« Quand on s'abandonne, on ne souffre pas. Quand on s'abandonne même à la tristesse, on ne souffre plus. »

« Jeune fille, il est temps d’aller au lit maintenant. » La voix puissante de Bill Turner résonna dans la petite maison qu’il occupait avec sa femme et sa fille. Agée d’à peine sept ans, Blanche canalisait en elle une vivacité préoccupante. Assise sur le fauteuil à bascule dans le salon, la petite blonde boudait, les lèvres retroussées en une moue furieuse. « Je suis pas fatiguée. Encore cinq minutes P’pa. » Supplia-t-elle, la voix remplie d’une fausse tristesse. La plupart des enfants de son âge arrivait à attendrir leurs parents en leur faisant les yeux doux. Blanche n’y arrivait plus depuis longtemps. Son père s’approcha d’elle et la souleva à bout de bras, ignorant ses supplications, la serrant dans ses bras pour empêcher les gigotements de la petite. Arrivé dans la chambre de la petite, il la posa dans son lit doucement. Dans les escaliers, les pas de sa mère retentirent aux oreilles de la petite. Se dégageant de l’emprise de son paternel, Blanche céda enfin et plongea sous les couvertures de son lit. Le regard pétillant, elle observa un instant ses parents. Olive Turner, sa mère, avait les traits fins, la peau blanche comme la neige et des yeux d’un bleu si profond et empli d’une douloureuse fatigue que l’enfant ne comprenaient pas. Se redressant sur ses oreillers, elle laissa découvrir son plus beau sourire. « Maman, tu me racontes une histoire pour m’endormir alors ? »  Olive soupira silencieusement, s’approchant du lit de sa seule et unique fille. Comment Bill et elle avaient-ils pu engendrer une tornade pareille ? Inépuisable, farouche et têtue, Blanche n’avait hérité de sa mère que sa déconcertante beauté. Son caractère restait un grand mystère. Elle n’avait pas pu l’hérité de Bill, ce dernier était de nature posée et anxieuse. Olive se laissa un instant plonger dans ses pensées, caressant délicatement les cheveux blonds de sa fille. Une fatigue insoutenable s’était emparée des deux parents, et elle se lisait sur leurs traits tirés. Qu’allaient-ils faire de leur petit ange ? A peine âgée de six ans, elle venait une fois de plus de se faire poliment exclure de sa nouvelle école. Votre fille est trop violente. Trop bavarde. Ingérable. La Terreur des bacs à sable. « Pas ce soir ma chérie. » susurra la voix douce de sa mère. Elle se leva et rejoint Bill qui se tenait sur le pas de la porte. « Demain, une grande journée t’attend. Tu vas passer quelques jours avec tante Sybille. Ton père et moi partons en Angleterre visiter les alentours. Inutile de protester, repose-toi. Bonne nuit Blanche. » Souriant timidement, Bill toussota maladroitement « Et bien bonne nuit Lully. Et n’oublies pas, si tu ne dors pas rapidement, les loups viendront s’occuper de toi. » Ne lui laissant pas le temps de répondre, les parents de la fillette refermèrent la porte de la chambre. Leurs pas résonnaient sur le plancher, puis le silence prit place. Blanche ouvrit la bouche, prête à riposter, mais la referma aussitôt, balayant sa chambre à présent où seule une veilleuse laissait voir les ombres des meubles. « Même pas peur. » grogna-t-elle, avant de saisir rapidement son ours en peluche, le serrant précieusement contre elle. Remontant sa couverture jusque sous le menton, elle regarda un instant les lumières de la veilleuses danser sur le plafond. Quelques minutes plus tard, la jeune Blanche sombra dans les bras de Morphée, un sourire béat coincé aux lèvres. Elle n’avait aucune idée de ce qui arriverait quelques jours plus tard. Momentanément, elle plongeait dans ses rêves d’enfants, conservant précieusement son innocence enfantine.

(extrait du journal intime de Blanche. )

Papa et maman ne sont jamais revenus d’Angleterre. Je me rappellerais toujours de ce jour où ma vie s’est brisée à jamais. Je revois le visage de tante Sybille. Cette hideuse bonne femme qui sentait la citrouille avariée avait frôlée mon visage de ses longs doigts squelettiques. Je suppose que c’est de ce côté-là de la famille que j’ai hérité de ma maigreur. « Tu vas vivre avec moi à présent Blanche. » Voilà. Aussi simple que ça. Du haut de mes sept ans, mes cheveux ébouriffés et ma bouille d’ange déchu, j’avais protesté. Et puis quoi encore. Ils reviendraient. Papa et maman ne m’abandonneraient jamais. Je me souviens être restée des heures assise sur les marches devant la maison de ma tante, me levant, pleine d’espoir, à chaque fois qu’une voiture jaune pointait le bout de son nez. Chaque jour, je faisais le même rituel. Comment voulez-vous expliqué à une gosse de sept ans que ses parents ne reviendraient plus ? Et puis, je n’étais pas n’importe quelle petite fille de sept ans. Une véritable tornade, incontrôlable. Les jours passaient, les semaines défilaient et ma douce innocence se faisait la malle. J’évite de repenser à cette période où j’ai tellement pleuré que mes pauvres yeux avaient du mal à s’ouvrir. J’avais enfin compris que quelque chose n’allait pas. Je n’allais plus pouvoir passer mes doigts potelés dans la longue chevelure de ma mère. Je ne sentirais plus jamais son doux parfum à la lavande. Et j’vous jure, en y pensant aujourd’hui, j’vous jure que je le sens encore son parfum. Certaines choses ne disparaissent jamais complètement. Si j’avais su, douze ans plus tôt, que mes parents ne me protègeraient pas toute ma vie, qu’ils n’arrivaient même plus à me supporter, peut-être que j’aurais essayé d’être plus sage.

Malheureusement, j’ai fait l’inverse. J’ai redoublé de méchanceté, de violence et d’amertume pour cacher mon petit cœur meurtri. Tante Sybille n’a pas tenu longtemps. Ça se voyait sur ses traits que ça lui brisait le cœur de me voir me détruire de cette manière, si jeune et vulnérable. Mais j’ai bien vu qu’elle avait vite été dépassée par les évènements. Mes cousins ne m’approchaient plus, me craignaient du haut de mes neuf ans.  Sans oublier que je n’avais jamais été normale, ce côté bizarre que j’attribuerais plus tard à la sorcellerie était perçu comme un traumatisme dû à la perte de mes deux parents. Déchirée entre l’envie de me garder et celle, non avouable, de me voir disparaître une bonne fois pour toute, tante Sybille finit par choisir la deuxième option. A l’aube de mes dix ans, une valise m’attendait devant la porte. « Je suis désolée Blanche. Cette dame va très bien s’occuper de toi. Et puis, on gardera contact, d’accord ? » Je me souviens l’avoir fixée un bon moment, cherchant son regard. Elle avait les yeux baissés, ses mains affreuses trituraient son tablier blanc tâché d’huile. Je me souviens avoir pris ma valise et d’être partie sans un mot. Qu’aurais-je bien pu dire ? Merci de m’abandonner une deuxième fois ? J’étais partie, laissant derrière moi la seule famille qu’il me restait. J’appartenais à présent à l’Etat.  Mon dernier souvenir de cette période est ma montée dans cette voiture noire immense. Je m’étais assise silencieusement sur la banquette, bouclant ma ceinture. Les paroles de la dame me passait à travers. J’avais la gorge nouée, mon ventre n’était qu’une boule de ciment et j’avais cette horrible sensation que le cauchemar ne faisait que commencer. Je n’avais pas tort. Des larmes perlaient mon visage, marquant des sillons brûlant sur mes joues, tandis que mon avenir qui n’était plus certains du tout, défilait par la fenêtre.

They tell me I'm too young to understand
They say I'm caught up in a dream
Well life will pass me by if I don't open up my eyes
Well that's fine by me

Lullaby posa ses prunelles bleues délavées sur la façade de ce qui allait être sa nouvelle maison. Encore une. Agée d’à peine quatorze ans, son regard ressemblait à celui d’une enfant ayant trop vite grandit, qui n’a pas eu l’occasion de profiter pleinement de sa douce innocence. Une portière claqua, la faisant sursauter, l’arrachant à sa contemplation. Une forte odeur d’eau de Cologne s’infiltra à travers ses narines, meurtrissant son odorat. Elle fronça le nez, grimaçant légèrement.  « Bon et bien euh… » Un homme ventripotent se tenait devant elle. Il semblait stressé, des perles de sueurs roulaient sur son front dégarnit, tandis que des auréoles se dessinaient sur sa chemise au niveau des aisselles. La jeune Turner posa son regard sur celui qui avait, de toute évidence, oublier son prénom. Elle arqua un sourcil, amusée d’observer son embarras. « …Blanche. Oui voilà, Blanche, voici ta nouvelle maison. J’espère que cette fois-ci tout se passera mieux. Tu vas être une gentille fille, hein ? » Balbutia-t-il, esquissant une grimace que Lullaby devina être un sourire. Fronçant les sourcils, elle tourna son visage vers la nouvelle maison. « Lullaby. » répliqua-t-elle. « Pardon ? » L’étonnement et l’incompréhension de l’homme s’entendait dans sa voix. Il ne comprenait pas, pensant que c’était peut-être un nouveau langage. Vous savez, les jeunes ont de ces lubies de nos jours. « M’appelle Lullaby. Pas Blanche. » Répliqua-t-elle, sèchement. Attrapant sa valise d’une main, elle se dirigea vers la porte d’entrée du bâtiment. Directement suivit de l’assistant social, elle sonna longuement et recula d’un pas, se cachant volontairement derrière la silhouette massive du dénommé Henry.

Quelques jours plus tôt, les services sociaux avaient débarqué dans l’ancienne maison où résidait Lullaby depuis quelques mois. Neuf pour être plus précis. Ses parents d’accueils avaient jeté l’éponge, comme ceux avant eux, et ceux d’avant aussi. Ingérable. N’écoute pas. Refuse l’autorité. La blonde l’avait vu venir et avait déjà préparé sa valise, un air blasé scotché sur son visage poupin. C’était la cinquième fois en trois ans qu’elle changeait de famille, après avoir épuisé psychologiquement et physiquement tous ceux qui avaient essayé de l’aider. Mais Lullaby ne voulait l’aide de personne, préférant laisser libre cours à son tempérament de feu. Elle n’était pourtant pas bien méchante, au fond son cœur était rempli d’amour meurtri. Mais elle n’arrivait tout simplement pas à laisser entrer de nouvelles personnes dans sa vie. Parce qu’ils ne comprendraient pas ce qu’elle était. La porte s’ouvrit, laissant découvrir une femme dans le début de la cinquantaine, au regard doux et tendre. Lullaby observa silencieusement celle qui allait l’héberger à présent, laissant parler les adultes, évitant de répondre aux questions. « Bienvenue chez toi, Blanche. » Sur ces mots, la femme qui répondait au nom de Siobhan emprisonna Lullaby dans ses bras, timidement mais fermement. Le corps de la jeune femme se crispa. Elle ne répondit pas, se détachant rapidement de l’étreinte. Henry, quant à lui, partit aussi vite qu’il fut venu ; maladroitement et rapidement. Et voilà, une nouvelle famille. De nouvelles règles, de nouveaux faux-frères et sœurs. Siobhan prit la valise de Lullaby et l’accompagna dans sa chambre. Passant par le salon, Blanche pu apercevoir trois autres enfants. Deux garçons et une fille. Accrochant subitement le regard d’un des garçons qui devaient avoir le même âge qu’elle, Lullaby se sentit rougir bien malgré elle.

Quelques jours plus tard, elle fit officiellement la connaissance de Loki Greyback. Son petit cœur détraqué s’attacha bien plus que de nécessaire à celui qui serait son premier amant, son premier véritable ami. Mais la belle n’aimait pas ces sentiments, ne pouvaient accepter d’être aussi vulnérable face à ce garçon qui semblait avoir été aussi –si pas plus- meurtri qu’elle. Alors elle essayait de se protéger, le défiant, forçant les discussions houleuses et les disputes parfois violentes.
Ce fut cette année-là qu’elle reçut sa lettre l’invitant à suivre des cours de sorcellerie à Poudlard. Et quel soulagement de découvrir que son ami y serait aussi. Une petite voix au creux de sa cervelle lui murmurait doucement que, peut-être, c’était le début d’une nouvelle vie où cette fois elle aurait le droit d’être heureuse.