y es allé un peu fort. » Son regard se noircit, autant dire qu’il n’appréciait pas les paroles de son ami. Il avait eu tort, il le savait, mais pas question de l’avouer à qui que ce soit. La fierté du Bêta mélangée à l’orgueil masculin. «
Contente toi de te mêler de tes affaires, t’as de quoi t’occuper jusqu’à la prochaine lune il me semble. » Agressif dans ses mots, il se faisait mauvais et n’attendait qu’une chose, le départ de Fergus. Ils le connaissaient tous ici, ils avaient appris à vivre avec son caractère cependant depuis ces sombres histoires d’alliance son impulsivité semblait avoir prit de plus en plus de place, venant à en empiéter sur sa bienveillance. «
Conan sérieusement tu devrais reconsidérer la chose... » Il n’avait pas compris le message ? Il lui semblait pourtant avoir été assez clair sur le fait qu’il voulait qu’on lui foute la paix. «
J’y songerai un de ces quatre. » Leur échange s’écourta, son ami d'enfance tournant les talons et quittant le foyer Sutherland. Tandis qu’il laissa échapper un soupir, ses sourcils se décrispant légèrement, une petite voix se fit entendre derrière lui. Aileas. «
Il a raison, tu sais... » Elle articula d’autres paroles mais il ne les entendit pas, s'éloignant en feignant d'ignorer ce qu'elle avait à lui dire, frôlant au passage la fine silhouette mate de sa petite sœur. Il la connaissait que trop bien, elle et ses idéaux romantiques qui lui provoquaient des haut-le-cœur. Sérieusement pour qui le prenaient-ils ? Évidemment qu’il avait prévu d’aller la voir, c’était une évidence. Jamais il n’aurait laissé la situation telle quelle, il s'agissait là d'Iona; quoi qu'il arrive ils finiraient toujours par revenir l'un vers l'autre. Du moins c'était ce qui berçait ses croyances à cette époque. Il n'avait pas besoin d'eux pour aller frapper à sa porte. Bien qu'il soit du genre à agir sur des coups de tête, il avait mis du temps à arriver jusqu'ici. Dans la pénombre glaciale, son poing vint douloureusement cogner contre la fenêtre de sa chambre derrière laquelle, il en était persuadé, Iona se tenait. La lumière émanant de derrière le carreau ne trompait pas. «
Iona écoute je… je sais ce que tu fais pour la meute. Malgré ce que tu peux penser ou ce que j’ai pu laisser paraître ... je te suis reconnaissant d’assurer notre... "survie". » Ces simples paroles lui valaient un effort surhumain afin de passer outre sa fierté. Embarrassé, l’une de ses mains passa derrière sa nuque. Il n’attendait pas qu’elle se manifeste puisqu’elle ne le ferait pas. Peut-être même qu’il parlait dans le vide, à destination d’une lumière oubliée. Il resta là de longues minutes, pensif, espérant qu’elle finisse par lui répondre. Il fit finalement demi-tour. Au moins c’était fait, il s’était plus ou moins excusé. Plus ou moins. C'était à toute la meute qu'il devait des comptes, à l'ensemble de ses composants, seulement contrairement à elle il avait préféré l'informer avant. Il estimait que c'était normal. Après tout elle était celle avec qui il avait partagé son enfance, sa plus fidèle amie, sa plus fidèle alliée, sa plus grande rivale... elle était beaucoup de choses, beaucoup trop.
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Il n’y avait rien de plus reposant que de regarder la cheminée de la salle des Gryffondor. Ce petit coin de l’endroit commun de la maison or et rouge lui rappelait sa meute et les longues soirées autour du feu dont il était chaque jour un peu plus nostalgique. La mine tracassée, les traits froncés, il restait pensif assis face au feu jusqu’à ce qu’une ombre ne vienne s’immiscer au tableau. Une longue silhouette s’était arrêtée juste devant lui. Si ça n’avait été que pour quelques secondes il n’aurait rien suspecté seulement la personne semblait terrer là, les pieds fondus au sol. Sourcils froncés, son regard remonta le long de la courbe longiligne du corps et surprise… «
Quoi ?! Qu’est-ce que t’as Sutherland ? » Putain mais ça y est, il avait déjà envie de lui aboyer dessus. Elle en avait à peine fait exprès, comme si elle n’attendait que ça, qu’il ne croise son regard. Il faut dire qu'elle l'avait cherché. Ses prunelles avaient beau être noires, les yeux du jeune loup semblèrent s’obscurcir un peu plus encore. «
Casse toi tu m’gâches la vue. » Sa position assise donnait à la Gryffondor tout le loisir de le regarder de haut. Il avait envie de la buter cette nana, cette louve trop malicieuse et sournoise. Ce qui l’affectait était surtout le fait qu’elle soit la Bêta du Greyback… bien qu’elle restait tout autant détestable d’elle-même. «
T’as cru que j’allais faire ça pour te faire plaisir ? Va te faire foutre. » Là autant dire qu’elle l’énervait. Beaucoup.«
Putain casse toi j’te dis ! » D’un bond il se leva, attrapant le premier objet qui lui venait sous la main à savoir un chandelier. Aussi vite fut-il en sa possession que l’objet vola au travers de la pièce, Selena l’esquivant habilement afin d’éviter qu’il ne lui explose tout simplement la tête. Elle avait le don de l'énerver. Cette haine qui les articulaient ne pouvait s'empêcher de jaillir à chaque fois qu'ils se croisaient, l'un cherchant toujours à provoquer l'autre. «
Attends dis-moi pas que le pacifiste change de bord ? » Elle fut rapide, ne s’attarda pas sur son récent statut de miraculée et enchaina sans attendre. Cet air narquois sur son visage donnait envie au loup d’imposture de lui déformer son joli minois. Parce que oui, elle était plutôt pas mal la Matthews mais ça… ce n’était qu’un détail futile tellement il la haïssait à n’en plus pouvoir. La bonne nouvelle étant que c’était parfaitement réciproque. «
Ouais et t’sais quoi ? Je fais dans l’art. Pas dans la barbarie. Ça t’est familier ça non, la barbarie ? » Agressif et tranchant dans ses paroles, il prenait cet air détestable et provocateur qui avait le don de toujours déboucher sur une explosion d’insultes de la part de la louve enragée. Le lien avec les pratiques de son cher Greyback était grassement souligné par sa réflexion. Cependant il était pourtant évident qu'il n'avait encore tué personne comme il venait de le prétendre, "l'art" comme il l’appelait n'était en fait rien d'autre qu'une habile manière d'agacer et de contredire la jeune femme. Il haïssait les moldus tel un réel sang-pur seulement ses mœurs l'avaient souvent empêché de les attaquer. Pour le bien de la meute, lui disait-on. «
Ravale tes paroles connard ! » Elle se jeta sur lui aussi rapide que l’être prédateur qui sommeillait en elle, Conan la contrant en agrippant fermement l’un de ses poignets, la jeune femme se stoppant à quelques centimètres de son visage. L’intensité de leurs regards assassins aurait clairement pu effrayer n’importe quel enfant. Ils étaient prêts à se confronter l'un à l'autre dans la salle commune des Gryffondor pourtant comme bien souvent cela ne se réduirait qu’à des tentatives d’intimidation et non pas une réelle bataille. Leur public, lassé, se permit d’intervenir. «
Y en a marre de vos chamailleries de gosses ! Vous pouvez pas aller régler ça une bonne fois pour toute… AILLEURS ?! » Aucun ne décrochant son regard de l’autre, continuant ce puéril jeu d’intimidation, Conan n’ignorait pas pour autant les paroles du Gryffondor un peu trop bavard. «
On t’a demandé de l’ouvrir toi ? » Clairement non, qui plus est ça n’avait même aucun intérêt. Comme s'ils allaient l'écouter, sérieusement. Leurs agressions permanentes étaient devenues rituels au sein de la salle commune. Que ce soit ici ou ailleurs, dès qu'ils se croisaient c'était une explosion de pics et d'insultes. Au bout de quelques instants, dans un semblant d'accord commun ils se détournèrent chacun de l'autre. «
Trop faible, Sutherland. -
Trop conne, Matthews. » Et c'est ainsi que chacun reprit sa position initiale, le Bêta McKinley devant le feu et la jeune louve quittant la pièce.