Si au départ, Rohàn ne s'était pas étonné de voir disparaître Vela certains soirs, habitué à ce que la jeune femme n'en fasse qu'à sa tête, il avait depuis peu commencé à voir une relation entre son sourire discret et l'état d'un certain gryffondor le jour suivant. Ce n'était pas voyant, certes, mais le serpentard était un professionnel dans l'art de repérer les petites blessures, les sourires faux et son instinct était difficile à tromper sur l'utilisation des sorts de magie noire. Chaque utilisateur laissait une trace, une aura autour de lui qui l'intoxiquait, contrairement à ceux qui se servaient uniquement de magie blanche ; eux puaient. Il s'était posé des questions la première fois qu'il avait cru voir dans les yeux de Charles une lueur de satisfaction qui ne pouvait provenir que d'un impardonnable, mais maintenant, les coïncidences se croisaient et se liaient les unes aux autres pour qu'il commence à avoir de lourds soupçons. Pendant un temps, son esprit irrationnel avait vu une liaison entre eux, mais Vela ne coucherait pas avec un gryffondor, surtout celui là, et Charles lui semblait un peu trop gay pour être attirée par la jeune femme.
Seulement voilà, s'ils n'étaient pas un couple, pourquoi se rejoindre, pourquoi se faire du mal ? Il n'avait rien demandé à son amant, ne voulant pas lui faire croire qu'il fliquait tous ses faits et gestes, ne voulant pas remettre en cause sa décision de venir dans l'Ombre, même s'il se demandait parfois pourquoi il y était, à vrai dire. Il ne restait plus qu'à cuisiner Vela pour avoir toutes les informations, pour satisfaire ce besoin d'être au courant, d'être consulté sur tout ce qui se faisait à Poudlard.
Une phrase lâchée au hasard d'un couloir par un autre membre l'avait mis sur la voie de la vérité et il aurait pu se passer d'en savoir plus, mais ce n'était pas dans sa nature ; s'il faisait confiance à la serpentarde pour améliorer le niveau de son amant et l'endurcir, cela ne l’empêchait pas de se demander comment comptait-elle arriver à ses fins, et ce qu'il pouvait bien lui avoir dit pour qu'elle accepte de l'aider. Ce n'était pas une femme portée sur l'amour de son prochain, sur les services gratuits, et il avait bien peur que Charles n'ait du vendre une large part de son âme – ou de son corps – pour avoir droit à ses services.

Mais toutes ces suspicions, toutes ces questions, n'étaient là que pour cacher, camoufler le fait qu'il voulait prendre soin du rouge, et qu'il ne supportait pas de le voir sous la coupe d'un autre membre de l'Ombre que lui. Que ce soit Vela ou n'importe qui d'autre, la jalousie de Rohàn était maladive et suffoquante, et ce n'était là encore que le début de son délire. Il avait au moins gardé en tête le fait que la jeune Runcorn n'était pas née de la dernière pluie et qu'elle verrait clair dans son jeu s'il cherchait à lui enlever Charles des pattes, qu'elle était douée pour découvrir les secrets, tout comme lui, et qu'il ne la considérait pas comme une alliée pour rien ; elle était tout aussi perverse et noire que lui. Ne pouvant donc pas jouer la carte de la sournoiserie avec elle, ne restait alors plus qu'une seule solution ; grincer des dents et attendre en silence, soit qu'elle se désinteresse, soit que Charles abandonne. En attendant, il prenait des coups, elle prenait son pied, et il devait au moins savoir ce qui se passait pendant ces séances sinon il allait mourir de frustration.

Comme souvent, il n'avait pas préparé minutieusement son apparition aux cotés de la jeune femme, se laissant emporter par une vague de courage – ou de folie – en la voyant assise dans la salle commune. C'était déjà moins voyant que s'il avait du la prendre par le bras pour l'escorter manu militari dans un coin tranquille, ou s'il l'avait alpaguer devant tout poudlard, mais l'esprit de Rohàn ne réfléchissait pas toujours aux conséquences que pouvaient avoir tous ses faits et gestes. Au moins, dans cette salle, ils étaient à l'abri de la plupart des regards, et leur association ne choquerait personne. « Tu as quelques minutes de libre dans ton emploi du temps de ministre pour moi, très chère? » Oui, stupéfaction générale, le Lestrange était capable de politesse. Cela ne se produisait cependant qu'avec les personnes dignes de cette marque de respect, qui étaient peu nombreuses, et dont la Runcorn faisait partie pour de très nombreuses raisons.
S'installant face à elle dans un fauteuil, prenant une position décontractée mais ne s'avachissant pas, ce qui serait une insulte pour elle, il était l'image même du sang pur faisant une visite de courtoisie sans aucune arrière pensée. Ce qui était donc, en langage Lestrange, tout l'inverse. « Il y a une rumeur qui traine comme quoi tu aurais pris quelques apprentis, ces derniers temps. Je n'y portais pas trop d'attention, après tout, on a tous le droit à nos admirateurs, mais j'ai fini par entendre parler de certains.. gryffondors qui en feraient parti. Surtout un, les autres n'existaient que pour noyer le poisson et il se fichait bien de savoir si d'autres lions avaient cru pouvoir s'attirer les faveurs de la demoiselle. Ce n'est pas ton genre pourtant, de faire des heures supplémentaires. » Du moins pas pour la Cause. Il ne doutait pas qu'elle tramait dans son coin des projets personnels ou qui n'entraient pas tout à fait dans le programme de l'Ombre, c'était dans sa nature et il ne pouvait pas l'en empécher, mais cette soudaine dévotion envers son prochain était vraiment, vraiment suspecte.
Et ce n'était pas du tout une autre excuse pour avoir des nouvelles de Charles.

La réponse courtoise de Vela apporta un petit sourire sur les lèvres de Rohàn, décripsant quelque peu son attitude. Même si la demoiselle était la plus dangereuse de ses connaissances, elle était aussi l'une des rares à ne pas lui donner l'impression de lui mentir en permanence. Sa façon de se comporter était celle d'une sang pur respectable, mais il y avait en dessous des convenances un sentiment réel d'amitié qui le mettait à l'aise. Cela ne signifiait pas pour autant qu'il allait baisser ses gardes, et pour toute personne qui chercherait à le percer à jour, il ne montrait que cette facade calme et froide. Vela aurait de toute manière pris n'importe quelle autre façon d'être de sa part comme une faiblesse à exploiter. S'installant donc face à elle, ne se donnant pas la peine de se perdre en futiles demandes sur sa santé, ce qu'elle faisait, bref, toutes les questions que l'on pose aux gens que l'on apprécie peu ou que l'on n'a pas vu depuis longtemps. Comme Vela n'était ni l'un ni l'autre, il se permettait d'être direct. À sa manière, bien sur.
Avancant à petits pas pour ne pas se faire griller, il cherchait à voir dans son regard ou son expression quelque chose qui lui ferait savoir qu'il avait eu raison, qu'elle voyait bien Charles, mais la demoiselle Runcorn n'était pas une serpentard pour rien et son visage resta de glace tout le temps de son petit monologue. C'était amusant, dans un sens, de ne pas pouvoir la lire facilement, mais il avait toujours une patience limitée qui ne lui permettrait pas à lui de garder la face bien longtemps.
Son sourire lui permit toutefois de voir qu'il avait touché un sujet sensible, et il s'avanca très subtilement dans son fauteuil, lui montrant qu'elle avait toute son attention. Il aurait du faire l'inverse, prétendre qu'il n'était pas plus intéressé que ça, mais tout le monde ne pouvait pas se controler en permanence.
Il ne put d'ailleurs pas s'empécher de froncer légèrement les sourcils en l'écoutant. De simples élèves plus jeunes, c'était cela ce qui la faisait sourire ? Il aurait pu se laisser berner par cette affirmation sans ce sourire en coin, qui l'obligeait à lui en demander plus.
« Un coup de pouce, vraiment. Comme si un coup de pouce pouvait amener ce genre de lueur dans ses yeux ou ceux de Charles. Il y avait bien plus que ça. Un entrainement, ça, il était près à le croire, mais dans le but d'améliorer ses notes, non. Et Vela était une femme attirante, Charles un mec plutôt bien foutu, il ne pouvait pas se débarrasser de l'idée que la rétribution de la serpentarde ait été en nature. Essayant de garder son calme, bien conscient qu'il n'avait pas à s'énerver pour de telles choses, il croisa les jambes, et reprit la parole. Je ne remets pas en doute tes capacités de prof, mais tes sujets de prédilection ne sont pas vraiment de ceux que l'on peut trouver dans le cursus scolaire, non ? » C'était très bien qu'elle s'implique, qu'elle fasse progresser les plus faibles d'entre eux, cela leur profitait au final à tous, mais elle ne pouvait pas le faire par bonté, elle avait forcément un motif ultérieur derrière tout ça. Il aurait été bien idiot de croire qu'elle avait une once de sympathie en elle, après tout.

Pris d'une soudaine illumination, il fit glisser sa baguette hors de son holster pour jouer avec, observant les réactions de la brune. « Enfin bon, si tu as du temps à perdre avec eux, je ne vais pas t'en empécher, ca améliorera au moins le niveau intellectuel du chateau. Cela te dirait de me montrer ce qu'ils apprennent, toutefois ? »
Un petit duel n'avait jamais tué – kof kof – personne, et ce serait un moyen de voir si elle était toujours aussi puissante, de flatter son égo, de la faire parler un peu plus, mais aussi de ne pas se ramollir. S'il perdait, en plus, elle n'irait pas le crier sur les toits, et s'il gagnait... et bien, cela montrerait à Vela qu'il était toujours, ainsi que l'Ombre, dans la course, et qu'elle devrait attendre pour sa prise de pouvoir.

Rohàn se contenta d'un petit sourire à la voir rire, n'oubliant pas qu'elle riait en partie à ses dépends, et qu'elle venait de le menacer sans aucun scrupule. Ils n'étaient pas nombreux à se montrer si francs, et en même temps, aussi calmes, face à lui, et il appréciait d'autant plus que la brune se sente d'attaque pour le remettre en place. Mais son but n'était pas de l'enfoncer, de mettre sur le tapis son cv, il était bien d'accord avec elle pour la trouver digne de son poste, et douée dans les arts obscurs, sans doute avec plus de finesse que lui, et il pouvait donc ignorer – enfin, presque – le petit avertissement qu'elle lui lancait. Ce qu'il trouvait aberrant, ce n'était pas qu'on lui confie des élèves à cause de son niveau, mais bien qu'on lui confie des élèves, tout court. Il n'aimait pas l'idée d'apprendre à la chair à canon à se battre, si c'était pour qu'ils finissent par craquer ou se montrer trop amateurs de sensations fortes pour garder la tête froide dans une vraie bataille. Et surtout, il n'aimait pas l'idée qu'elle entraine Charles, mais ca, il le gardait pour lui.

L'idée de lui proposer un duel vint comme une évidence, mais il n'y avait bien entendu aucune garantie qu'elle accepte ; c'était elle qui avait accepté sa présence, qui lui accordait de son temps, il ne pouvait rien lui imposer, surtout parmi les Serpentards, sans avoir à réellement se montrer agressif, ce qui n'était pas son but. Il n'empéchait qu'il aurait aimé pouvoir se battre, contre un adversaire qui en valait la peine. Quelqu'un qui serait capable de tenir la cadence face à ses sorts lourds, capable de lui opposer une résistance, de présenter un challenge qui ferait bouillir son sang. Bien qu'ils soient nombreux dans l'Ombre, Rohàn savait très bien qu'ils avaient plus de sympathisants que de réels pratiquants de la magie noire, et qu'il était de plus en plus difficile de trouver des jeunes déjà formés. Sa proposition était donc une main tendue vers Vela, qui devait se trouver dans la même situation que lui, à ronger ses freins et retenir ses coups sans adversaire valable, une main tendue qu'elle choisit de repousser, pour l'instant. Cachant facilement sa déception et gardant l'idée en tête pour plus tard, puisqu'elle ne lui opposait pas un non catégorique, il reprit un sourire plus suffisant, plus arrogant, ressemblant au Rohàn habituel. Ainsi, elle l'avait percé à jour, vraiment. Il était tenté de jouer la carte de l'innocence, mais il n'avait jamais réussi à arborer une expression valable pour passer le regard inquisiteur de sa sœur, alors celui de la Runcorn, ce n'était pas la peine d'y penser.

Le vif était dans son camp ; c'était à lui de choisir s'il répondait ou s'il coupait court à la conversation. Il pouvait faire comme elle, se montrer franc, et espérer qu'elle continue sur sa lancée et réponde à son tour, mais il ne pouvait pas réellement espérer qu'elle oublie ensuite son intérêt pour Charles. Il prendrait des risques inutiles, pour peu de choses, tout simplement par jalousie et curiosité, alors que se taire ou mentir représentaient deux issues tout à fait logiques pour un serpentard.
Le problème, c'était qu'il avait envie de savoir.

Rangeant sa baguette, montrant ses mains à plat pour bien exprimer qu'il se montrait aussi franc que possible, il prit son air le plus honnête possible et chercha un moyen de tourner les mots pour ne pas mentir sans pour autant tout révéler. Les murs avaient des oreilles, après tout.
« Ca m'étonne simplement que tu t'intéresse aux rouges. La plupart d'entre eux sont à peine bons pour le recrutement, et je ne leur fais pas confiance pour savoir de quel coté se ranger, le jour où ils verront leurs anciens amis se faire attaquer. » Tout ça était très vrai, dans un sens. Ils avaient beau tous se dire prêt à l'ultime sacrifice pour leurs idéologies, mais il était bien plus dur de regarder son voisin de chambre ou de cours dans les deux yeux avant de lui jeter un sort potentiellement mortel. Même lui avait parfois du mal à imaginer ça, devoir s'en prendre à des gens qu'il connaissait depuis des années, et les gryffondors étaient notoirement bien plus « moraux » que lui. Ce qu'il cherchait à lui faire comprendre, aussi, c'était qu'elle perdait son temps. Qu'elle le perdait pour la cause, tout du moins, et qu'elle devait avoir un autre but pour compenser ; le sien. Il n'allait pas l'attaquer ni le lui reprocher, mais il tenait à lui rappeler quels étaient les dangers de s'allier avec des nouvelles recrues. « Enfin, tu fais ce que tu veux. J'aimerais simplement que tu m'informes des progrès ou des paroles qu'ils pourraient tenir avec toi. S'ils commencent à flancher, ou au contraire qu'ils semblent réellement impliqués... Comme pour Archer, par exemple. »

Bien, bien placé. Là, ce n'était qu'un exemple, il n'avait choisi ce nom qu'au hasard, ses yeux ne brillaient normalement pas plus qu'à la normale, il avait contrôlé son corps pour ne pas se trahir, et il espérait qu'elle ne verrait rien de dégradant dans ce qu'il venait de dire. Il jouait légèrement sur un coup de poker, car si elle ne continuait pas sur le même sujet, il ne pourrait plus ressortir le nom de Charles sans que cela soit automatiquement grillé.
Enfin. Il aimait bien vivre dangereusement.