Alesya errait. Littéralement, métaphoriquement. Elle errait, avançant dans les couloirs alors qu’on s’écartait sur son passage, le regard perdu dans le vide, quelque part droit devant elle et elle errait dans ses pensées. Perturbée, perdue, elle contemplait le carnage qu’était devenue sa vie, sa misérable existence, la rapidité avec laquelle chaque aspect positif s’était écroulé dans un vacarme impossible. Elle avait perdu son frère et en cherchant à le récupérer, elle avait perdu Ezechiel. Il s’était éloigné, elle avait surement cherché mais il l’avait laissé, dans le noir, dans le froid, dans un état pitoyable, s’éloignant au premier accroc. Elle n’avait jamais pensé lui en vouloir pour ça mais il n’avait pas respecté ses vœux et elle se perdait dans sa rage. N’était-il pas censé l’aimer pauvre ou riche, heureuse ou misérable, à travers la joie et les coups durs ? N’était-ce pas ce qu’il avait juré de faire en l’épousant ? Elle ne valait pas mieux, mais quelque part, le fait qu’elle le décoive et échoue avait été prévisible, attendu, il n’y avait rien de choquant là-dedans. Voir Ezechiel s’éloigner, en revanche…

Elle devait porter sur elle la colère et la peine que tout cela lui inspirait car les gens s’écartaient, à mesure qu’elle avançait, incapable de se secouer, enchainant les conneries pour avoir l’impression d’avancer, se concentrant sur l’Ombre pour ne pas penser à lui, à ce foutu Serdaigle. C’était une pause, un break, mais Alesya ne croyait pas à tout ça. Cela sonnait comme une rupture, une putain de rupture qu’elle avait cherché en lui rendant l’alliance. Une déception de plus sur son cœur, sur sa conscience. Un coup qui faisait mal, plus mal que jamais car… aussi puérile que cela puisse sembler, Alesya n’était pas de celles que l’on larguait, non. C’était elle, qui s’éloignait, toujours. C’était elle qui partait, pour se préserver, ce n’était pas elle qu’on laissait dans les ténèbres du parc devenu cimetière de leur histoire, dans le vent et les tourments, les sanglots qu’elle retenait. Nobody breaks my heart. A l’exception d’Ezechiel. Ce qu’elle lui en voulait, incapable de simplement tourner la page, oublier, surement parce que c’était injuste, ou bien parce que contrairement à ce qu’il pensait, elle l’aimait réellement, elle n’était pas juste attachée au fait que lui était toujours là pour elle. La preuve, il ne l’était plus.

Avalant sa rage, encore un peu, elle bifurqua et de jeunes élèves se pressèrent contre les murs pour l’éviter. Elle devenait hargneuse, vulgaire, encore plus brutale. Elle avait attaqué plusieurs personnes en se foutant bien des conséquences, aboyant contre tout le monde, professeurs comprit. Elle se perdait, elle errait, parce que cela avait été l’abandon de trop, celui qui avait remonté tous les murs, toutes les barrières, toute la glace qu’elle gardait pour se protéger comme d’autres pouvaient brandir un bouclier. Baguette à la main, elle arpentait les couloirs sans but, ne tenant plus en place dans sa salle commune. Beaucoup auraient pu dire qu’elle cherchait des ennuis car déjà, son regard s’assombrissait, orage menaçant un peu plus fort à chaque pas qu’elle posait sur les pierres lisses et anciennes de l’école. Peut-être, en effet, qu’elle cherchait à provoquer une esclandre, de quoi évacuer sa colère, de quoi sentir un peu d’adrénaline, quoi que ce soit, n’importe quoi pour chasser l’impression de catatonie qui figeait sa conscience et son cœur depuis qu’Ezechiel avait… simplement laissé tomber.

Hoquetant, elle serra sa main autours du manche de cette baguette qu’elle ne lâchait plus et elle s’engouffra dans un couloir plus vide, celui des fantômes. C’était stupide. Elle était responsable. Elle avait réussi à le chasser lui, tâche pourtant censée être impossible. Elle avait envie de hurler, de s’arracher la peau, de fracasser ses poings contre le mur le plus proche. Elle avait envie de disparaître, de quitter Poudlard, vite. Dire que personne ne pouvait comprendre, que personne ne savait. Plus seule que jamais, elle sursauta en entendant la voix du préfet des Serdaigle… Vraiment ? Trop secouée, elle n’eut pas le loisir de réfléchir, déjà ses pieds l’entrainait vers lui alors qu’il houspillait deux jeunes gens qui auraient vraisemblablement dû se trouver ailleurs. Elle lui en voulait, il n’avait pas idée, elle voulait qu’il ait mal comme elle souffrait, incapable de l’exprimer autrement… alors elle fonça et l’impact fut violent. Epaule contre épaule, utilisant son bon bras, celui avec lequel elle frappait les cognards, elle lui rentra dedans, littéralement. Les deux gamins en profitèrent pour déguerpir alors qu’avec un rictus, elle faisait volte-face.

Visage fermé, elle fit quelques pas en marche arrière, le regardant d’un air meurtrier et sifflant d’une voix perfide et glaciale « Tu peux pas faire attention, Nott ? » quand elle était pourtant la seule responsable. Ironie, surement, dans cette représentation bien simplifiée de la situation. Prête à tourner les talons à nouveau, elle secoua la tête d’un air résigné, se détournant bien vite, avant qu’il ne voit les reflets étranges qui passaient dans ses yeux. Il l’avait planté, il avait cherché l’Armageddon qui s’abattrait sur lui, elle se fichait bien de ses responsabilités dans l’histoire.

« Hate is like swallowing poison and waiting for the other person to die. »

Ces derniers temps, le jeune Serdaigle n'était plus vraiment lui-même. Pour une raison qui échappait à ses camarades, il était devenu beaucoup plus renfermé, moins souriant, moins aidant et aussi plus sec en ce qui concerne les règles de l'école. Il ne laissait passé plus rien et surtout pas aux couples qui s'aventuraient dans les salles de classe sombres et désertes pour passer un moment en tête à tête. C'était puérile de gâcher le bonheur des autres alors que lui n'y avait plus le droit mais c'était sa façon la plus saine de se vider la tête. Enfin, comme si pour lui c'était facile à faire. En vérité, il ne pensait qu'à elle. Sa silhouette recroquevillée qui s'effaçait dans les ténèbres le hantait nuit et jour et il ne savait toujours pas pourquoi, ni comment il avait tenu aussi longtemps sans retourner lui parler. Ah si, il savait. C'était sa foutue fierté qui l'empêchait d'aller ramper à ses pieds comme il avait fait après toute leur prise de tête. Il s'était juré que cette fois, il ne ferait pas le premier pas pour s'excuser, pas après toute la scène qu'elle lui avait fait, pas quand elle lui avait rendu son alliance à la première difficulté. C'était elle qui avait baissé les bras la première, elle qui, au fond, ne voulait pas de lui parce qu'il était trop différent des idéaux qu'elle avait des sang-purs peut-être, peu importait à présent de toute manière. Il ne voulait plus la voir mais en même temps, il crevait d'envie de tout lui pardonner en une fraction de seconde.

C'était comme si elle avait plongé sa main dans son torse pour y arracher son cœur encore battant et qu'en le balançant par terre, elle s'était mise à danser le tango dessus. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, une carcasse qui se traînait de cours en cours, qui ne prenait même plus de note et qui mangeait à peine. Il se levait avec peine le matin et se couchait comme une masse le soir avant de faire des cauchemars digne des plus grands films d'horreur moldus. C'était un cercle infernal dans lequel il finirait par devenir fou. Mais il ne lâchait pas le morceau, refusant par-dessus tout de revenir vers elle. Et ce silence de plusieurs mois lui montrait bien à quel point, elle ne voulait plus de lui. C'était fini, terminé, elle trouverait le bonheur dans les bras d'un autre sang-pur et lui, finirait sûrement par épouser une fille que son père aura choisi pour lui. Rentré dans le rang, devenir un autre copié-collé de son paternel tant sa volonté était fixé sur un seul objectif. Ne plus penser à elle. Cette phrase tournait dans sa tête, empêchant l'idée même de s'y ancrer. Il ne pouvait pas ne pas penser à elle. C'était dans ses gênes de l'avoir toujours en tête et plus que jamais, il détestait sa mère qui lui avait transmis cette malédiction à la naissance. Comme si naître chez les Nott n'avait pas été une épreuve assez difficile comme ça, il fallait maintenant y ajouter ça. Il se sentait parfois comme Roméo exilé à Mantoue mais avec une Juliette bien plus sombre que celle de la pièce et qui n'attendait pas son retour avec désespoir.

Comme une machine, un automate cassé, le jeune homme grimpa les escaliers, tourna à gauche, puis à droite, sans même savoir où il allait, ni pourquoi il prenait cette direction. Il poussa une porte au hasard et deux cris affolés le tira de sa léthargie. Il fronça les sourcils, sortit sa baguette et lança un lumos qui éclaira la pièce d'un coup. Deux élèves s'écartèrent l'un de l'autre comme si soudainement, ils avaient attrapé la peste. Un soupir passa les lèvres du préfet tandis qu'il fit un signe de tête aux deux étudiants pour qu'ils le suivent. Le rouge aux joues, ils baissèrent la tête devant l'autorité du jeune homme qui s'apprêtait à se lancer dans un monologue sur les règles à respecter, les endroits à ne pas fréquenter et tout le reste qui va avec. Mais à peine eut-il ouvert la bouche que l'air s'en échappa comme si on venait de lui asséner un énorme coup de poing dans le ventre. Plié en deux, il releva la tête pour s'apercevoir que ses deux délinquants avaient profité de cette intrusion pour se faire la malle et il soupira une nouvelle fois. « Tu peux pas faire attention, Nott ? » et cette voix qui résonna dans sa tête fut le pire des coups qu'il reçu. Alors qu'il resta un moment muet, encore sous le choc peut-être, il vit qu'elle se retournait, prête à partir à son tour alors qu'il ne lui avait même pas répondu. Il se redressa alors et prêt à se mettre sur son chemin s'il le fallait il la fixa, quitte à la mettre mal à l'aise (ce qui dans le cas de la Lestrange n'était pas prêt d'arriver).

« Et c'est tout ce que tu vas me dire ? » Le ton était rêche et un peu dur, comme s'il s'apprêtait encore à disputer un première année qui aurait fait une bêtise. « Deux mois qu'on ne s'est pas parlé et tout ce que tu as à me dire c'est ça ? » Il lâcha un rire sale en se tenant les côtes qui commençait doucement à lui faire mal, cachant par la même occasion sa main où, malgré tout, il gardait son alliance, preuve qu'il ne pouvait pas encore se séparer d'elle. Pas avant d'avoir une nouvelle et peut-être dernière conversation avec elle.

Elle voulait déguerpir. Elle voulait être lâche, comme toujours, et fuir, simplement, ne pas avoir à l’affronter, à le regarder, ne pas avoir à prendre dans les dents n’importe quel commentaire bien pensé il pouvait avoir concocté depuis qu’il l’avait planté au milieu des pelouses de Poudlard. Elle aurait le temps, surement, elle pourrait prendre ses jambes à son cou. Il la regardait, en silence, il la fixait sans un mot et elle voulait se barrer… elle n’eut pourtant pas le temps –ou la force- de faire trois pas pour se diriger vers la sortie la plus proche, suivre les gosses turbulents que le Serdaigle s’acharnait à pourchasser et punir, en bon petit préfet de sa maison, obéissant, révérencieux, maté par cette école… « Et c’est tout ce que tu vas me dire ? » L’espace d’un instant, elle eut l’impression de se faire gifler par une main couverte de papier de verre tant la voix se voulait rappeuse, corrosive. A croire qu’Ezechiel avait pris cette vilaine habitude, typique d’Alesya, d’aboyer plutôt que de parler, de japper plutôt que de s’exprimer normalement. A croire qu’à force, elle avait réussi à le casser. Inspirant un peu plus profondément, elle ne le lâcha pas du regard cependant. S’il voulait l’attaquer comme il avait pu la voir faire des centaines de fois, un deuxième temps viendrait. L’air de rien, elle se blinda mentalement pour se préparer au pire, comme on part au combat…. Un combat contre celui qu’elle n’avait jamais pensé devoir affronter. « Deux mois qu’on ne s’est pas parlé et tout ce que tu as à me dire, c’est ça ? »

Un sursaut d’intérêt traversa son crâne, se trahissant surement dans son regard. Elle ne l’avait pas lâché des yeux, dardant sur lui tout son ressentit, toute cette colère qu’elle pouvait avoir à son égard, entre l’abandon et la solitude qu’il provoquait. Avait-elle passé des nuits à pleurer sur eux ? Oui, et ça, personne ne le savait. Avait-elle fait semblant d’avancer en s’en foutant ? Oui aussi et ça, les gens ne pouvaient pas le comprendre, ignorant l’union de base, ne pouvant donc rien savoir de la séparation. Deux mois, huit semaines et voilà qu’ils se tombaient dessus, au détour d’un couloir. Voilà qu’ils se sautaient presque à la gorge pour une histoire de coup d’épaule alors qu’Ezechiel semblait prêt à lui arracher le visage. Vraiment ? Avait-il développé du caractère pendant cette absence ? Elle était mauvaise mais curieuse, elle avait envie de lui balancer des horreurs à la tronche, parce que c’était plus facile que d’avoir mal… Elle n’était ni honnête ni juste mais elle s’en moquait, à vrai dire, n’ayant plus l’occasion de se permettre ce genre de luxe. « Oh, non, j’ai beaucoup d’autre chose à te dire, mais la plupart commençant par ‘connard’ et se terminant par un conseil quant à ce que tu peux faire de ta tête et du postérieur d’un scrout à pétard, je ne suis pas certaine que tu veuilles entendre… » lâcha-t-elle, croisant les bras et fermant sa main sur la baguette qui dépassait de sa poche, par réflexe. Elle avait mal, évidemment, elle avait envie que ça s’arrête et de nombreuses fois s’était-elle surprit à se frapper la tête pour faire cesser les larmes et la douleur qu’il provoquait en n’étant pas là, mais jamais elle n’avait cédé, trop fière surement. Ou trop idiote. Ou rien de tout ça, au fond, voulant juste l’éloigner pour éviter qu’il ne se fasse briser.

Car l’idée lui avait effleuré l’esprit et alors qu’elle le voyait là, aigri, mauvais, elle réalisait que ça se tenait. Elle l’avait pourri, jusqu’à la moelle peut-être. Elle l’avait abîmé, tuant petit à petit cette foutue innocence qui l’avait séduit au premier abord. Imperceptiblement, elle secoua la tête. Peut-être que toute cette idée d’union n’avait été qu’un sursaut d’espoir inutile, qu’une mascarade, peut-être n’avait-elle pas de cœur et lui pas les épaules pour les tenir, peut-être méritait-elle d’être seule. Soudain hargneuse et glacée, sentant l’idée la submerger et la terrifier, elle réalisa qu’il fallait qu’elle l’éloigne encore un peu, probablement. Elle ignorait cependant que c’était impossible, qu’ils étaient liés par bien plus qu’un simple contrat dont l’humanité presque toute entière ignorait l’existence. « Au pire, t’as qu’à te répéter mentalement tout ce que tu m’as entendu balancer aux gens que j’n’aime pas, tu commenceras vaguement à t’approcher de ce que j’ai en tête à ton sujet » lança-t-elle, garce, insinuant s’en foutre, voulant qu’il s’éloigne, qu’il la déteste, ne comprenant pas qu’il n’en était pas exactement capable, ne comprenant pas non plus qu’à travers toute cette agressivité qu’elle pouvait présenter, on voyait ses doutes et ses angoisses, sa solitude.

Sa voix avait craqué, pourtant et en entendant ça, elle tira sa baguette, la pointant en direction d’Ezechiel, de son visage fatigué, parce que c’était plus facile que d’admettre qu’elle avait viscéralement besoin de lui, plus que jamais, qu’elle se sentait partir en vrille sans le poids de l’alliance pour la maintenir au sol et que la pression de l’Ombre la tuait petit à petit sans lui pour la soutenir à ses côtés. D’un mouvement de poignet, elle envoya pourtant une gerbe d’étincelle qui frôle l’oreille du jeune homme avec une précision vicieuse, un sourire se peignant sur ses lèvres, presque juste assez pour effacer l’insécurité et le manque dans ses yeux.