C’était une journée de merde.

Définitivement, il n’y avait pas à sourciller. Il y avait des jours, comme ça, où Alesya avait juste envie de tirer sa baguette et de tout envoyer paître, des jours où elle se faisait violence pour ne pas hurler et arracher les yeux de tous ceux qui s’amusaient à la contrarier sans le savoir. Des premières années dans son passage, des pintades gloussantes dans les toilettes, des Gryffondors toujours trop présent avec leur patronyme de héros et leurs manières de tête à claque… La plupart du temps, elle arrivait à naviguer dans le gigantesque château sans trop de heurt mais parfois, comme aujourd’hui, elle se retrouvait harcelée de tous les côtés par des imbéciles divers et variés.

Clairement, elle n’avait pas fui assez loin.

Ce n’était pas dans sa nature, de s’enfuir loin des problèmes et ce malgré ce qu’on aurait pu attendre de la part d’une Serpentard. Alesya provoquait des scandales et restaient jusqu’au bout, assumant les conséquences. Elle aimait trop l’attention et l’adrénaline d’une bagarre de couloir pour songer à prendre ses jambes à son cou lorsque les choses s’envenimaient. Pourtant aujourd’hui, elle avait choisi l’humilité, du moins jusqu’à présent, d’un retrait stratégique. C’était peut-être là une marque de faiblesse… ou bien de maturité. Toujours est-il qu’elle s’était éloignée d’un conflit à venir, soufflant un « laisse tomber » blasé et filant loin de la salle où elle était censée avoir cours. Elle manquerait à l’appel mais pour ce qu’elle en avait à faire… Après tout, elle se trouvait déjà assez accomplie et s’ennuyait souvent pendant les sessions d’entrainements des gorilles qui lui servaient de camarades de classe. Plantant les autres, elle avait remonté son sac sur son épaule et s’était éloignée de la partie la plus vivante du château, s’excusant elle-même pour l’après-midi et prenant de la hauteur. Elle avait déambulé un moment sans trop savoir quoi faire, hésitant à aller vérifier si Ezechiel était, par hasard, dans sa salle commune et se souvenant à la dernière minute qu’il avait en réalité cours à l’autre bout du château. Elle avait pesté, s’engouffrant à défaut dans le couloir du quatrième étage, pensant trouver un coin tranquille pour profiter un peu et réalisant de plein fouet que décidément, le monde lui en voulait.

Devant elle, juste dans l’angle d’un couloir se tenait un jeune homme qui venait de la heurter violemment.

Retenant un juron, la jeune femme afficha un rictus et porta sa main à ses côtes, dardant sur lui un regard sombre, mauvais, glaciale. Il venait de lui faire mal, en plus de confirmer le côté pourri de la journée. Son sac à ses pieds, Alesya le toisa avant d’attraper la bandoulière, rageuse. Il lui fallait en général un peu plus qu’une simple bousculade pour la mettre pleinement en colère, seulement elle avait déjà son quota d’agacement pour la journée. Tant pis pour le pauvre Jaune et Noir qui se trouvait devant elle, il ne l’avait surement pas fait exprès mais il prendrait pour tous les autres, simplement parce qu’elle venait d’en décider ainsi et qu’il n’en fallait pas beaucoup plus à la Lestrange peu regardante.

D’une voix détestable, elle lança à bout portant « Tu ne peux pas faire attention, Pauv’souaffle ? » avant de passer la paume de sa main sur ses affaires, un peu comme s’il l’avait salit, comme s’il n’était qu’une créature répugnante. C’était surement le cas, pensa-t-elle en le dévisageant. Poufsouffle était une mauvaise maison dans le regard de la brune et ce garçon qu’elle avait croisé un million de fois mais dont elle ne connaissait pourtant pas le nom, parce qu’il était insignifiant, était sans aucun doute de la mauvaise graine, un né-moldu ou un traite à son sang, quelque chose du genre…

Bien vite, alors qu’elle remontait son sac et le secouait pour en retirer la poussière, portant encore un masque de douleur sur son visage, elle réalisa que sa bonne volonté pour fuir les ennuis avait bel et bien mit les voiles. Dans ce couloir désert, elle avait envie de lui hurler dessus, d’être grinçante et désagréable et de passer ses nerfs sur cette bouille timide. Tête haute, port glaciale, elle siffla comme une vipère « Parce qu’en plus d’être bidon au Quidditch, d’être le repère des plus médiocres sorciers et d’être représentés par un blaireau, vous êtes maladroits ? C’est à se demander ce que vous foutez dans cette école, tous des cracmols en puissance… »

Elle secoua la tête, ses boucles brunes voletant autours de son visage de poupée démoniaque et alors qu’elle cachait la douleur que la collision balançait dans ses côtes, elle transforma son masque en une expression d’agacement pur. Qu’il ne cherche pas à s’éclipser, il avait gagné une diatribe haineuse et injustifiée…

Pathétique. C’était le seul mot qui venait à l’esprit de la jeune femme alors qu’elle luttait pour chasser de ses yeux sombres des larmes de douleur qu’elle refusait de pleurer. Et puis quoi, encore ? Chialer comme une enfant, comme si elle était en sucre, devant un imbécile de Poufsouffle dont elle ne connaissait même pas le prénom tant il était insignifiant à ses yeux ? C’était surement une erreur, d’ailleurs, de ne pas être foutue de mettre un patronyme sur son visage, parce qu’elle était presque sûre qu’ils étaient dans la même année… en somme, cela faisait six ans qu’ils se côtoyaient et avaient des cours en commun mais qu’il n’avait rien fait d’un tant soit peu intéressant pour qu’elle daigne s’inquiéter de qui il était… quelque part, cela en disait long, du moins Alesya en était persuadée alors qu’elle le tuait mentalement à coup de haine stéréotypée et de mauvaise foi.

Après un certain temps, il se confondit à nouveau en excuse. C’était décousu, bafouillée, il la vouvoyait et même si cela aurait dû faire jubiler la jeune Lestrange, elle ne pu s’empêcher de tiquer. Une fois de plus, elle réalisait qu’on ne la respectait pas, on la craignait simplement. C’était de la gêne, de la peur qui émanait de ce garçon, il avait pourtant son âge, il était plus grand qu’elle, plus solide, il n’aurait pas dû s’écraser comme ça, c’était juste… l’effet qu’elle faisait. D’ordinaire, cela aurait suffi à la faire sourire mais là, pour une fois, elle réalisait le problème, l’accroc dans le système. Il aurait dû se rebeller, lui rire au nez, lui renvoyer une vanne ou lui dire de se taire, il aurait dû refuser qu’une gamine de son âge lui dise comment se comporter, qu’elle se prenne pour plus puissante, plus autoritaire que lui… mais non, il écrasait et quelque part, elle se doutait que le problème ne venait pas que de la timidité maladive du garçon. Quelque part, elle savait très bien que c’était son attitude, sa réputation et le mal qu’elle avait pu faire au cours des années passées qui lui collaient cette aura terrifiant. Il baissa la tête et l’espace d’un instant, elle se mordit les lèvres avant d’arriver à chasser toute culpabilité.

Etait-ce son problème, après tout ? Oui, surement, parce qu’elle y pouvait quelque chose et parce qu’elle était responsable, mais il était surement trop tard pour changer la donne sans perdre toute crédibilité. Elle souffla longuement et attrapa sa baguette. Non, elle n’avait pas le choix, pas vraiment. Sa colère reprenait doucement le dessus et la douleur qui se faisait encore sentir lui rappelait que ce garçon « méritait » ce qu’elle pourrait bien lui faire pour se venger. Lâchant son sac, elle fit un pas en avant et pointa sa baguette au niveau de sa gorge. « Baisse pas les yeux, t’es surement faible mais ce n’est pas une raison pour jouer les Elfes de maison, t’es un sorcier après tout, non ? » Sa voix n’avait pas vraiment l’intensité des attaques précédentes mais ça irait bien, pour le moment. « Je sais qu’on peut en douter, vu ta maison, mais s’ils t’ont donné une baguette, c’pas pour que tu écrases comme ça, je me trompe ? ». Elle laissa filer un rire sale, ne le sachant pas mais ayant les mêmes intonations que feu sa tante, Bellatrix, responsable de tant de dégâts dans le monde magique. Alesya n’avait jamais connu la ténébreuse brune, elle n’en connaissait que l’histoire, de loin, mais elle la considérait quand même comme une espèce d’exemple. Au fond de son crâne, une petite voix souffla que c’était surement un signe, le fait que Bellatrix ne soit plus là aujourd’hui, qu’au fond tout ça n’était pas une bonne idée et que ce processus d’intimidation ne servirait à rien.

Elle appuya quand même sa baguette, essayant de faire mal au garçon. Menaçante, elle semblait prête à lancer un sort, prête à faire mal, mais elle se retrouva à le fixer et elle se dégonfla. Pestant mentalement, elle tourna la tête, ne voulant pas… Il semblait pourtant si effrayé, elle réalisait à quel point elle semblait… ridicule. Etait-ce là l’image qu’elle voulait donner, celle d’une jeune femme cruelle et sanguinaire ? Oui, elle cherchait la puissance et la reconnaissance, mais ce n’était surement pas la bonne solution que de laisser des cadavres sur son passage… Les Mangemorts avaient échoué par deux fois, déjà et ce n’était surement pas sans raison.

« Et merde » souffla-t-elle, baissant sa baguette. Toujours armée, cependant, elle commença à s’agacer différemment, pas forcément moins imposante mais trahissant un peu cette facilité à partir en vrille pour rien. « Pourquoi tu n’réagis pas, hein ? Tu n’peux pas au moins attraper ta baguette histoire que j’ai pas l’impression de frapper un gosse de première année ? » Elle tourna la tête, colérique, capricieuse, jamais contente. Il y avait presque de quoi rire, de quoi se moquer. D’elle-même. Elle posa sa main libre devant son visage et d’une voix blasée, faussement critique, elle lâcha : « C’est vrai ça, bordel, tu peux pas me faciliter la tâche ? Tu cherches à m’empêcher de dormir avec de la culpabilité, c’est ça ? » et un sursaut de rire très sarcastique la secoua alors qu’elle partait dans son délire.

L’instant d’après, elle se retrouva pliée en deux. Rire franchement avec une côte potentiellement brisée n’était absolument pas plaisant. « Tu fais chier, Pauv’souaffle » arriva-t-elle à articuler, luttant contre une vague de douleur mélangée à une envie de simplement se moquer d’elle-même.

Un bras autours du buste, comme si appuyer sur la source de la douleur allait changer quoi que ce soit, Alesya sentait le sang lui monter à la tête alors qu’elle était encore penchée en avant. Foutu Poufsouffle, elle lui aurait arraché les yeux pour le coup. Si à cause de lui, elle se retrouvait interdite de stade, si elle ne pouvait pas jouer au Quidditch, elle retrouverait son nom et le tourmenterait jusqu’à la fin de temps. Il était étrange qu’une batteuse soit si frêle mais Alesya n’était pas épaisse, sa petite taille elle la rattrapait en hargne, en agressivité et bien que minuscule en comparaison avec Amadeus, son acolyte et co-batteur, elle faisait pratiquement autant de dégât que lui. La teigne de l’école, qui à présent serrait les dents parce qu’on l’avait bousculé. Génial.

Elle entendait déjà les railleries, en plus. Si elle se retrouvait collée au banc pendant les entrainements, aucun de ses camarades ne l’épargneraient, c’était évident. Et elle s’agacerait, passant une fois de plus pour la tarée hystérique et colérique au possible, celle partant en vrille pour rien, celle à qui il fallait coller une muselière. C’était là sa réputation. Inspirant profondément, elle réalisa qu’elle devait le chercher, au final. Le Poufsouffle n’avait rien fait d’autre que d’être aussi distrait qu’elle, il lui était rentré dedans, cela arrivait. Combien de fois, pendant sa première année ici, c’était-elle retrouvée à baisser la tête pour avoir gêné le passage d’un élève plus âgé. Certes, le jeune homme semblait assez grand et n’était clairement pas en première année, mais il n’avait surement pas eu Rohàn et ses méthodes douteuses pour le forcer à s’affirmer, contrairement à Alesya. Elle avait été dressé, elle le savait et la plupart du temps, ça ne la dérangeait pas, sauf lorsqu’elle se retrouvait à sauter au cou d’un innocent, à vrai dire. Pourquoi, en plus ? Pourquoi l’avait-elle insulté de tous les noms ? Elle secoua la tête, blasée, s’attendant à l’entendre détaler comme un lapin pour aller ensuite raconter à tout le monde à quel point elle était dérangée. C’était de bonne guerre après tout.

Il la fit sursauter cependant, car elle réalisa alors qu’il faisait un pas timide en avant qu’il n’avait pas l’intention de filer. Suicidaire ? Ou bien suffisamment malin pour voir qu’elle n’était pas en état de lui faire du mal à cet instant. D’une voix mal assurée, il souffla : « Est ... est-ce que ça ... va ? Je ... Je peux vous ... euh ... t'emmener à ... l'infirmerie ... Si tu veux ... Enfin je veux ... dire ... Si tu en a besoin ... » et Alesya compris qu’elle s’en voulait de l’avoir secoué comme ça. Elle ravala ses regrets cependant, pas du tout habituée à ressentir ce genre d’empathie et n’aimant pas la faiblesse que cela laissait transparaître. Il bougea et elle ne releva pas la tête, trop absorbée à gérer sa douleur, seulement l’instant d’après, elle se retrouva avec une petite fiole sous le nez. Fixant le liquide bleu, elle entendit le Poufsouffle lancer maladroitement : « C'est ... une potion pour ... la douleur. Je ... je fais de la boxe ... C'est ... c'est pratique, pour ... atténuer la douleur ... a cause de certains coups ... Et .. euh ... ça efface un peu les ... hématomes ... Si y en a ... ».

Les bégaiements trahissaient son envie de se sauver et pourtant, il était là, comme s’il cherchait à réparer ses bêtises. Faisant un effort, Alesya se redressa un peu et posa son regard sur lui. Il avait l’air particulièrement innocent, le genre de personne qui ne la provoquerait pas volontairement, à des milles de ces petits imbéciles cherchant à l’agacer comme on emmerde un dragon. Elle leva les yeux au ciel, blasée, et se laissa tomber sans heurt. Assise dans les quelques marches du couloir, soufflant doucement, elle tendit la main pour attraper la fiole. Il était trop gentil, c’était perturbant, profondément. Les gens n’étaient-ils pas censé être cons et froids ? C’était plus facile d’haïr le monde, d’haïr cette bande de petits vainqueurs prétentieux lorsqu’ils se montraient, justement, prétentieux. Elle n’avait pas la moindre idée de qui il était mais quelque chose laissait à penser qu’il faisait partie de la bonne foule, ceux qui s’étaient scandalisé en voyant cette inscription sur le stade… peut-être était-il même directement menacé. Elle chassa tout cela de son esprit. Elle se vantait de la responsabilité, elle affirmait avoir commis cet acte de vandalisme mais au final, elle n’en savait pas plus que les autres. Cela aurait pu être n’importe quel Sang-Pur de sa maison. Ou même un petit con de l’opposition cherchant à envenimer la situation. Elle profitait juste du feu de paille, elle, pour faire grincer des dents tous ceux qu’elle n’aimait pas. Idiote, elle savait que ça lui reviendrait dans les dents.

Le petit flacon entre les doigts, le bougeant comme un niveau pour faire couler le liquide bleu, elle resta là un moment, silencieuse, les dents serrées. Elle ne pouvait pas se permettre d’avoir mal et elle cherchait à savoir si elle pouvait faire confiance à ce garçon dont elle n’était pas fichue de se souvenir du prénom. Du moins si un jour elle l’avait su. Lui semblait parfaitement savoir qui elle était, en revanche, elle pouvait le sentir. Encore une preuve de cette mauvaise réputation qu’elle pouvait se trimballer. Great. « Ca s’trouve, tu veux m’empoisonner pour te venger » murmura-t-elle, très bas, avant d’ajouter « ah, non, attends, ça serait typiquement Serpentard, ça… ». C’était un peu blasé, un peu grinçant comme commentaire. Après tout, les stéréotypes des maisons étaient là pour quelque chose, non ? Elle souffla doucement, relevant la tête vers lui et se fendant d’un demi-sourire. A défaut de dire merci, elle se faisait… comprendre ? Il ne fallait pas non plus exagérer, il était la raison pour laquelle elle souffrait, mais quand même. Débouchant la fiole, elle la porta ensuite à ses lèvres, grimaçant à cause du gout immonde. « Retire ce que j’ai dit, tu cherches à m’empoisonner… » maugréa-t-elle, sans agressivité cependant, comme si c’était une simple boutade sans conséquences.

Il y avait un malaise. Et c’était l’euphémisme du siècle. Qu’avait-elle dit pour que soudain, un froid encore plus conséquent que la peur du Poufsouffle s’installe dans le couloir ? Si elle n’était pas si fine que ça avec les gens, elle était capable de remarquer ce genre de changement… qui n’aurait pas pu, de toute façon. Il s’était braqué, renfrogné et elle cru percevoir de la tristesse, de la… rancœur. Elle avala sa salive, gênée sans savoir pourquoi, tiquant à nouveau à cause du gout immonde de cette foutue potion. Etait-il blessé de ne pas être à Serpentard, boudait-il à cause de remarque ? Non, c’était impossible. C’était un Poufsouffle et ils étaient suffisamment bruyants et casse-pieds pour qu’Alesya sache que jamais aucun membre de cette maison ne se serait amusé à se foutre en opposition avec l’Ordre du Phoenix, ce qu’il en restait du moins. Ils avaient tous un parent héro de guerre, ils avaient tous perdu quelqu’un dans la VoldWar II, alors il était impensable que quelqu’un comme le Poufsouffle ait pu souhaiter terminer dans la maison de Salazar Serpentard, pas avec la réputation que se trainaient les Verts et Argents, pas après les actes de guerre… Certains parlaient de crime contre la communauté sorcière, de génocide, comme pendant les guerres Moldues… décidément, ils n’avaient pas fini d’en prendre plein les dents pour les agissements de leurs parents. Elle souffla, grimaçant encore et ne remarqua pas immédiatement ce qu’il lui tendait.

Ce n’est qu’en entendent le froissement familier d’un emballage de bonbon qu’elle réalisa qu’il avait fouillé dans son sac pour lui tendre une sucrerie. Elle regarda ce qu’il voulait lui donner, s’attendant à quelconque spécialité sorcière venant de chez Honeydukes, mais elle réalisa bien vite que le paquet coloré ne lui disait rien. Elle fronça les sourcils, perplexe et aussitôt, il expliqua, simplement « Tiens. C'est bizarre au début mais ça va mieux après, ça fait très bien passer le goût affreux de la potion ... Ce sont des Arlequins ... c'est ... moldu ... »

L’espace d’un instant, la jeune femme resta interdite. Assise dans un couloir désert, blessée et se sentant idiote de souffrir pour si peu, avec un gout atroce dans la bouche et une compagnie qu’elle n’était pas à même de juger comme ‘bonne’ car il s’agissait d’un jaune, elle ne savait quoi faire de cette proposition. Un bonbon moldu aurait dû sembler totalement anodin et elle n’aurait pas dû s’arrêter ou s’offusquer, seulement elle était Alesya Lestrange et avec ce nom venait toute la haine, toute la rage qu’elle se devait d’éprouver envers les non-magique. C’était une évidence, c’était facile, c’était ce qu’on lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance, à grands coups de concepts bien cinglants, efficaces… Alors pourquoi bloquait-elle ? Elle aurait pu taper dans la main du jeune garçon, repoussant clairement l’offre, elle aurait pu se débrouiller pour chasser d’elle-même le gout répugnant dans sa bouche, dans sa gorge mais… Non. Elle attrapa le bonbon, sans un bruit, un peu dubitative, presque effrayée. Les gouts des moldus étaient spéciaux et bien souvent, elle n’était pas d’accord avec ce qu’ils trouvaient bon… hormis leurs alcools, peut-être. Et leurs musiques. Mais ça, personne ne pouvait s’en douter car jamais la princesse des Serpentard, véritable petite Tsarine glaciale, n’aurait admis avoir jamais essayé.

Elle observa la sucrerie, longuement, regardant le paquet comme s’il allait l’attaquer, avant de le déballer, doucement. Elle avait un sourcil levé et la mine méfiante, ne sachant vraiment pas ce qui allait lui tomber dessus. S’il était assez fou, peut-être venait-il de lui proposer un farce-et-attrape acheté chez Zonko… Tant pis. Elle hésita une seconde, avant de fourrer la petite boule blanche, cernée de couleurs vives, dans sa bouche.

Et elle serra la mâchoire. C’était une première mais quelque part, elle ne pu s’empêcher de penser à des Suçacides. Cela n’avait rien à voir, ce n’était pas magique, mais l’acidité eut en effet le pouvoir de chasser, peu à peu, l’amertume qu’elle sentait encore couler dans sa gorge. Elle resta silencieuse, blasée à l’idée de devoir admettre quoi que ce soit de gentils à l’égard d’un truc moldu, mais finalement… et non sans mauvaise foi, elle souffla, résignée « J’imagine qu’on peut rajouter ça à la liste des trucs qu’ils font à peu près correctement, ouais… »

Venant d’elle, c’était probablement choquant. Des propos pareils, dans la bouche d’une sang-pur, c’était comme entendre un centaure vanter les mérites de la technologie. Elle secoua la tête, regardant encore droit devant elle pendant un instant, avant de porter son regard sur le garçon qui se tenait toujours là, l’air à nouveau un peu apeuré, moins renfrogné cependant. « T’es pas sang-pur, j’présume, j'te connaîtrais sinon… ça se passe comment pour vous avant Poudlard ? » parce que de ce qu’elle savait, seul les sang-purs étaient acceptés dans les écoles primaires et établissements très privés et très bourgeois que tenaient quelques extrémistes et conservateurs magiques. C’était une question qu’elle ne s’était jamais vraiment posé mais là, alors qu’il n’y avait personne pour assister à ce relâchement, alors qu’elle jouait avec l’emballage du bonbon qui fondait doucement dans sa bouche, elle décida, sans savoir pourquoi, d’envoyer valser le tabou.

Le mélange acide et sucré la surprenait un peu, car il y avait quelque chose d’étrangement simple et satisfaisant dans le bonbon. Il n’y avait aucune fantaisie superflue, rien de magique, rien de trop, pas de surprise déroutante et justement, c’était plus déroutant pour elle, qui n’était pas habituée à tant de sobriété. Les sorciers ne savaient pas faire, apparemment, la simplicité n’était pas de mise dans un monde où tout était possible. Elle haussa les épaules, accordant son attention à la personne à côté d’elle. Il décida enfin à se répondre, le surprenant à son tour. Pour un peu, elle avait imaginé qu’il avait préféré avaler sa langue… surement parce que les rumeurs disaient qu’Alesya, en bonne garce, était capable de la lui arracher à la moindre parole de travers. Elle souffle doucement, l’écoutant finalement parler : « En temps normal, les enfants qui ne sont pas issus d'une famille totalement magique vont à l'école maternelle et primaire chez les moldus. S'ils ignorent qu'ils sont des sorciers, ils n'ont que cette éducation-là. Mais ma sœur et moi avons été élevés par nos grands-parents maternels, des sorciers. Donc nous avions déjà des bases magiques. Et puis ... nous n'avons pas été à l'école. Mes grands-parents ont engagé un précepteur. »

Si elle n’était pas le meilleur juge de caractère au monde, si elle se trompait souvent, s’emballant trop vite, elle sentait qu’il cachait quelque chose. Le sourire maladroit qu’il lui servit confirma cette impression d’ailleurs. Il y avait quelque chose de triste chez ce garçon. Quelque chose d’étrangement mélancolique. Pour un peu, on aurait pu trouver ce regard de chiot perdu mignon. A la place, elle hocha la tête, s’apprêtant à enchaîner avec une autre question concernant les moldus mais elle se retint sans trop savoir pourquoi… surement parce qu’il semblait porter sur lui l’envie d’éviter tout interrogatoire. Ce garçon était étrange. Secouant la tête, perdue dans ses pensées, surement plus étrange que lui d’ailleurs, elle murmura simplement « Tu es sang-mêlé, donc... » et elle froissa le papier du bonbon, fronçant les sourcils à cause du bruit et puis oubliant aussitôt cette contrariété ridicule, passant à autre chose. « Fut un temps, ça aurait été un crime… maintenant, c’est d’être trop sang-pur qui est mal vu, quelle évolution. » Elle était un peu acerbe, évidemment, car beaucoup oubliait l’enfance qu’elle avait pu avoir à cause de son patronyme, beaucoup oubliait que sa rage, elle ne la tenait pas du berceau mais bien des cours d’école. On lui avait appris à haïr en la traitant comme une raclure, de la vermine, elle ne cherchait qu’une revanche. Et à cet instant, elle était à même de l’avouer, ne se cachant pas derrière des envies de grandeur. Le pouvoir, elle le voulait parce qu’elle y avait goutté, ce n’était pas plus dans son sang que sa colère… c’était une question d’éducation, c’était venu tard, plus tard que sa naissance. Evil isn’t born, it’s made. By others. « Quel est ton nom ? » demanda-t-elle finalement, relevant la tête et dardant sur lui un regard curieux, sans méchanceté, vaguement dérangé… comme si apprendre qu’il avait pu être accusé du moindre crime contre la communauté magique l’aurait rassuré à cet instant. Elle était à des milles de se douter qu’elle se tenait face au fils d’un héros de guerre.