On dit de la magie noire qu’elle est une dévoreuse d’âme. Qu’elle est cruelle, destructrice, et n’attaque pas que ses victimes, non – elle est un poison qui soumet aussi ceux qui l’emploient. C’est qu’elle… fascine. Elle donne des ailes, une impression trompeuse de toute puissance qui, à force, produit des dégâts métaphysiques dont ses partisans ne sont dès lors plus à même de s’apercevoir, encore moins de limiter. Azazëlle n’avait pas vécu la guerre terrible qui avait divisé le monde sorcier en deux entités bien distinctes. Et pourtant le Bien, le Mal, ces conneries dignes des romans les plus manichéens, régentaient son existence, qui se tissait sur un fond d’idéologies contradictoires, sur fond de vieilles rancœurs aussi. Seule Shaadi, sa mère, acceptait de ressasser les vieilles histoires, d’évoquer ce lourd passé qui valait à leur famille la haine des vainqueurs. De lui expliquer chaque soir, comme un conte suivi, ces évènements qui avaient modelé son père tel qu’elle le connaissait aujourd’hui. Elle n’avait ni participé ni même assisté à cette boucherie humaine, mais les autres s’étaient plus à lui faire part des sordides méfaits de son mangemort d’époux, et elle l’avait elle-même longuement observé pour tenter de le comprendre. Elle préférait épargner à ses enfants de traverser la même épreuve qu’elle; qu’ils soient au fait de la réalité et apprennent dès leur plus jeune âge à y faire face. Ou peut-être souhaitait-elle leur apprendre à s’y opposer? Elle, l’étrangère qui avait été mariée à un inconnu dans l’unique but de préserver la pureté de leurs familles respectives; elle, l’idéaliste qui avait appris, avec horreur, qu’on l’avait placée sous le joug d’un monstre. La fierté l’avait d’abord empêchée de fuir. Chaque jour passé à snober les rumeurs et à prétendre au bonheur était comme une petite victoire. Mais le temps était venu à bout de sa résistance; dépassée, elle avait tenté la fuite, laissant derrière elle un fils. Elle s’était réfugiée sur sa terre natale, et c’est à Teheran qu’elle avait donné naissance à un deuxième enfant, bercée par une illusion de douce sécurité. C’était un29 février et, alors qu’une pluie diluvienne s’abattait sur la ville, sa brève liberté était arrivée à terme. Antonin l’avait retrouvée.
Il y avait une tare dans cette famille, elle en était certaine. Un gêne ou de vieilles pratiques qui prédisposaient les Dolohov à la violence. Antonin avait versé, depuis toujours, dans la magie noire. Elle l’avait bercé dès son plus jeune âge, et la passion qu’elle animait en lui brûlait en permanence au fond de ses prunelles, aujourd’hui encore. Elle lui offrait l’horizon, elle le berçait d’illusions; la fougue de sa jeune l’avait poussé à choisir de mettre ses forces au service de cette forme de magie et de celui qui la personnifiait : le Lord. Comme toute sa génération il avait un but ultime, une utopie à réaliser – l’épuration du monde magique. De
son monde, victime d’une invasion. Ils n’avaient craché sur aucun moyen. Ils avaient humilié, brisé, torturé sans scrupule, tué, et leur œuvre ultime aurait été un génocide, si une résistance ne s’était pas opposée à leurs projets. Ils avaient perdu. D’un coup, le monde qu’ils voulaient se réapproprier, celui qui, selon eux, leur revenait de droit… leur avait tourné le dos. Et ils en étaient là aujourd’hui, drapés dans la honte et la haine, pointés du doigt, persécutés souvent. Parfois repentants, parfois non.
Crois si tu veux que les montagnes ont changé de place, disait Shaadi…
mais ne crois pas que les hommes puissent changer de caractère. À ses yeux la reddition était hypocrite. Mais elle exécrait tout autant la voie qu’avait choisie son époux, à se terrer dans ses souvenirs en attendant son heure, à réécrire le passé en pensée, en se demandant sans cesse où et quand tout avait basculé en leur défaveur.
Parce qu’il lui manquait certaines clés de l’histoire, Azazëlle avait questionné cet homme dont les espoirs avaient été bafoués, balayés. Il était le seul à pouvoir lui faire part de ses motivations profondes. Pourquoi le sang était-il si important? Est-ce que tout cela en avait valu la peine?
Oui, mille fois oui, avait-il répondu dans un murmure enfiévré. Il avait mentionné avec amertume et haine les tristement célèbres Chasses aux Sorcières pour poser les bases de son apprentissage, lui montrer que les deux mondes n’étaient pas faits pour être associés. Certes, ces moldus incapables avaient bien souvent condamné leurs pairs, mis en déroute par les artifices qu’employaient les sorciers pour échapper à leur courroux. Mais tout de même… la traque, les morts, les ouvrages ancestraux détruits à cette époque ne pouvaient être pardonnés, ils les avaient condamnés à vivre cachés. Était-ce juste? Non. Les moldus étaient résolus à les détruire, parce qu’ils avaient peur. Or que craint-on? Ce qui nous est supérieur, ce qu’on ne peut s’expliquer. Engeance maudite, race inférieure, créatures tronquées, amputées, ils étaient des êtres moins évolués. Et qui dit évolution dit... disparition de la race inférieure. Exterminer les moldus et leur lignage n’eût donc été qu’un sympathique coup de pouce accordé à Mère Nature. Il les exécrait, et il était fier de son propre héritage, du sang magique qui lui avait été transmis. De même qu’il le léguait à ses enfants, de même il leur communiqua ses précieux idéaux. Racistes.
(Chp. I) ▽ In our family portrait, we look pretty happy. Let's play pretend, let's act like it comes naturally.
«
Menj a francba ! Le sifflement rageur fut assorti d’un regard chargé de haine, alors que la jeune femme se dégageait brusquement.
Va au diable Orion. Je sais ce que tu veux et je ne me prêterai pas à ton jeu. » Les lèvres de son cousin s’étirèrent en un sourire perfide. «
Tu es de plus en plus hargneuse, dis-moi. Mais ne te crois pas en position de force simplement parce que le territoire t’est familier. » «
Et toi tu es bien téméraire, pour un convive indésirable. Tu aspires à une stupide bagarre avec mon frère, mais si c’est mon père qui te surprends tu déclencheras un pugilat. » «
Et qui m’en blâmerait? Même nos parents n’attendent que ça. Un frisson lui hérissa l’échine alors qu’il s’esclaffait silencieusement. Tout en lui était
horripilant. Il avait toujours eu le don de la faire sortir de ses gonds de par sa simple présence, et l’envie de lui cracher sa haine la démangeait depuis longtemps. Mais pas ici… pas maintenant. Ils étaient à peine cachés des regards curieux, simplement enfoncés dans le creux d’une alcôve alors que leurs familles partageaient, dans la pièce au bout du corridor, une discussion à la courtoisie feinte. Elle refusait une intervention extérieure. Que dirait son père s’il venait à comprendre ce qui se tramait depuis des années entre Orion et elle? Il la mépriserait sûrement. Parce qu’elle avait été trop faible pour mettre un terme à cette persécution. Non, elle réglerait ça à sa façon. Sans demander d’aide. Elle avait quatorze ans à présent, c’était quelque chose qu’elle pouvait gérer seule! Qu’importaient les trois années d’écart qui la séparaient de son adversaire… elle lui ferait regretter de l’avoir mésestimée. Elle en parlerait à son père ensuite, lorsqu’il aurait des raisons de s’enorgueillir des actes de sa fille.
Tu veux te défiler, finalement? De son index arrogant, il repoussa brièvement son front avant de la lorgner avec mépris :
Regarde-toi. Tu as presque l’air digne entre ces murs, à Poudlard tu es bien moins sage. » Elle se contenta de le toiser durement comme s’il était un simple d’esprit. «
Parce que tu adoptes la même attitude en présence de ton père qu’en son absence, toi? Écarte-toi. » Le sourire s’effaça pour laisser place à une ombre, l’ombre de la folie Dolohov, le préavis d’une violence qu’il éprouvait toujours un plaisir sadique à lui faire subir. «
Tu sais bien que ça ne marche pas comme ça avec moi. L’instant d’après, sa baguette retraçait son cou de part en part, en un geste rapide qu’elle ne put parer, et un étau invisible se fit ressentir. «
Mais tu peux toujours réessayer de le demander d’une façon qui me plaise… en me suppliant, par exemple. Ce qui flamboya dans les prunelles bleu de l’adolescente ne fut pas une supplique muette cependant. L’étau se resserrait et Orion se rapprochait dangereusement.
J’attends. » Il jubilait, comme à chaque fois. Les doigts d’Azazëlle frémirent sur sa propre gorge pour tenter de la défaire de l’emprise étouffante, mais l’entrave était aussi intangible; Elle se borna malgré tout au silence, épiant du coin de l’œil l’approche de son cousin abhorré alors que, de sa main libre, elle faisait glisser hors de sa manche la pointe d’Helja. Il se pencha alors vers elle, la surplombant de toute sa hauteur, et elle ne perdit pas un instant de plus : le manche de bois fut pointé en direction du visage d’Orion et le sort lancé dans la foulée, d’une voix ferme, bien qu’étouffée. «
Avis oppugnare ! » Un essaim d’oiseaux agressifs fondit sur le brun. Trop occupé à les repousser, il dut relâcher son sort, et Azazëlle inspira instinctivement une large goulée d’oxygène, enfin. L’air qui pénétra dans ses poumons était brûlant, elle retint de peu une quinte de toux douloureuse. «
Az’? » Zahak.
L'interpelée s'accorda seulement quelques secondes pour se reprendre, puis fit un pas dans le couloir pour apparaître dans son champ de vision. Les oiseaux agressifs s'étaient évaporés comme ils étaient apparus. «
Un problème? Il la rejoignit en quelques pas et avisa, une fois arrivé aux côtés de sa sœur, un Orion à la mine furieuse qui se tenait à quelques pas d'elle, l'aura franchement menaçante; les sourcils de Zahak se plissèrent dangereusement, la tension augmenta d’un cran. Azazëlle, elle, se contenta de souffler d’agacement.
Si tu n’as rien à dire ne m’appelle pas sans raison. » Mais sa voix claqua dans le vide, les deux cousins se regardaient en chiens de faïence par-dessus elle. «
Nous passons à table. » Le ton trainant de l’annonce conviait Orion à rejoindre le reste de la famille; il s’attarda tout de même en passant à côté d’elle : son regard annonçait que ce n’était que partie remise, et sans un mot elle hocha la tête, se promettant que rien ne la retiendrait la prochaine fois.
Si elle comptait lui emboîter le pas, Zahak ne l’entendait pas de la même oreille. «
Que s’est-il passé? » Un reniflement dédaigneux lui répondit. «
Rien qui te concerne. » «
Arrête ça ! Elle s’arrêta effectivement en l’entendant élever la voix, et l’impact sur elle fut visible : son corps entier s’était crispé tel un animal traqué, ses prunelles cherchaient une issue. Zahak fit alors un pas vers elle, et ses paumes levées se voulaient peut-être rassurantes, mais elles ne firent que pousser sa cadette à reculer d’un pas.
Non, non… pas de crainte entre nous, Sweetheart. Je veux juste vérifier qu’il ne t’ait pas fait de mal. » Ses doigts furent repoussés aussitôt qu’ils se furent posés sur le cou meurtri. C’était trop. Az’ fut secouée d'un rire jaune, sans joie aucune. «
Tu t’improvises héros, maintenant? Vaine tentative, le rôle du bourreau te colle à la peau. » La colère qui avait jusque-là consumé la plus jeune avait été étouffée par tout un nouveau panel de sentiments; l’espace d’un instant, elle fut elle-même presque étourdie par son brusque changement d’humeur. Plus de rage... mais un gouffre de désespoir qui menaçait déjà de l’engloutir. Comment en étaient-ils arrivés là...? Elle et lui.. ça avait été beau, pourtant. À une époque qui remontait à des années lumières de là. «
Je - » «
Non. Pas ça, s’il te plait. Une lassitude écrasante, comme une chape de plomb, la drainait soudain de toute énergie. Lorsqu’elle accepta de le fixer de nouveau, la tristesse et le sentiment de trahison avaient pris le pas sur tout le reste.
Tu ne peux pas à la fois me blesser et prétendre me protéger, Zahak. Ça ne marche pas comme ça. » «
Qu’est-ce que tu racontes? C’est mon rôle, de te protéger. Je suis ton frère. » «
Mon frère…? Son murmure pensif s’éteignit alors que ses yeux vides se fixaient sur un point inexistant.
Benjen ne ferait jamais de mal à Morrigan comme tu t’appliques à le faire avec moi. » «
Ce n’est pas ce que je veux ! Mais tu sais que tu ne me laisses pas le choix. Si tu étais moins indocile les choses n’iraient jamais si loin. » Les paupières d’Azazëlle se pressèrent fermement, comme si ne plus le voir suffirait pour qu’elle ne l’entende plus non plus. Il lui sortait toujours les mêmes excuses –
si tu ne m’obligeais pas à te faire du mal… regarde ce que tu me pousses à te faire… Et pendant un temps elle y avait cru, mais elle avait fini par comprendre que c’était lui le problème. À présent, ses litanies d’accusations doucereuses ne faisaient que l’outrer un peu plus à chaque fois, et cette fois ne dérogea pas à la règle : une saute d’humeur de plus gomma la détresse pour laisser le champ à la rage. «
Alors continue ! Saigne-moi à mort pour assouvir tes pulsions destructrices, tu pourras pleurer tout ton saoul sur mon cadavre une fois ton méfait accompli. Mais en attendant n’essaye pas de te faire passer pour ce que tu n’es pas, je n’ai pas besoin d’un frère comme toi. »
L’adolescente tourna les talons sans lui laisser le temps de répondre. Il n’aurait pas le loisir de la voir pleurer.
(Chp. II) ▽ I was filled with incoherence and violence. The whole world wants my disappearance, theories of conspiracy. but I'll go fighting nail and teeth, gonna make you scared of me.
«
Oh putain ! » «
Belsey, veuillez surveiller votre langage ! » L’avertissement passa loin au-dessus de la tête du concerné, dont les yeux restaient braqués sur l’enveloppe qu’il avait lâchée dans son bol tout de suite après l’avoir descellée. Le papier raffiné s’imprégnait mollement de lait et avait laissé échapper son contenu, qui flottait à la surface du petit-déjeuner de son destinataire. Un globe oculaire. Un œil de chat. Les camarades de Jordan Belsey s’étaient statufiés sur le coup, eux aussi, mais des exclamations de dégoût commencèrent à s’élever et un brouhaha total emplit la grande salle. Le Poufsouffle sourd aux questions des professeurs se releva brusquement pour quitter la salle, sans remarquer le regard de glace qui le suivait, empreint d’amusement. Alors que tout le monde se perdait en conjectures, Azazëlle délaissa discrètement son siège pour partir à la suite du blond.
«
Tout va bien Belsey? Tu es excessivement pâle. » Il la regarda sans la voir et se détourna presque immédiatement. «
Qu’est-ce que ça peut te foutre Dolohov? Toi et moi, on est loin d’être amis. » Elle pencha la tête de côté, semblant réfléchir à la question, puis haussa les épaules. «
J’ai eu des animaux aussi, la perte n’a rien d’agréable. » À chaque Boursouf égorgé, éviscéré ou disséqué à coup de sorts, il fallait convaincre Père de lui en racheter. Les Doxy étaient amusantes mais incroyablement teigneuses et un brin conscientes : après avoir vu mourir l’une de leurs consœurs elle devenait plus farouches. Et ainsi de suite. «
Ce n’était pas juste un animal, je… Un petit sourire condescendant jouait sur les lèvres de la jeune femme lorsqu’elle s’approcha pour poser une main compréhensive sur son épaule, l’invitant à continuer.
C’est stupide, je m’y étais attaché. Ma grand-mère avait tenu à me l’offrir il y a cinq ans, il était à moitié Fléreur tu sais? Ew… Laisse tomber. » Il lui lança un coup d’œil torve et elle, amusée, compléta l’idée qu’il n’avait pour un fois pas exprimée en entier. «
Les Mangemorts ne doivent pas s’y connaître en questions de sentiments, n’est-ce pas? Cruels et sans cœurs qu’ils sont. Comment je pourrais comprendre la détresse que tu ressens à l’idée que ta grand-mère soit rongée par la maladie sans que tu ne puisses rien y faire? Je vais sûrement me moquer de la façon dont tu te raccroches à tous les souvenirs que tu as d’elle, à quoi bon te confier? » Il était interloqué lorsqu’il se tourna vers elle, d’un bloc. «
Comment tu sais tout ça? » Un sourire mystérieux lui répondit, et elle rabattit derrière son oreille une mèche de cheveux couleur ébène, révélant une boucle d’oreille originale. C’était une oreille. De chat. «
Qu’est-ce que… Espèce de garce, c’était toi? » Ils avaient dégainé leurs baguette simultanément, bien qu’Azazëlle donnait plutôt l’impression de prendre cela pour une vaste farce. «
Je ne sais pas Belsey. Les bruits de couloirs que tu t’amuses à colporter racontent que je suis adepte de sacrifices d’animaux et de rituels sanglants, mais tu sais qu’on ne peut pas se fier aux rumeurs, n’est-ce pas? Entre nous, il y en a qui racontent que ce matin, ta chère grand-maman a reçu par hibou une lettre signée de ton nom et accompagnée d’un petit cœur encore chaud pour remplacer le sien, apparemment déficient. On prétend même que son âme pure et sa santé défaillante n’ont pas tenu le choc... mais être hospitalisée pour si peu, c’est grotesque non? Les gens racontent vraiment n’importe quoi en réalité. » Il se trompait à son égard. Oui, elle connaissait les sentiments. Elle avait aussi découvert que ceux que les liens de sang étaient une arme non négligeable. «
J’espère pour toi que c’est faux Dolohov. Si tu t’en es prise à elle je te jure que je te le ferai payer », lança-t-il hargneusement par-dessus son épaule en partant d’un pas pressé, sans doute pour s’assurer de la véracité de ses propos. «
Petrificus Totalus. Le sort le heurta dans le dos et il s’immobilisa avant de choir lamentablement au sol. Elle le rejoignit lentement et s’accroupit à ses côtés pour lui caresser la joue. «
Pourquoi tant d’empressement Belsey? Tu as tout ton temps, ce n’est pas comme si une simple poussée de stress pouvait l’affaiblir considérablement. En fait, c’était précisément le cas.
Nous avons établi que tu tenais beaucoup à cette bestiole alors je m’arrangerai pour qu’elle te revienne dans son ensemble, c’est promis. Tu aimes les puzzles, Belsey? Une idée me dit que tu auras tout le loisir de t’adonner à ce passe-temps dans les prochains jours. » Elle se releva tranquillement, lui assena un coup de talon qui fit craquer le cartilage de son nez, et lissa les faux plis inexistants de sa jupe avant de tourner le dos.
(Chp. III) ▽ I'm breaking I feel it. I'm naked I'm kneeling. I'm shaking I'm reeling, my god I keep bleeding. I watch the world die through crimson eyes, I cry it turns to night. She dies and see the light... I don't wanna say goodbye.
«
Elle s’est présentée comme l’une des pierres de voûte de mon existence, un soutien indéfectible sitôt que mon esprit flanchait. Souvent, donc. Elle me donnait sa force en faisant passer ces gestes quotidiens comme une normalité, un dû. Et j’y ai cru. » La main d’Azazëlle s’immobilisa, suspendue au-dessus du parchemin qu’elle incendiait du regard. Honteuse d’avoir couché sur le papier ces bribes d’elle-même, elle s’empara d’Helja d’une main rageuse et entama en un tour de poignet de faire disparaître les lignes manuscrites, lentement, mot après mot. Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une trace.
Parle, Azazëlle. Tu n’es plus une enfant, exprime-toi comme l’adulte que tu prétends être. Son père lui avait assené cet ordre, implacable, à la suite de sa dernière crise de colère. Il y en avait des tas ces derniers jours, à croire qu’elle ne saurait plus jamais être… paisible. Parler, c’était bien beau en théorie… elle voulait bien s’y essayer. Mais elle faisait un blocage. Si elle exprimait ses doutes stupides, qui serait là pour les entendre? Un tremblement et des soubresauts agitèrent ses mains, elle se sentait prise au piège. Dans un corps faible, des membres dont les réactions lui échappaient de plus en plus souvent. «
Bordélyház... », souffla-t-elle d’une voix muette en lâchant la plume, se laissant choir au fond de sa chaise.
Bordel, oui, c’était le mot.
Elle avait perdu ses repères. Ces jours passées à penser, penser encore et encore, ne rien faire d’autre, ne voir personne… ça lui avaient permis d’essayer de faire le point. De revenir en arrière, de saisir les paroles et les actes manqués. De se fustiger mentalement, un nombre incalculable de fois. Elle avait revécu inlassablement le dernier jour de sa mère, en pensées. Lorsqu’elle rouvrit les yeux alors qu’elle n’avait même pas eu conscience de les avoir fermés, son index tapota le parchemin et, sous le coup d’une impulsion, elle se remit à écrire. C’était ce qui dictait sa vie désormais, de toute façon : l’impulsion. «
Elle m’aimait tellement, rédigea-t-elle par-dessus les lignes effacées.
C’était normal. Tout le monde devait m’aimer ainsi, non? C’était gagné d’avance, presque insipide. Je n’avais pas à être reconnaissante, j’étais lasse de subir ses attentions constantes, et ses questions, tous ses doutes ridicules tandis que les miens suffisaient déjà à me perdre, sa tendresse dérangeante alors que je n’étais plus sa petite fille depuis longtemps. » Elle crut retenir un sanglot, mais non. Ses yeux étaient désespérément secs, elle n’avait pas lâché une larme, pas même à l’enterrement. Tout était barricadé à l’intérieur, derrière un barrage fait d’incompréhension, de colère, de chagrin. De nouveau, Helja s’éleva entre les doigts malingres de la brune. De nouveau, aucun mot ne subsista.
«
J’avais quelque chose à lui offrir. Un collier. Une clé d’argent, finement ouvragée, comme elle aimait. Je devais lui dire ce qu’elle ouvrait, j’aurais dû le faire plus tôt. Mais j’ai attendu… » Elle avait pensé avoir le temps. Efface. «
Le temps… on le sous-estime, on le prend pour un amant conquis. Jusqu’à ce qu’il nous échappe. » Efface encore.
Sa paume frappa le parchemin alors qu’elle se relevait subitement, envoyant valser son siège, et ses doigts s’en saisir pour le couper en deux, en quatre, en des dizaines de morceaux qu’elle dispersa d’un mouvement de bras. Elle détestait écrire. Depuis petite, c’était un exercice qu’elle trouvait laborieux. Quand elle était enfant, relativement colérique et capricieuse déjà, malgré la crainte que lui inspirait son géniteur, sa mère l’asseyait derrière son bureau et lui disait d’écrire les raisons de sa frustration. Qu’elle en ferait part à Antonin et plaiderait sa cause si elles étaient valables. C’était une façon sournoise de l’obliger à faire le tri entre les réclamations qui avaient vraiment de l’importance et celles qui n’en avaient pas… la preuve : Azazëlle finissait toujours par froisser ses raisons avant de les lui avoir remises, parce qu’écrites, elles semblaient minables.
‘Père aurait dû me laisser les plumes en sucres. Elles n’étaient pas empoisonnées, et je n’ai pas peur des caries.’ Stupide. D’autant plus qu’elle avait su plus tard qu’elles l’avaient bel et bien été – empoisonnées. Une simple plaisanterie, à l’encontre de la gamine du mangemort, quoi, ce n’était pas le genre d’humour qu’appréciaient ce genre de familles tordues, pourries jusqu’à la moelle?
‘Je voulais ce balai. En faire don aux enfants pauvres est ridicule : nous n’avait que faire d’eux et les gens ne nous aimeront pas plus après ça.’ Égocentrique, bien qu’avéré.
‘Je sais qu’un jour vous cesserez tous de m’aimer. Mais vous n’en avez pas le droit.’ Paranoïaque.
Zahak… il… – Pathétique.
Parfois, je crois que la solitude m’engloutit.’ » Insensé. Et pourtant elle était bien présente, cette sensation pesante. L’hécatombe tant redoutée avait commencé par sa mère, qui seraient les suivants? Elle reconstitua le papier, le regard vide.
«
Mais je la ressens vraiment, cette solitude atroce. Et le vide me pourchasse, un gouffre béant qui me coupe le souffle parfois. » Efface.
La porte s’ouvrit et se referma sur son frère, elle eut tout juste le temps de faire disparaître le parchemin. «
Tu as essayé, alors? – demanda-t-il en désignant du menton la plume qu’elle faisait tourner entre ses doigts. Elle haussa un sourcil, se voulant détachée.
Écrire. Tu t’y es essayée? La mâchoire d’Azazëlle se contracta, témoignant de son agacement. Quelle était cette idée ridicule qui alliait écriture et thérapie? Elle finissait toujours par ressortir. D’abord le médicomage qui les lorgnait tous comme s’ils étaient des psychopathes en puissance, et à présent même Zahak s’y mettait ! Il était dans une de ces phases étranges où il se prenait pour un type normal, pour un frère qui ne faisait pas des expériences sur sa petite sœur, pour un aîné qui n’avait pas bousillé la magie de son ami, emporté par sa folie créatrice... destructrice. Zahak, cet espèce de savant fou, avait deux visages : Jekyll et Hyde.
Je ne veux pas m’avancer mais… qui sait, ça t’aidera peut-être Sweetheart. » «
Ce qui m’aiderait, ce serait de ne pas avoir à contempler ta sale gueule dans l’intimité de ma chambre. Tu empiètes sur mon espace vital connard. » «
Arrête de jurer comme un jarvey enragé, ça ne te va pas. » Il trouvait le moyen de lui balancer ça en roulant des yeux, souriant comme s’ils partageaient une sorte de blague. C’était tout le désintérêt qu’il accordait à ses sentiments, hein? Azazëlle vit rouge – c’était sa spécialité ces derniers jours. «
Hagyj békén ! Courroucée, braquée, elle serrait convulsivement sa baguette au creux de ses doigts.
Fous-moi la paix d’accord? Je te l’ai dit, je ne veux pas du taré versatile que tu es dans mon entourage. » «
Bon sang… Il souffla en se passant une main sur le visage, las.
Tu es tellement infecte. Tu devrais penser à le faire, ok? Écrire. Tu me montreras ensuite, on devrait… on pourrait en parler. Essayer de réparer les choses. » Il n’y avait rien à réparer. Elle se détourna simplement pour lui signifier qu’en ce qui la concernait la discussion était close, et il ferma bruyamment la porte en partant. Elle avait le cœur au bord des lèvres, l’envie inconcevable de le retenir, de le supplier de l’aimer comme avant, de lui jurer que la vie était belle et que l’avenir glorieux qu’on leur avait fait miroiter était à portée de main. Quelles couleurs avait cet avenir quand les deux adolescents de la famille se déchiraient, que la mère n’était plus qu’un amas de cendres, que le père ruminait de sombres ambitions?
«
Il y a ces êtres qui s’imposent dans votre existence, qui en raflent les rôles principaux sans vous laisser le loisir de donner votre avis. Elles vous paraissent indétrônables, inébranlables, faites pour porter ces costumes jusqu’à la fin des temps... mais immortelles, elles ne le sont pas. Ça, vous ne l'apprenez cependant que par la force des choses, dès l'instant fatidique où l'une d'elles... disparait. Lorsque tout s'écroule, que vos repères même s'effondrent pour vous laisser avec le goût amer de l'impuissance la plus parfaite. La plus... frustrante. À qui parler? À qui confier ce qui vous ronge? La réponse tient en un mot : personne. Vous ne pouvez que vous laisser terrasser par la douleur de l’absence, vous recroqueviller sur vous-mêmes et vous fermer à ce monde incapable de vous comprendre. Faire le deuil d'un être aimé est difficile; les sons, les odeurs, les images marquent comme jamais : tout vous ramène à l'époque où la mort ne vous séparait pas encore de l’être aimé. Vous subissez la vie plus que vous ne la vivez, elle donne l'air de vous narguer par tous les détails qu'elle fait vaciller devant vous. Pendant des jours, vous vous questionnez sur ce qu’auraient été les réactions de la personne que vous venez de perdre face à telle situation, ce qu'elle aurait dit à telle autre occasion. Elle ne peut pas être morte; pas alors qu'elle est si vivante dans votre mémoire. Déni. Et vous vous demandez… ce que vous auriez pu faire pour changer les choses. Non, ce que vous auriez dû faire! Comme… Encaisser ce sort, en l’occurrence. Être celle que l’on pleurt, non celle qui se consume lentement dans le désespoir le plus affligeant. Vous rendre compte plus tôt de la situation... la contrer de quelque manière que ce soit. Colère, culpabilité. Rendu insensé par l'intensité de votre chagrin, illogique, vous tentez de marchander... mais la réalité n'est pas un négociateur sensible au chantage, et la dépression vous tend les bras. Vous l’acceptez. Vous l’enlacez à bras le corps. Mais loin d'être un refuge agréable, elle vous tiraille, vous pousse vers le fond d'un gouffre profond : votre propre désespoir. Spirale infernale, elle fait le monde apparaître derrière un voile noir... et plus il s'épaissit, plus vous vous sentez mal. Mais plus vous vous sentez mal, plus il s'épaissit.
Mère est partie il y a un mois. Partie sur un chemin sans retour. En y repensant je crois que, quand elle a exhalé son dernier soupir ce jour-là, je me suis éteinte en même temps qu’elle. Je ne peux pas sourire, je suis réduite au silence : parfois, tout le temps, mon cœur se sent coupable de continuer de battre... » Efface. Efface. Efface. Efface. Plus de trace.
Azazëlle se sonda, immobile, attentive. Elle ne se sentait pas mieux. Seulement vidée. Rangeant la paperasse avec un soin méticuleux, le bureau impersonnel puis la chaise qu’elle avait occupée, elle s’allongea dans son lit trop grand, et se laissa aller à un demi-sommeil troublé, chargé des relents de sa culpabilité. L’allée des Embrumes désertées, les quelques ombres cachées sous des capes, plus discrètes que jamais. L’homme au regard fou qui se dressait comme une menace, Shaadi qui lui empoignait le bras et la cachait derrière elle tandis que l’étranger vociférait, déblatérait des accusations, pleurait. Dolohov avait tué son enfant, comment se faisait-il qu’il se pavane encore où bon lui semblait, entouré de sa maudite famille? Ils auraient dû mourir, tous, ils ne méritaient pas mieux. La baguette, le sort, l’éclair de lumière, le corps de Mère qui s’affaisse, qui s’effondre. Les cris des passants, le monde qui s’écroule.
(Chp. IV) ▽ Now what doesn't kill us can only make us stronger
«
Cette entente avec les Goyle, je m’attends à ce que tu la mènes à terme. Tu comprends? Si tu y parviens, non seulement tu auras droit à un époux décent mais je m’assurerai en plus de tenir Zahak en laisse. » En entendant ces mots, Azazëlle s’était contentée de hochée la tête, le cœur battant. Oscillant entre une sorte de… satisfaction dévorante, et une culpabilité terrassante. En fait elle ne parvenait pas à saisir le quart de l’amalgame de sentiments qui tourbillonnaient en elle. Mais le tout était saupoudré d’un zeste d’indignation : tenir Zahak en laisse? Et quels termes avait utilisés son père pour parler d’elle lorsqu’il avait appris que son fils l’utilisait comme cobaye? Lorsqu’il avait choisi de fermer les yeux? « Je te laisse te faire les dents sur elle », peut-être? Ses narines frémirent d’une irritation qu’elle s’obligea à contenir, pour une fois, bien que l’effort la fit presque vaciller. Il y avait plus important. Elle était fiancée. Fiancée à Zane. L’ex sacré de sa sœur de cœur, de son mentor, de celle qui comptait plus que quiconque, Alesya. Or Zane, elle… elle ne devrait pas, elle n’aurait jamais dû, mais sa seule mention lui gonflait le cœur. Elle avait envie que ça marche, avec lui. Que cette mascarade de fiançailles tienne la route. Bon sang, elle voulait qu’il l’accepte. Quel foutu sacrifice devrait-elle faire pour le convaincre d’accepter? Ou… au moins d’essayer? L’adolescente s’humecta lentement les lèvres et acquiesça une dernière fois avant de prendre congé de son père.
Tout ça était plus compliqué qu’Antonin ne le soupçonnait. Ou peut-être qu’il savait, et que c’était exactement la raison pour laquelle il lui faisait miroiter une récompense de plus que les fiançailles : sa liberté. Hyde au placard. Ses doigts blêmes s’agitèrent, bondirent sur chacun des meubles qu’elle croisait, comme si infliger une poussée à chacun d’eux suffirait à atténuer la pression impitoyable qui la broyait de l’intérieur. Il y aurait énormément d’obstacles sur sa route, elle en était consciente. Cette sang-mêlée que son fiancé trainait dans son sillage, déjà. Avant que la jalousie dévorante n’ait eu le temps de prendre le pas sur le reste, cependant, Azazëlle s’immobilisa, les yeux écarquillés, comme si l’idée percutait à peine son esprit torturé. «
Mon fiancé… » Les mots se répercutèrent contre les murs de pierre du couloir vide et lui revinrent en écho tandis qu’elle savourait le goût qu’ils avaient laissé sur sa langue. Mais la naissance de sourire mourut presque aussitôt : rien n'était joué. Et puis sa main venait de plonger dans la poche de sa robe de sorcière, et de se refermer sur une médaille dont le métal froid la tira de son rêve éveillé avec… plus d’efficacité qu’une douche froide. Lesya. Le poids revenait. Il était accompagné d’une acidité qui lui sembla faire fondre ses organes, son cœur en particulier. Est-ce qu’Alesya lui pardonnerait ça? Si elle le présentait comme un devoir, comme une obligation, peut-être que…? Non. Même ainsi ça ne marcherait pas.
Ce fut à cet instant que la crise s’empara de son être, implacable. Lesya allait la détester. Elle allait lui tourner le dos, ce serait irrévocable. Définitif. Et que gagnerait-elle au change? Rien, parce que Zane ne lui laisserait jamais la moindre chance. Pourquoi ferait-il ça, après tout? Ce n’était pas comme si quelqu’un pouvait l’aimer. Sa mère l’avait aimée et elle était morte. Parce qu’Azazëlle n’avait rien, désespérément rien à offrir à ceux qui tenaient à elle. Elle ne savait pas communiquer. Elle était agressive et se braquait pour un rien. Elle ne pouvait même pas se targuer d’être loyale, la preuve : elle s’apprêtait à planter un couteau dans le dos de celle qui gravitait tout son univers. Atterrée, elle fut secouée par un profond dégoût d’elle-même en comprenant que non, définitivement non, son affection profonde pour Lesya ne constituerait pas une barrière. Qu’elle l’inciterait à la prudence, mais pas à abandonner cette cause perdue d’avance. Une nouvelle idée s'imposa : si le cadet des Goyle apprenait qu'il ne la laissait pas indifférente, ne penserait-il pas que cet attachement était une pâle copie de ce qui l'avait lié à Alesya? Parce que les autres ne manqueraient pas de sauter à cette conclusion, eux, s'ils venaient à savoir. Ils penseraient immédiatement qu'une fois de plus, elle calquait ses actes sur ceux de son aînée. Azazëlle enfonça ses index dans ses tempes en un simulacre de massage qui était en réalité plus douloureux que réconfortant. À bout de nerfs, elle s’abandonna tout entière à cette tempête qui grondait en elle, à cette vague impétueuse qui menaçait de l’engloutir à tout instant.
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Quelque chose lui rentra dans le flan avec la vitesse et la force d’un cognard fou; le choc la tira de violemment de ses pensées, la fit chanceler, et elle laissa échapper un cri de surprise en se raccrochant à son balai. Vains efforts puisqu’elle n’était plus à même de le diriger… la chute fut fulgurante : elle n’eut que le temps de voir la terre ferme se rapprocher à une vitesse folle, de fermer les yeux et d’encaisser l’instant fatidique ou son poids percuta le sol. Elle rebondit telle une poupée de chiffon, retomba, roula le long de la pente douce jusqu’à ce que l’élan ait été étouffé, et ces quelques secondes lui semblèrent avoir duré une éternité lorsqu’elle s’immobilisa enfin. Pantin désarticulé dont on avait coupé le fil, oiseau de nuit dont les ailes venait de s’effriter, elle aurait pu rester là à gémir sous le coup de la douleur qui vrillait le moindre de ses muscles, mais… il y avait ce poison qui coulait déjà dans ses veine. Plus intense que tout le reste, il se distillait sans pitié et allumait un brasier sur son passage. Qui. Avait. Osé? La brune arqua difficilement son corps malingre pour se mettre en position assise, puis regarda autour d’elle d’un air revêche, ignorant de son mieux l’éclair de douleur qui lui sciait le dos.
«
Mais t’es malade? Qu’est-ce qui t’a pris!? Éructa-t-elle dans un élan de rage habituel en avisant la silhouette d’un intrus, son agresseur. Mais sa mimique courroucée se fendit, laissant place à l’hébétude lorsqu’elle reconnut Benjen. Lui aussi furieux. Peut-être plus qu’elle, à présent. Il se redressa en faisant tourner son poignet, sans doute pour s’assurer qu’il ne se l’était pas foulé, et elle siffla une injure entre ses dents.
Putain. Tu pourrais regarder où tu voles non? » «
Moi? Mais tu te fous de moi? Sa voix faisait des trucs bizarres. Ses iris enragés disaient qu’il avait envie de la baffer. Elle haussa les sourcils, attendant simplement qu’il lui dise quel démon le prenait.
Tu volais n’importe comment, et encore, je ne sais pas si on peut qualifier ça de vol. Non sérieux, c’était quoi ça? Tu n’essayais même pas d’éviter les branches et tu t’apprêtais à percuter de plein fouet un arbre quand je t’ai poussée. Tu ne m’as même pas entendu gueuler ton nom. Un grondement s’éleva de sa gorge alors qu’il shootait dans un caillou et se remettait à la lorgner avec méfiance.
Tendances suicidaires? » Mais qu’est-ce que c’était que… Azazëlle continua de le fixer un moment, les yeux écarquillés, puis éclata de rire contre toute attente. «
T’as dû mal… voir. Elle interrompit sa phrase avant de l’avoir terminée : des brûlures cuisantes lui striaient les joues, les jambes, un peu tout le corps en fait. Et ses mains se tachèrent de sang lorsqu’elle les porta à ses joues. La panique la saisit.
Je n’ai rien senti. Je te jure, je ne m’étais même pas rendue compte », assura-t-elle avec… eh bien, un manque flagrant d’assurance justement.
Elle était retournée à Poudlard deux jours plus tôt, et les nouvelles qui lui avaient été communiquées durant les vacances n’avaient pas quitté ses pensées depuis. Pas un instant. Dans ce genre de moments, voler faisait partie des rares activités qui lui offraient un réconfort; elle pouvait se livrer à ses réflexions sans que des témoins gênants ne l’obligent à s’efforcer de paraître forte. Enfin, supposément. La preuve : Benjen avait entravé son… non. Ce n’était pas le mot. Il l’avait catapultée au sol, voilà. «
J’apprécie ton inquiétude, mais tout de même… tu ne penses pas que le bilan aurait été plus catastrophique si je m’étais fendu le front à l’atterrissage? » – grinça-t-elle en malaxant sa nuque douloureuse. «
Eh bien j’aurais eu la satisfaction de t’avoir fait sentir ma façon de penser avant que tu ne t’éclates la tronche comme tu le méritais. » Ils se fixèrent un moment en chien de faïence, quelque chose crépitant entre eux, leur laissant le choix entre deux options : se bouffer proprement le nez ou laisser retomber la tension. Azazëlle repoussa la solution de facilité – fait rare, mais inéluctable lorsque Ben était concerné – et leva le menton. «
J’espère que tu n’es pas trop déçu, alors : je suis entière. Tu comptes me toiser de haut encore longtemps ou tu vas te décider à t’asseoir à côté de moi, tant qu’à être là? » Un sourire vint enfin percer son masque dur alors qu’elle lui tendait la main, et pour la première fois depuis plusieurs jours, le brouillard de colère qui enveloppait son esprit se dissipa.
C’était agréable de l’avoir là. Elle ne le voyait que de biais, et encore; leurs épaules se frôlaient à peine, celle de Ben dégageait une chaleur réconfortante, celle de l’amitié. «
Je vais essayer de me réconcilier avec lui. Freyr, je veux dire. Elle se tut et continua de regarder droit devant elle, au loin, consciente de la subite crispation de son ami à ses côtés. Freyr désignait Zahak. Et Zahak était l’ennemi.
Ça sonne comme une mauvaise blague, hein? Toujours pas de réponse. Elle soupira.
Je pense pourtant que c’est nécessaire. Si on continue sur la même pente l’un de nous finira par perdre sa rame. Si Yngvi tue Freyr... je ne sais pas si Helja sera capable de le lui pardonner. Même s’il le fait pour elle. Tu le sais bien, ce sera la fin. » Lorsqu’il répliqua finalement, ce fut d’une voix suintant le sarcasme. «
C’est bête, j’ai du mal à imaginer la scène. Tu m’expliques le concept? Tu comptes lui demander entre deux gémissements de douleur s’il envisage de te présenter ta future belle-sœur sous peu, ou si ses entraînements sur toi lui permettent de se démarquer en cours, quelque chose de ce genre? » «
J’envisageais plutôt de lui parler de son futur beau-frère, en fait », lâcha la jeune femme d’un ton détaché. La réaction se fit attendre pendant quelques secondes. «
Ah. Elle le sentait la dévisager mais n’osa pas lui rendre son regard, plus occupée à arracher consciencieusement l’herbe du bout des doigts.
Tu sais déjà à qui tu as été vendue? » La mâchoire de la jeune femme se contracta à l’entente de sa question. «
Ouais. Mécaniquement, elle fourra de nouveau sa main dans sa poche et caressa les contours de la médaille qui y reposait, avant de la serrer fermement dans sa paume. Les reliefs s’incrustaient dans sa chair et elle eut l’impression de s’être un peu imprégnée de la présence d’Alesya, bien que celle-ci ne soit pas à ses côtés. Un vague soulagement la traversa tout de même à cette idée, mais ce fut bref.. et la sensation fut aussitôt remplacée par plusieurs autres. Comme le fait que Lesya la détesterait lorsqu’elle saurait pour Zane. Et aussi pour cette foutue médaille, tiens. Parce qu’elle lui appartenait – elle l’avait dérobée à son père, Rodolphus Lestrange, et elle avait manqué de péter un câble en s’apercevant de sa disparition. Azazëlle avait été une aide bienvenue mais les recherches étaient restées infructueuses… et pour cause, la cadette portait sur elle l’objet de leurs recherches… Mais elle ne pouvait pas l’avouer. Ni cette fois ni jamais. C’était… c’était maladif chez elle, ce besoin de s’approprier quelque chose qui avait une grande valeur aux yeux de ceux qu’elle aimait ou admirait. Comme si elle pourrait ainsi les retenir de l’abandonner… Et ça durait ainsi depuis la mort de… enfin, depuis
le moment tabou.
La brune chassa ces pensées de son esprit, papillonna rapidement des paupières pour se souvenir d’où elle se trouvait, puis lâcha :
Zane. » «
Ah. Il était vrai que ça se passait de commentaires.
Et ce qui te tracasse au point que tu fonces dans les arbres comme une kamikaze, c’est… » «
Zalesya. » Il resta un moment interloqué avant d’esquisser un sourire, les sourcils froncés. «
C’est quoi, ça, une nouvelle formule? » Azazëlle leva les yeux au ciel, perdant elle aussi son air dramatique, enfin. «
Quelque chose comme ça oui. Le dérivé de l’Avada Kedavra, si on veut. Elle croisa les jambes, s’installant en tailleur pour lire l’heure sur la montre qu’elle attachait toujours à sa cheville, estima qu’il n’était pas encore assez tard bien que le couvre-feu soit largement dépassé. Elle se racla la gorge, annonçant le retour d’un sujet déplaisant.
Ça n’arrivera plus, tu sais? Les expériences. Mon père y a mis terme après avoir prévu les fiançailles. » «
Il était temps, fit remarquer Ben avec aigreur avant d’objecter :
Mais ce n’est pas une raison pour prétendre qu’il ne s’est rien passé. » «
Fre- Mon frère se sent coupable par rapport à toi. Pour les pouvoirs, tu sais. Il va chercher une façon de réparer ce qu'il t'a fait. » «
Dis plutôt que tu te sens coupable. » Bingo. «
C’est la même chose, murmura-t-elle en baissant les yeux.
Tu voudrais bien essayer? » «
Me retrouver de nouveau derrière la baguette de ton frère est mon plus grand rêve, tu t’en doutes. » Mais malgré son cynisme, elle sut que c’était un oui, et ce fut un soulagement. Il y aurait au moins
une foutue chose vouée à bien tourner au cours de l’année à venir..