J'aurais voulu être la pointe glacée d'une brise, un écho perdu dans l'immensité chaotique, le reflet du soleil dans une de ces gouttes d'eau gorgeant notre terre mère. L'emprunte d'une patte de loup qui malaxe la boue de ses griffes acérées, museau pointant au Nord pour mieux goûter la brise. Je n'étais que chair et sang ancrée dans l'insolence de l'humanité. Je ne suis pas né... Je me suis imposé à la vie en détournant le destin que l'on avait tissé pour moi. Enfant-loup, enfant-roi, enfant qui aurait du naître lycanthrope ; la bénédiction de la meute, la malédiction des simples mortels. Je naquis humain, fils d'un couple de loup-garous. Ma seule erreur fut d'étouffer des sanglots de bambin une fois extirpé du ventre de la matriarche ; on me condamna de ne pas avoir jappé sitôt le souffle de vie insufflé en mes veines. Et l'on me condamna longtemps ; maudit par les regards de ma meute, j'en sortais pourtant grandi. Loup dans la bergerie ou prédateur parmi les siens. Ce monde suinte les vices et l'hypocrisie, ainsi je décidai de m'ériger fièrement sur les cendres de la bonté humaine. Humainement désespérant, désespérément humain.
Je suis intolérant, violent, impulsif, carnassier, sauvage. Mais je vous veux du bien.
/!\ Volontairement, les anecdotes ci-dessous ne sont pas organisées de façon chronologique.
Genèse ” Recroquevillé dans l'antre chaude de ce cocon de chair, j'écoutais le monde extérieur mais aspirais déjà à ne pas exister. Ma perspicacité avait déjà fait son nid dans mon petit corps de nourrisson, quand d'une oreille innocente j'entendais les sons enjoués résonnant contre le ventre maternel. Ces voix nasillardes agressaient mes tympans, quand prostré je me refusais de venir les rejoindre. Tous, acclamaient le fils prodigue et scandaient à qui voulait l'entendre que le chef de meute en ce ventre rond était endormi.
« Le digne fils de Fenrir ! Puisse-t-il guider notre meute vers une gloire retrouvée ! » « Il naîtra loup... Il naîtra loup. » ne cessait de souffler ma mère tout en frottant sa main lourde contre ses courbes rebondies, persuadée qu'aucun être humain ne pourrait s'extirper de sa chair. Et je grondais, muet et frêle, dans le ventre maternel, ne souhaitant pas suivre cette destinée qu'ils bâtissaient pour moi. Je les exécrais, je les vomissais, je les méprisais de m'aduler autant. Enfant roi jetant sa couronne à terre, trop lourde pour son crâne encore fragile et pourtant plein d'appréhensions. On gueulait au dehors que l'héritier de Fenrir viendrait au monde le museau humide et le regard fier, qu'aucun sorcier ne saurait être toléré... Mais combien de chances avais-je de posséder en mon corps les gênes de la lycanthropie ; un don pour la meute qui devait s'avérer inné. Je vociférais en dedans mes doutes et ma bataille : sauvage avant l'heure, je ne souhaitais pas rentrer dans leur moule... Ou peut-être l'espérais-je si ardemment au contraire, que je préférais me voiler la face en cas d'échec.
« Il arrive, préparez les linges ! » Les flots grondent, s'agitent, me menacent. Des mains étrangères m'agrippent et me secouent ; je les hais de m'avoir extirpé de la chaleur maternelle. Ici, la brise glaciale me mord les épaules, le bruit incessant me lacère les tympans, des senteurs inconnues agressent mes narines. L'odeur de vieux chênes et d'herbe humide, la moisissure du bois et la puanteur animale. Un son grossier s'échappe de mes lèvres féroces.
« Il pleure... » se désole alors l'une des femmes ici présente. Son regard abattu se pose sur ma mère qui jusque là jalouse et possessive me repousse dans une moue de dégoût avant de me secouer.
« Jappe, sale bâtard ! Jappe ! » « Il reste le fils aîné de Fenrir et son héritier. » siffle une vieille femme, regard vitreux et rides marquées, avant de s'approcher de la mère ingrate et de m'arracher de ses mains.
« Ecris-lui pour lui faire part de la grande nouvelle. Tant qu'il n'est pas transféré à Azkaban, il te répondra. Mais tue ton fils et nous devrons te tuer à ton tour. Car le code de la meute est formel. » L'octogénaire fielleuse darde la jeune mère de ses prunelles glacées. Elle a beau ne pas être la femelle dominante, on la nomme « Sage » pour les conseils avisés et l'expérience qu'elle prodigue. Plaquant le nourrisson contre son sein, elle tourne les talons sous le regard abattu de ses comparses.
Abandon ” « Nous avons su réparer la fracture, son bras n'a plus rien. Il est comme neuf, pas vrai mon garçon ? » L'homme aux cheveux grisonnants posa ses yeux chaleureux sur ma face glabre et impassible. Du haut de mes neuf ans j'avais déjà les traits marqués par la maturité, la rudesse de la vie et ses terribles épreuves. Le cheveu couleur corbeau, le regard sauvage, la bouche sanguine, j'avais ce teint cadavérique qui rappelait à la moiteur des tombeaux. Ma silhouette squelettique marquait ici et là quelques griffures et autres morsures prononcées, quand mes côtes osseuses crochetaient le peu de chair fixé à ma carcasse... Je demeurais un sorcier, mais je n'en étais pas moins animal. Captif d'une mère louve posant sur moi un regard torve et dégoûté, à l'haleine alcoolisée et au teint cireux, haïssant son unique enfant au moins autant qu'elle adulait sa bouteille de whisky. Femme du grand Fenrir, elle vivait les affres de la déchéance, dégringolant de jour en jour et perdant de sa splendeur sous le joug de la honte. La honte, de ne pas avoir donné d'enfant loup à son loup-garou de mari. Sa mâchoire se crispa lorsqu'elle accrocha la lueur chaleureuse brillant dans l'oeil du médecin, avant de me toiser d'une oeillade dédaigneuse. Comment pouvait-il avoir autant de considération pour cet enfant, cet ersatz d'être humain, ce moins que rien... Indifférent face au mépris de ma génitrice, j'excellais dans le jeu du miroir lorsque je me plaisais à lui renvoyer en pleine figure les flots de dégoût qu'elle avait à mon encontre. Balançant mes pieds avec insouciance, j'attendais, inattentif, les dires du toubib qui enfin me libéreraient de ma geôle. Je détestais être enfermé, me sentir entre quatre murs m'oppressait et plombait ma poitrine de mille javelots douloureux. L'appel de la nature, plus que jamais, faisait de moi un enfant sauvage et indomptable. Sorcier ou non.
« Bien, Loki... » « Maytook. » grogna ma mère envers le médicomage.
« Loki. » réitéra-t-il sans s'occuper des glapissements aigris de sa cliente.
« Tu aurais pu le tuer, tu le sais ça ? » Ses yeux émeraude se plantèrent dans les miens, fouillant mon âme comme il me tendait la main en se montrant si chaleureux. Attendant une réponse qui ne venait pas, le médicomage dut reprendre son élan dans une sorte de diarrhée verbale agaçant ma mère.
« Le psychomage m'a apporté le bilan de ta personnalité, veux-tu qu'on le lise ensemble ? » Lèvres closes et regard droit, je provoquais cet homme pourtant amical en refusant de céder à la coopération. Ainsi se contenta-t-il d'éclaircir sa gorge dans un dernier raclement, et d'ouvrir un dossier portant le logo de Sainte-Mangouste.
« Tu es un garçon très intelligent, à l'esprit vif et affûté... Mais doté d'une grande propension à la violence et l'agressivité.... Comment ça se passe, à la maison ? » « Qu'est-ce que c'est que ces questions ? » s'offusqua Mme Greyback, regard fielleux et grognement assassin.
« Mme Greyback je vous serais gré de ne pas interrompre notre entrevue, sans quoi je vous demanderais d'attendre en dehors du bureau. » La louve garou se rembrunit avant de se tasser dans sa chaise et de me lancer un regard défiant. Celui que je connaissais tant, celui que je connaissais trop : celui qui m'invitait à ne rien faire ou dire qui ne puisse la froisser, sous peine de remontrances violentes. Mes yeux fauves se posèrent de nouveau vers le médicomage, et d'un naturel déconcertant je murmurais avec audace et assurance :
« Ça se passe pas. » Ni une véritable réponse, ni un réel silence. Aussi frustrant pour un camp que pour l'autre... Le médicomage soupira avant de pointer rapidement du doigt un énorme hématome narguant mon bras squelettique.
« Peux-tu me dire comment tu t'es fait ça ? » « Je suis tombé. » sifflais-je avec force et méfiance.
« Et c'est en tombant que tu t'es fait griffer jusqu'au sang ? » fit-il sceptique non sans froncer les sourcils.
« T'es pas du genre à marcher pied nu toi hein. Ton truc à toi, c'est les bureaux et le béton. Je suis pas comme toi. Je vis dangereusement. » Toute l'insolence moqueuse de l'enfant pseudo roi était en moi. Convaincu de ce que j'avançais, loup battu par sa mère dédaigneuse mais tendant régulièrement le bâton pour mieux enrayer sa culpabilité d'exister, garçon à la politesse limitée et aux bonnes moeurs inexistantes... J'étais un dur que rien ne pourrait craqueler. Du moins en donnais-je l'illusion. J'aimais ma vie et détestais déjà la sienne sans même la connaître. Diable que je n'aimerais pas être un toubib condamné à vivre entre ces murs poisseux suintant la vieillesse et les effluves médicamenteuses. Le médicomage arbora alors une moue sérieuse, et se pencha dans un froissement de tissu.
« Trop dangereusement, Loki... » Je déglutis malgré moi sur cette phrase qui me fit tressaillir, s'ancrant dans ma chair et s'imprimant dans mon esprit pour les années à venir. Il se redressa alors, toisant mon visage blême et mes yeux humides dans une dernière moue compatissante, avant de se tourner vers ma mère :
« Mme Greyback, les analyses sont formelles. Nous vous enlevons votre enfant pour maltraitance. Il sera placé dans des familles d'accueil sorcières jusqu'à sa majorité. » Et ni la mère, ni le fils, n'eurent un tressaillement chagriné. Un rictus railleur étira les lèvres gercées de la louve.
Insolence ” A peine avais-je passé le seuil de la maison que je plissais le nez pour mieux humer l'air, tel un chiot aux abois. Mes traits lisses se durcirent sous le dégoût qui s'infiltra aussitôt en moi ; je reconnaissais les effluves de mon enfance, celles qui suintaient par tous les pores des murs où j'avais grandi, aigres et amères. L'odeur de l'alcool était tout autour de moi, comme toujours, et je ne savais plus si je regrettais d'avoir autant offusqué et choqué mes familles d'accueil au point que plus aucune ne souhaite m'ouvrir les bras, ou de revenir vers ma pauvre mère alcoolique avant même d'avoir vu son visage bouffi.
« May', c'est toi ? Apporte moi la bouteille de vin ! » Un sifflement mesquin s'échappa de mes lèvres tandis que je rentrais dans le salon sans même prêter attention à sa requête. Et sitôt mon regard d'ambre posé sur la silhouette de la femelle dominante affaissée dans son sofa pouilleux, j'étouffai un rire mauvais et amer.
« Elle est classe tiens, la cheftaine de la meute. » « C'est parce qu'elle a mis au monde un bâtard incompétent et sans pedigree. » Un soupir glacé et glaçant s'échappa de ma bouche sanguine comme j'avançais dans la pièce, trop habitué à son venin pour être touché dans mon égo. Jetant mon sac d'effets personnels à terre, je me tournai vers ma mère que je n'avais plus vu depuis un long mois. J'avais oublié que derrière la laideur de sa déchéance, se cachait une femme à la beauté éthérée et aux traits purs. Fenrir Greyback était tombé amoureux d'une jolie blonde au minois d'ange... S'il sortait d'Azkaban aujourd'hui, il retrouverait une mégère aux traits lourds et à la peau poisseuse.
« Si tu me transformais, on règlerait le problème. » Un murmure suave égrainait ma voix sérieuse, tandis que j'épinglais ma mère de mon regard fauve. Plus le temps passait, plus j'aspirais à devenir chef de la meute. Mais la femelle dominante s'y opposait, refusant que je sois transformé en lycanthrope.
« T'es borné comme ton père. Je te l'ai répété mille fois : jamais je ne te transformerais en loup-garou. Ni moi, ni personne. Jamais tu ne feras partie des nôtres... Tu as peut-être son physique, mais tu n'as pas son étoffe et tu ne l'auras jamais. » La femme aigrie renifla brièvement avant de me toiser de la tête aux pieds dans un grognement méprisant.
« Regarde-toi, propre comme un sou neuf. Ca vit dans les beaux quartiers, dans des maisons avec des petits jardins bien fermés... Et ça revient aseptisé et décapé à l’ammoniac. Tu pues l'hypocrisie des humains qui se croient civilisés. » Elle se renfrogna alors avant de glapir de satisfaction : ses mots venimeux étaient devenus sa nouvelle drogue, quand bien même ils ne m'atteignaient plus. Je nourrissais pour ma génitrice un dédain fissuré, dans lequel se glissaient quelques nuances de pitié et de tendresse drapée dans une arrogance sans faille. Levant mes yeux vers le plafond dans un ultime geste insolent, je m'imposais pourtant bien plus qu'elle ne le laissait croire : l'ombre maternelle voyait en son fils un mâle grandissant, à la silhouette moins squelettique que massive. Mes années passées dans ces familles d'accueil avaient nourri mon âme et mon corps, lesquels en étaient ressortis vivants, fougueux et plein d'énergie. Ce mépris pour tout et tout le monde, cette outrecuidance agaçante et ce port de tête princier ne m'avaient néanmoins jamais quitté, depuis mes neuf ans. Âge auquel on m'arracha des griffes d'une mère désabusée.
Ce fut sans un mot que je sortis alors du salon, refusant de répondre aux attaques bourrues de la jeune femme, ignorant ses vociférations nasillardes. Elle n'avait cependant pas tort sur un point : en tant qu'héritier de Fenrir appartenant à une meute sans véritablement m'y intégrer, je demeurais plus sauvage que civilisé, moins apprivoisé que animal... Et l'odeur de cette terre poudreuse collant à mes paumes et à mes joues, la sensation grisante de fréquenter les forêts et non les jardins clos à l'herbe bien coupée, m'avaient manqué plus que de raison. Aussi, dans un élan instinctif, je quittais cette maison que je venais de retrouver afin de renouer avec la nature et mes instincts primaires.
« Ca ne m'étonne pas que même ces... soi-disantes familles d'accueil n'aient pas voulu de toi ! » La porte claqua sous mon rire désabusé.
« Hey Loki, ça fait du bien de te revoir ! » Sitôt le pied dehors, je fus accueilli par d'autres jeunes gens de mon âge au sourire sincère et au regard pétillant de joie. D'autres enfants de la meute ayant passablement grandi avec moi, et qui voyaient en ma personne le digne fils de Fenrir, lycanthrope ou non. Un regain nouveau gagna mes poumons lorsque je rejoignis ma bande d'amis, lesquels avaient de ces dégaines qui font grincer des dents les grands bourgeois et les font frémir.
« Il est temps de faire une grande fête pour mon retour. » murmurais-je de ma voix suave et grave, dans un rictus charmeur et assuré.
« Chez moi. » ajoutais-je sous le regard surpris de mes camarades.
« Oui mais ta mère... » « Contacte Sainte-Mangouste afin qu'ils l'embarquent pour sa cure de désintox. Ca pue l'ivrogne aigri là-dedans. » La demoiselle à qui je m'étais adressé acquiesça d'un bref signe de tête hésitant. J'allais éloigner ma mère sous prétexte d'une maison vide pour mieux fêter mon retour... et tenter une mainmise sur la meute de mon taulard de père.
Rebellion ” « Hey Maytook ! » Un ricanement heurta mes tympans, quand figé par la honte et la colère, je relevais mes yeux bruns vers le grand gaillard de dix ans qui me toisait de haut en bas. Le petit sorcier n'avait de cesse de jouer les provocateurs dès lors qu'il avait appris pour mon surnom, fardeau qui m'était difficile à porter et dont le stupide garçon ignorait la signification. Aussi bien littéral, que symbolique. Serrant mes poings avec ferveur, je dardais mon rival comme j'épinglais le monde : avec mépris, avec haine, avec rancoeur.
« L'écoute pas Loki. Viens, on va être en retard. » Un de mes plus proches amis posa sa main déjà puissante pour un jeune enfant, sur mon épaule de frêle carrure. Sentant les pulsions violentes qui m'animaient, faisant frémir ma peau et léchant mon échine, il me hâta à reprendre notre chemin. Le provocateur eut un rire gras lorsqu'il nous vit avancer de nouveau, taciturnes : voyant dans notre indifférence une volonté de fuir, il se rapprocha d'une démarche rapide vers nous, son ventre bedonnant rythmant le moindre de ses pas. Incapable d'ignorer d'avantage l'assaillant stupide, je me figeais sur place, dardant de mes yeux de jeune premier ce visage rond, ces lèvres grasses et ces joues rougies par l'effort.
« En fait t'as pas juste un surnom stupide. T'as aussi l'air stupide ! » L'arrogance de mon rival se heurta à ma colère farouche, quand d'un geste agressif je poussais alors l'idiot avec force et brutalité pour ses paroles et son orgueil qui attisèrent alors ma rage. Un geste qu'il me rendit alors, emportant les offuscations des curieux qui se regardèrent pantois ; dans une ville aussi tranquille que Norwich, il n'était guère habituel d'en venir aux poings, l'acidité de nos mots suffisait habituellement amplement.
Tout alla trop vite ; dans nos emportements haineux, je l'empoignais par le col, avisant avec fureur son sourire à la fois arrogant et angoissé. Le garçonnet affolé ne put faire grand chose lorsque je le jetais à terre, pas plus d'ailleurs que mon ami restant interdit devant tant d'agressivité brutale. Un coup de poing partit, sous un gémissement de douleur étouffé par des sanglots éteints par ses lèvres charnues et ensanglantées. Malheureusement pour lui je n'abandonnais pas ma lutte ici ; il avait touché un point faible, éveillant ma bestialité endormie. Plaquant alors l'ingénu au sol, j'agrippais sa tignasse blonde, cognant sa tête contre le bitume, encore et encore, jusqu'à ne plus en pouvoir, sous les plaintes horrifiées, sous les cris, les pleurs, puis les supplications de ma victime, quand la rage au ventre et les larmes de colère aux yeux, ma violence s'amplifiait jusqu'à ce qu'une main douce mais ferme vint agripper mon bras.
« Répète connard, répète ! » « Loki tu vas le tuer ! » Mais mon ami n'eut pas le temps de m'agripper pour nous séparer dans un élan héroïque, troublé par la déferlante de violence émanant de mon corps frêle. Ce fut sous son regard éberlué que nous continuâmes la lutte, respirant poussière et sang. Nous nous battions lamentablement mais d'une rage impromptue pour des jeunes garçons de notre âge ; bientôt par ailleurs, mon bras se tendit pour venir agripper une pierre lourde et menaçante... Geste désespéré, folie stupide, haine déloyale ; la sauvagerie m'aveuglait et entachait mes réactions de cette brutalité sanglante et grave. Mes doigts blancs se crispèrent sur la pierre en un souffle court, comme le jeune garçon se débattait tel un loup en cage. Soudain, je me sentis partir en arrière, propulsé avec force et atterrissant durement contre le bitume. Ma victime anciennement bourreau venait de manifester ses pouvoirs en guise d'instinct de défense, sous le regard outré de quelques moldus traînant dans les ruelles désertes et pluvieuses d'un Norwich endimanché. Les Oubliators ne tardèrent guère à venir nettoyer les lieux, tout comme les médicomages envoyés sur place. On m'assura que mon bras s'était cassé sous le choc. Ma victime quant à elle, gémissait ensanglantée sur le bitume humide.
Déchéance ” « C'est inadmissible ! Dehors ! » L'esprit cruel et le rire impur, je me tournai vers le sorcier qui m'avait abrité durant de longs mois. L'un de ces adeptes acceptant de donner sa maison en pâture à des jeunes en difficulté, sous couvert de se faire appeler « famille d'accueil ». Je n'avais par ailleurs, jamais eu de problèmes avec les personnes me tendant la main, si ce n'était mon instinct sauvage et mon manque de tact qui faisaient de moi un adolescent exécrable et difficilement contrôlable. Passant de familles en familles, aucune n'avait eu la patience de m'accueillir bien longtemps, pas même cette dernière dont le patriarche demeurait pourtant une figure sainte de patience et de gentillesse. Mon antithèse la plus totale, en somme. Et si nous n'avions jamais eu de conflits véritables, ma dernière action blasphématrice fut celle de trop.
« Ma fille... Comme une... Comme une... DANS MA CUISINE ? APRES TOUT CE QUE NOUS AVONS FAIT POUR TOI ? » « Pour ma défense, vous n'étiez pas censés rentrer ce week-end... » Un rictus goguenard étira mes lèvres arrogantes, bien vite effacé cependant lorsque le sorcier m'empoigna le col et me jeta sur le seuil de la porte :
« DEHORS ! » Un tressaillement rageur vint battre mon palpitant sous le joug de la colère, quand mes yeux radoucis se levèrent vers la chambre de la demoiselle avec qui j'avais passé ces quelques mois. Son visage angélique et souriant passa la fenêtre pour un dernier au revoir, et je pus lire sur ses lèvres délicieuses un bref «
On se reverra à Poudlard. » qui accentua mon frisson transi. D'un geste de la main, je lui envoyai furtivement un baiser qui de mes lèvres jusqu'aux siennes, parcourait ce vide entre nous. La porte s'ouvrit soudain de nouveau pour vomir mon sac d'effets personnels atterrissant à mes pieds, et la voix de mon hôte résonna derrière un claquement sourd :
« Petit con ! » Un rire railleur passa la barrière de mes lèvres arrogantes comme j'empoignai mon sac. Je compris aussitôt que ma dernière chance s'était envolée, qu'on ne me placerait plus dans aucune famille d'accueil et qu'il me faudrait rejoindre ma chère et tendre mère... Je ne m'étais pas trompé, car le lendemain seulement je regagnai Norwich pour une simple histoire d'idylle avortée.
Maytook ” Tendre et décevante Alashka,
Voilà de bien amères nouvelles... Un fils plein de vie est-il aussi satisfaisant qu'un fils semi-mort mais né avec la grandeur lycanthrope dans les veines ? Je ne le crois pas. Je ne le conçois pas. J'avais espéré Loki fort comme son père, dur comme le roc, sauvage comme ses ancêtres. Et qu'ai-je donc ; un tas de chair qui attend de se faire mordre pour rejoindre sa meute ? Blasphème ! Je suis mort de honte et de colère. L'enfant a bien de la chance cependant, car si le transfert à Azkaban ne m'attendait pas, j'aurais broyé sa carcasse sous les troncs morts de notre si beau territoire...
Loki. Moi qui voyais en lui la grandeur de nos ancêtres. J'aurais aimé le faire prince, et voilà qu'il se décide à naître pouilleux. Mais soit, puisque la « Sage » tient à respecter le code des loup-garous et que nous ne puissions tuer l'enfant, transforme-le. Mais sache qu'il demeurera toujours un moins que rien à mes yeux. Tu m'as aussi déçu, Alashka. Je te souhaite de pourrir dans la faiblesse avec ton enfant... Mais soit, il restera mon héritier puisque la loi du sang prédomine. Puisse-t-il avoir fait ses preuves lorsque je ressortirais de cette geôle, car je ne montrerais aucune pitié. (et puisque j'évoque Azkaban, je dois dire que ces incapables sont aussi lents à amorcer mon procès auprès du magenmagot, qu'ils ne l'ont été à mettre la main sur moi après l'ébranlement du monde du Lord.)
Désormais, Loki le noble, le fort, le grand, est mort. A mes yeux ce fils s'appellera dores et déjà « Maytook ». Ce mot absurde dont la signification en inuit n'est autre que 'croc-blanc' a tant nourri l'imaginaire des moldus que je ne vois en ce surnom railleur que faiblesse et honte. Il est et sera ma honte. Il sera mon Maytook. Loki est mort dès le jour de sa naissance. Si ce n'est pas malheureux.
Sache que je ne renie pas mon fils. Je me plais cependant à le mépriser et l'imaginer. Est-il faiblard et menu ? Je n'en doute pas... J'en mets ma langue à couper que ce chiard a gueulé sitôt la tête sortie de tes jambes.
Garde Maytook en vie pour mon grand retour. Je lui apprendrais à être loup, quitte à lui faire bouffer les tripes de la Sage. En attendant, je croupirais dans les cellules d'Azkaban.
Fenrir.
Vérité ” Mes yeux fauves accrochèrent la silhouette familière qui passa l'antre de notre maison, plissant le nez de méfiance, j'avisais cette femme vêtue avec mauvais goût et qui portait sur elle l'aura poisseuse de la vulgarité. Debout dans le couloir, je toisais de mes yeux de loup cette femme d'une quarantaine d'années qui avançait d'un pas leste tout en veillant à balancer ses hanches dans une sensualité inexistante. Elle s'arrêta à mes côtés, empesta mon air de son parfum sirupeux et écoeurant, et m'offrit un sourire vil.
« Mais c'est que le vilain petit canard devient baisable. » Un rire gras secoua son buste alors qu'elle reprit son chemin vers la cuisine, là où l'attendait ma mère. Depuis sa cure de désintoxication, elle était revenue changée : plus fatiguée sans nul doute, mais tellement plus combattive, tellement plus lumineuse, tellement moins... loque. Nous avions même pris le temps de renouer : si nous n'avions pas atteint les summums de la complicité, je pouvais percevoir avec fierté cette lueur de respect brillant dans l'alcôve de ses yeux bruns. Plus encore, elle ne m'appelait plus 'Maytook'... Loki à ses yeux, avait su renaître de ses cendres. Je mettais ce revirement sur le dos de ma poigne de fer lorsque je dus gérer la meute après son départ. Certes, je ne pouvais me considérer comme chef et moins encore comme mâle dominant, puisque avant tout sorcier je n'avais toujours pas le don de la lycanthropie dans les veines et passais la plus grande partie de mon temps à Poudlard. Néanmoins j'avais su m'imposer dans les décisions, mon aura de meneur et mon pedigree certain aveuglant les foules qui acquiesçaient avec respect. Non convié cependant au tête-à-tête des deux femmes, je feintai m'éloigner de la cuisine mais demeurai aux aguets. L'oreille discourtoise épiant leur discussion, quand assis dans le petit salon j'écoutais leurs dires avec attention.
« On n'y va pas par quatre chemin. Sa transformation est pour quand ? Loki a fait ses preuves et Fenrir pourrit à Azkaban à cause de Potter. Nous avons besoin d'un chef, pas d'un substitut... » « Je ne sais pas. » Je me raidis un instant, le souffle court et la nuque douloureuse, lorsque nerveusement j'attendais la suite de cette conversation impromptue.
« On avait convenu que ta décision devait être prise aujou... » « Je suis au courant, ne me prends pas pour une idiote... Mais... Si je n'ai pas mordu Loki jusqu'ici, il y a une raison. .. Je veux qu'il ait une vie normale, il... » « Joue pas les hypocrites, Alashka. On sait tous que ton fils te servait de cendrier avant même qu'il n'ait cinq ans. T'as jamais pu le piffrer, ton Maytook, parce qu'il te rappelait sans cesse ton échec. Alors commence pas maintenant avec tes discours de grande dame. Tu te souviens du jour où tu l'as envoyé à Sainte-Mangouste à force de lui matraquer le dos à coups de... » Un grognement sourd s'échappa des mes lèvres comme je joignis mes mains sur mes genoux. Nerveux et rageur, je sentais mon front s'alourdir d'une barre de colère tandis que je crispais la mâchoire de frustration.
« JE SAIS ! » l'entendis-je crier sous quelques sanglots étouffés.
« Mais c'est mon fils.... Je n'ai jamais cessé de l'aimer. Fenrir serait tellement fier de lui. » « Il le serait encore plus s'il devenait un garou. Ton gamin veut devenir chef de meute, il l'a dit lui-même. Et à l'exception de cinq ou six récalcitrants, la meute ne serait pas contre. » Un silence oppressant plana dans la maison durant de longues minutes interminables, quand enfin la voix résignée de ma mère s'éleva de nouveau.
« Et lorsque son père reviendra, ils se battront à mort pour la place de mâle alpha. Je refuse de perdre l'un comme l'autre. Je ne transformerais pas Loki, et j'ordonne à la meute de ne pas y toucher. » Un dernier cri résigné, tel un jappement, et ma mère frappa la table de son poing intransigeant. Ce fut un goût amer en bouche que je me levai, titubant un instant sous cet amas de vérités qui déferlaient sur moi. Ma mère m'avait aimé, ma mère m'avait protégé à sa manière... Mais ma mère ignorait que plus encore que de respecter l'ombre paternelle, je ne souhaitais plus que le détrôner. Etrange paradoxe malsain... Quittant les lieux d'un pas déterminé, je sortais grandi et endurci des aléas sinueux de ma vie. Résolu à écarter le moindre obstacle de mon chemin, de façon morale ou non afin de parvenir à mes fins.
Voilà un an à présent que j'attends mon heure de gloire, bien dissimulé quelque part derrière mes études qui ne tarderont pas à prendre fin et me libérant de ce carcan scolaire m'empêchant de rejoindre les miens et d'avancer.