On était Samedi. On était samedi, et comme tous les samedis, Jill s'était levée très tôt. Comme tous les samedis, et comme tous les jours de la semaine. Mademoiselle n'aimait pas beaucoup dormir, pas plus de six heures par nuit. Sauf lorsqu'elle était malade, où là, dix sept heures par jours étaient encore insuffisantes à la sortir de son état de léthargie avancée. Cependant, ce samedi là n'était pas l'une de ces pénibles journées où le rhume embue la tête, bouche le nez, irrite la gorge et noue son estomac. Alors, Jill s'était levée tôt, et était allée courir dans le parc. Une petite veste n'était pas du luxe. Le froid n'était guère encore hivernal, n'était guère encore suffisant pour faire exhaler à la Serdaigle une commune vapeur blanche, mais il l'était bien assez pour lui donner la chair de poule. Elle avait couru, plus d'une heure, et était revenue prendre sa douche dans la salle de bain des jeunes filles de sa maison un peu avant que celles-ci ne se lèvent. Avait suivi le petit déjeuner.

-Jill... Lilou ? Tu m'écoutes ? Houhouuuuu ! Lilou ! Regarde-moi, je suis un morse !

Tournant des yeux absents, haut perchés, vers son cousin, Jill ne put s'empêcher... d'éclater de rire en le voyant avec deux couteaux coincés précairement dans le bec, mais un sourire d'illuminé qui lui faisait toujours chaud au cœur. Sa cousine, une fois passée la quinte de toux due à son presqu'étranglement, haussa un sourcil avec un sourire en coin.

-Tu sais que tu n'as pas besoin d'accessoires ?

Le jeune homme qui lui ressemblait tant cilla, mais pas assez rapidement pour qu'échappe aux yeux de sa cousine l'éclair de compréhension qui traversa ceux d'Azalea. Dans la seconde, il s'empressa d'arborer avec la fierté d'un coq une moustache magnifique, qui poussa sous les yeux ébahis de l'amérindienne, des dents d'une longueur impressionnante et un teint grisâtre. Ne pouvant retenir un nouveau rire, elle frappa discrètement dans ses mains, saluant l'exploit. Elle-même n'aurait jamais été capable d'en faire autant. Tout du moins, elle n'aurait jamais osé. Azalea avait décidément un grain de folie qui prouvait à tout instant qu'il était chez lui à Serdaigle.

-Très impressionnant, tu m'as eue ! Alors, de quoi tu voulais me parler ?

Toujours affublé de ses attributs « morsiques », ce qui rendait le tableau incongru, décalé, et particulièrement difficile à comprendre pour Jill, entre deux bafouillages échappés des défenses de l'animal (nous parlons d'Azalea), le jeune homme ne se débina pas une seule seconde et se lança dans un récit très imagé, à sa façon, évoquant une quête, un objet magique, des dangers, des périls... Et une boîte de bonbons. Parce que, voyez-vous, l'héritier Stark et la jeune Valentyne adoraient les bonbons. Le résumé de tout cela, c'est qu'Azalea ne savait pas s'il avait affaire à un genre de boîte de pandore, dans cette histoire, ou bien de l'appeau à strangulots de Merlin, mais qu'il comptait sur sa cousine, la seule et l'unique, pour l'aider à le découvrir. Celle-ci accepta, bien sûr, comment aurait-elle pu faire autrement ?, mais elle dû s'excuser peu après et prendre la fuite, car un poufsouffle sauvage était apparu pour discuter avec le jeune hom... Morse, et qu'elle n'avait pas la ball adéquate pour le capturer. Autant mettre les voiles.

C'est ainsi qu'elle se retrouva, jeune louve solitaire « far away from home », enfermée dans la salle des duels. Qu'on se le dise, après plusieurs années de pratique acharnée, mademoiselle était redoutable en krav maga, et savait parfaitement comment neutraliser physiquement un individu... Mais magiquement.... C'était une autre histoire, qu'aucun morceau de sucre n'aidait à couler. Elle était acide, amer... et ridicule. Jill avait une excellent baguette, qui ne demandait pas mieux que de révéler son potentiel, elle le savait. Mais celle-ci devait faire face à la totale inexpérience de sa porteuse, qui était incapable, ou presque, de lancer un sortilège efficace. Et par efficace, nous entendons efficace, et pas réussi. Car Jill était à même de réussir n'importe quel sortilège. Qu'il soit efficace, en revanche, était du domaine de l'absurde pour l'heure. Elle en était à l'étape du lancer de patronus dans une salle dénuée de tout détraqueur, en sécurité, et sans la moindre menace. C'était facile. Mais en situation, rien ne disait qu'elle serait à même de le sortir. Et ça la frustrait au plus haut point. Elle voulait s'entraîner. Et pour cela, il lui fallait un adversaire. Un adversaire pas trop balèze si possible, elle ne voulait pas tout de suite voir des chauves-furies lui lacérer le visage, et se contenterait volontiers de voir sa baguette lui voler des mains, dans un premier temps. Hélas, animer des objets pour qu'ils l'attaquent n'avait servi à rien. Un petit reducto par-ci, un petit sortilège d'expulsion par là, et il ne restait plus grand chose de ses attaquants... Très crédibles de surcroît, avec leur mousse qui sortait des coutures sur le point de lâcher. Ah, ces coussins... On ne peut décidément rien leur demander ! Mais chut... Voilà que Jill entend du bruit dans le couloir... A pas de loup, elle se dirige vers la porte et colle son oreille tout contre... Si elle calcule bien son coup, elle peut séquestrer ce ou cette visiteur, et l'obliger à se battre pour sa liberté ! Voilà qui serait un entraînement des plus intéressants ! Et elle en aurait bien besoin également pour combattre les agents que le ministère enverrait à la suite de la plainte déposée par sa victime... Mauvais plan. Mais plan quand même. A tenter dans trois, deux, un...

-Aïeuuuuuh !

Vol plané pour Jill, expulsée par la porte ouverte brutalement. Elle n'avait pas eu besoin de sauter sur sa victime, c'était sa victime qui venait de l'assommer à coup de porte ! Vite redressée, elle se tenait la tête, qui la lançait. Ses yeux se croisaient, elle voyait drôlement, autant que vertigineusement pouvait être synonyme de « drôlement ». Azalea, aka Zazou, aurait positivement adoré.

-Ahouch... Quand tu y vas toi, tu y vas... C'est pas à moitié...

Le nez froncé, elle continua de se frotter la tête jusqu'à ce que la douleur passe, et attendit, patiemment, que son regard se fixe afin d'être à même d'identifier ce qui était pour l'instant un Joe ou une Jane Doe.

La personne inconnue à avoir assommé Jill n'était guère une Jane, mais un Joe Doe. Un Joe Doe, qui à la réflexion, n'en était pas un non plus. Si le garçon ne faisait pas partie de ses connaissances, il était en revanche du cercle de son cousin. Elle les avait déjà vu discuter plusieurs fois ensemble, et fut un temps, le garçon lui ayant tapé dans l’œil, avait tenté de savoir quel genre de relation ils entretenaient. Pour ne pas se trahir et s'exposer aux moqueries, elle n'avait guère poussé son investigation. En fait, elle s'était contentée d'une seule question. « C'est qui ce garçon ? », en le rejoignant Zazou après qu'Aymeric l'ait laissé. « C'est mon petit scarabée ! » avait répondu son cousin avec enthousiasme. Jill n'avait pas cherché plus loin, mais avait compris, quelques temps plus tard, qu'Azalea donnait des cours, aidait le poufsouffle à faire ses devoirs. Un instant, elle resta impassible, debout face à lui, se frottant la tête jusqu'à ce que la douleur disparaisse, et s'accorda avec elle-même. Pas question de lui dire qu'elle savait pour les leçons que son cousin lui dispensait, les gens n'aiment pas, généralement, qu'on leur rappelle leur médiocrité... Et puis surtout, le fait qu'elle sache aurait trahi son intérêt, et elle avait bien trop de fierté pour l'exposer aussi ouvertement, alors qu'ils ne se connaissaient ni d'Eve, ni d'Adam.

Ces considérations rapidement chassées, les paroles du garçon la frappèrent avec la même violence qu'une chute de casserole sur du carrelage. C'était désagréable. Pas forcément grinçant, mais... Qui vous faisait clairement penser qu'il valait mieux entendre ça que d'être sourd. Cela dit, après avoir relativisé, elle devait concéder que son comportement avait été quelque peu étrange, mais de là à concéder que c'était de sa faute si elle avait presque eu le crâne fendu... Non, décidément, elle ne le pouvait pas. Dans l'histoire, il avait tout autant sa part de responsabilité, fut-ce-t-elle involontaire, et il devrait l'accepter. Elle orienterait son argumentaire dans ce sens en tous cas. Ou pas, d'ailleurs, puisqu'à peine avait-elle ouvert la bouche pour prendre la parole qu'il la devança. Des excuses ? Alors qu'elle était aussi en tort et ne lui avait rien demandé ? Pour Jill, ce fut comme de recevoir une claque dans la figure. Elle était beaucoup plus habituée au dénigrement de ses camarades qu'à leur prise de responsabilité. Ses épaules s'affaissèrent sensiblement, et sa bouche s'étira en un sourire serein.

-Il n'y a pas de mal, ne t'en fais pas. Tu as raison, c'était particulier que d'être derrière la porte... Mais à ma décharge, je n'y étais pas pour rien...

A la dernière seconde, elle se retint de lui avouer qu'en entendant ses pas dans le couloir, elle s'était imaginée le séquestrer jusqu'à ce qu'il la terrasse et prenne la fuite. Ça lui aurait paru probablement encore plus étrange, et l'aurait plus que certainement conduit à déserter la salle de duels. Jill avait déjà tellement de peine à communiquer avec les élèves qu'elle se félicita de ne pas avoir laissé échappé l'entièreté de sa pensée cette fois. Même si, elle devait se l'avouer, aller jusqu'au bout aurait pu faire comprendre, sa phrase couplée à la ressemblance physique, qu'elle faisait partie de la famille d'Azalea. Cependant, elle laissa ce détail de côté et lui tendit la main.

-Je m'appelle Jill.

Peu friande des poignées de main, qu'elle trouvait trop masculines pour elle, Jill se contenta d'à peine feindre serrer celle d'Aymeric et récupéra sa main. D'un pas décidé par la suite, elle alla chercher sa baguette, qui avait volé un peu plus loin lorsqu'elle s'était pris la porte. Un peu hésitante, elle revint ensuite vers Aymeric.

-Dis, tu m'aiderais à travailler mes sortilèges s'il te plaît ? Si ça t'ennuie, on peut partager la salle... Mais ça pourrait être intéressant de s'affronter mutuellement, non ?

Le regard qu'elle lui lança en lui posant cette question n'était pas suppliant, mais plein d'espoir. Elle était fatiguée des mannequins, fatiguée de se sentir faible, de ne pas être capable de jauger de sa valeur comparée à un tiers. Aymeric était arrivé à point nommé, s'il acceptait. Enfin, il fallait tout de même qu'elle précise...

-Par contre, il faut que tu saches que je suis un peu douillette alors... Si tu veux bien, tu voudras bien aussi faire attention et ne pas être trop brutal ?

Hors de son contexte, cette phrase aurait pu être d'une connotation tout à fait tendancieuse... Ce que Jill sembla relever, un rien trop tard, et dissimula ses joues rougies derrière une petite toux feinte. Avec un peu de chance, Aymeric n'aurait pas l'esprit suffisamment mal tourné pour relever le double sens inopiné.