Impossible de dormir, ou même de faire semblant, sachant que chaque seconde qui s’écoulait me rapprocher de ma première véritable mission en tant que membre de l’Ombre. Autour de moi, j’entendais la respiration régulière de mes camarades de maison et cela allait finir par me rendre folle. Alors, veillant à ne pas trop faire de bruit malgré tout, je sortis de mon lit, enfilai deux trois vêtements et, récupérant ma cape je descendis dans la salle commune qui, comme d’habitude à cette heure-ci, était vide de toute présence humaine. Tant mieux pour moi. Ce n’était pas encore l’heure et je ne voulais pas avoir à m’expliquer sur la raison pour laquelle j’allais quitter l’antre des serpents en plein milieu de la nuit. En temps normal, ce n’était pas comme si je ne quittais jamais le dortoir à cette heure tardive mais, lorsque demain, quand tout le monde découvrirait ce que nous avions fait, les soupçons pouvaient se diriger vers moi. Plus le temps passait et plus l’adrénaline coulait dans mes veines, aussi vite que le vin dans ma gorge quand je n’allais pas bien. Mais ce soir, je n’avais pas besoin de ce cache misère, pas besoin d’artifices pour avoir l’impression d’être heureuse. J’étais enfin à ma place, j’allais pouvoir débuter ma tâche, faire ce que je voulais faire depuis des années, depuis que j’avais compris la différence entre nous, ma famille et moi, les autres sorciers de sangs purs, et le reste du monde. Il fallait rétablir l’ordre, faire en sorte que chacun soit de nouveau à sa place. Les sangs purs sur les toits du monde, les autres au bas de l’échelle, à se trainer dans la boue, à manger des charognes, à se soumettre à leurs véritables rois et, dans le cas contraire, à crever comme les rats qu’ils étaient. Cette pensée était presque jouissive, y penser, l’imaginer, en rêver, tout ça me donnait l’impression que cela se rapprochait petit à petit, que bientôt, le rêve deviendrait réalité. Mais, dans un cerveau malade, comme démêler le réel du fantasme ? Comme savoir si le soleil, la nuit, la mort, le sang, la douleur, la tristesse, la joie, l’amour, comment savoir si tout ça n’était pas qu’une illusion ? Une création d’une imagination en berne ? Impossible de le savoir. Mais, malgré ça, malgré toutes les questions et tous les pièges placés par mes ennemis il fallait que je continue à avancer. Je n’avais pas le choix, sinon, nous perdrions tous. Je savais n’être qu’un pion au service de notre gloire éternelle à tous, mais cela me suffisait, je voulais avoir fait partie de tout ça, être rendue célèbre pour mon action de libération. Vivre dans la renommée qu’avait eu mes grands-parents avec le premier règne du Lord.

Trop d’élucubrations, de divagations inutiles, il était temps d’agir. Me relevant, encore dans les vapes, comme dirigée par une main invisible j’enfilai ma cape et sortis de la salle commune des verts et argent. Personne dans les couloirs, rien pour me détourner de ma tâche à accomplir. J’avançais comme dans un rêve, ou un cauchemar sans entendre mes pas, ma respiration, sans penser. J’étais comme obnubilée par ma tâche. Heureusement, je n’avais pas à aller très loin car, dans l’état dans lequel j’étais, j’aurais été capable de me perdre alors que je pouvais faire le tour de ce château les yeux fermés… Rez-de-chaussée, premier étage, toujours rien. Mais bientôt, arrivée au deuxième étage j’entendis des pas. Me glissant contre un mur, j’attendis que le professeur qui faisait sa ronde soit descendu plus bas avant de me diriger vers le point de rendez-vous. Quelqu’un était déjà là, avec sa silhouette frêle je devinai vite que c’était une demoiselle. Elle avait intérêt à être quelqu’un que j’appréciais, sinon, cela allait bien vite tourner au drame. Même si le jeu en valait la chandelle. Faisant un signe de tête à ma compagne de soirée, sans pour le moment essayer de découvrir qui elle était je me laissai glisser contre le mur avant d’entendre d’autres pas se rapprocher. Etirant le cou pour être sure que ce n’était pas un professeur avant de me raviser en remarquant la cape noire qu’il ou elle portait. « Bonsoir. » Répondis-je simplement lorsqu’il nous salua. J’étais encore un peu dans mon monde, enfermée dans mes pensées.

L'ambition est une part qui sommeil de manière plus ou moins profonde en chaque être. Devenir un sorcier connu, une star montante du Quidditch, une étoile dans le monde de la musique, ou tout simplement redorer le blason de sa famille. Cette ambition se traduit de différentes manières chez les uns et chez les autres. Pour la fille Avery, il s'agissait d'avantage de faire briller à nouveau son nom et le blason de sa famille que d'accomplir un quelconque rêve que seule une poignée de gens atteindront. L’Ombre. Un groupe qui il y a quelques mois de cela se rapprochait bien plus d’une légende urbaine que de la réalité. Les gens en parlaient sans pour autant pouvoir dire s’il était réel ou pure invention. Mais ne dit-on pas que toute légende puise son origine dans le monde réel ? L’Ombre était une réalité à laquelle Sutton Avery appartenait désormais, et elle allait contribuer à l’entrée du groupe dans l’Histoire. Elle appartenait à une réalité qui partageait ses idéaux. Certes, elle ne serait pas sous les feux des projecteurs mais au moins, elle aurait la satisfaction d’avoir pris part au mouvement.

Tel un fantôme flottant au-dessus du sol, Sutton progressait à travers le dédale de couloirs que formait l’école. Elle n’était qu’une ombre évoluant dans l’obscurité des lieux qu’elle traversait. De la salle commune où elle avait dû attendre patiemment que les lumières s’éteignent et les gens rejoignent leur dortoir ; elle avait gagné le rez-de-chaussée, puis le premier étage avant d’atteindre le second. Au cours de son voyage, elle n’avait pas croisé la route d’un seul professeur et elle espérait que cela continuerait ainsi jusqu’à la fin de l’opération. Arrivée au second étage, point de ralliement pour ce début de mission, elle remarqua qu’elle était la première arrivée. Un bref coup d’œil à sa montre lui confirma qu’elle était bien à l’heure, ses compagnons de la nuit de ne devraient plus tarder. Sa montre était le seul bijoux qu’elle avait conservé, ses bracelets reposaient dans sa boite à bijoux, si l’on ne comptait pas son pendentif, dissimulé sous sa chemise. Autre mesure de précaution pour garder aussi secrète que possible son identité. Elle ne resta pas seule bien longtemps, une silhouette drapées comme elle d’une cape noire, s’avançait dans sa direction. Habillées comme elles l’étaient, il était impossible de connaitre l’identité de l’autre. A la corpulence de cette dernière, elle devina qu’il s’agissait d’une jeune femme. La nouvelle arrivante la salua d’un bref signe de tête, elle fit de même. Elles n’étaient pas là pour parler chiffons, alors inutile de s’étendre en bavardage.

Plongée dans un silence presque dérangeant, les deux demoiselles attendirent leurs acolytes. Il était prévu que leur groupe soit formé de quatre personnes ce soir là, deux d’entre elles manquaient encore à l’appel. Sutton espérait qu’il ne leur faudrait pas trop de temps pour les retrouver, la nuit présentait des avantages mais elle n’était pas éternelle. Il leur faudrait agir vite. Et Bien. Elle s’appuya contre le mur opposé à celui occupée par sa compagne, baissa la tête et croisa ses bras sous sa poitrine. Cette mission si elle réussissait, ce qui serait très certainement le cas, allait rappeler bien des souvenirs à certaines personnes, songea-t-elle souriante. Restait à espérer que rien ne viendrait les contrarier… L’arrivée du troisième membre de leur quatuor la fit se redresser. Ce dernier les gratifia d’un bref mot de salutation. Parfait, plus qu’un et ils seraient enfin au complet. Prêts à commencer les choses sérieuses. Il fallu patienter cinq minutes supplémentaires avant que la dernière silhouette ne fasse son apparition. Un signe de la tête en signe de salutation suffit là encore à remplacer les mots habituellement utilisés.

Les voilà enfin au complet.