Lorsque l'on est un bébé, on ne se souvient pas de grand-chose. Il paraît que nous avons une espèce de mémoire sélective et que si certaines scènes nous marquent plus que d'autres, elles nous réapparaissent en rêve. L'inconscient.
Étrangement, je ne me souviens pas avoir un jour éprouver un sentiment d'amour pour ma mère alors que, d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu tout faire pour impressionner mon père. C'est aussi vrai que mes sœurs sont de sacrées pestes, davantage encore quand elles sont toutes les deux. Peut être ai-je toujours voulu montrer que moi aussi, je pouvais former une équipe avec quelqu'un et que, comme ma jumelle préfère se mettre le plus souvent contre moi qu'avec moi, bien qu'elle avoue faire ça parce qu'elle m'aime... Enfin.
Voilà autre chose dont je ne me souviens pas : avoir été au moins une fois sous les projecteurs. Et pas sous ceux de Miss Elizabeth Bloodworth. Non. Sous les miens. (Rudyard Kipling) ▽
« Tu seras un homme mon fils »
Mon premier souvenir, de quand j'étais enfant et qui n'implique pas une seule des femmes de la maison, était cet instant que ma mère avait qualifié « d'une discussion entre hommes ». Evidemment, j'ai eu droit à, au moins, deux discussions de ce genre. Et la première a été tout autant magique et agréable que la seconde a été humiliante.
Je venais de recevoir mon enveloppe qui m'annonçait mon entrée à Poudlard, la grande école de sorcellerie, et mon père m'avait fait appelé dans son bureau :
« Enguerrand. Tu es un grand maintenant. » - chose qu'il m'avait déjà dite le jour où j'étais, pour la première fois, monté sur un balais, ou encore quand je pouvais enfin dormir seul mon lit -
« Tu vas entrer à Poudlard. Tu dois donc t'en montrer digne et savoir ce que tu veux faire, vers quelle voie tu veux te diriger. »Immédiatement, cela m'a rappelé ce petit sketch que l'on avait répété avec ma sœur, où il nous avait donné des répliques pour que l'on sache de lui, qu'en plus d'être un « employé » exemplaire, il était aussi le père parfait. Sauf que ce coup-ci, j'étais vraiment sur de moi et ça n'était pas un sketch.
« C'est tout réfléchi, père. Je veux devenir un Auror, comme toi. ». J'avais vu cette étincelle dans ses yeux. Si je devais faire un top cinq de mes meilleurs moments, celui là serait sans doute en deuxième place.
(Elvis Presley) ▽
« You're the devil in disguise. »
« Enguerrand à quand remonte la dernière fois que tu as pris ton pied avec une fille ? » Comment oublier ce genre de discussion? Surtout quand on la vit. J'avais beau aimer ma jumelle, avoir une relation privilégiée avec elle, je ne peux me demander où elle va chercher sa fougue et sa façon d'être. Il est clair que quand on voit le genre de mes parents, on ne s'imagine pas que leur fille puisse avoir un langage pareil. Je ne me considère pas comme tout blanc non plus, mais elle allait vraiment plus loin que moi. Et du coup, dans ses conditions là, on fait quoi ? On essaye de garder son calme et de garder le visage impassible.
« PARDON ? » « Ne fais pas comme si tu ne m’avais pas parfaitement entendue. » Evidemment, il fallait qu'elle insiste en plus... Il est clair que je n'étais pas un Don Juan. Mais d'un autre côté, ça n'était pas ce que je cherchais. Je savais que dès qu'une femme passait la porte de mon intimité, elle s'attirait les foudres d'Elizabeth. Elle avait la fâcheuse manie de se montrer extrêmement possessive et de réussir tout ce qu'elle entreprenait ce qui, pour moi, voulait dire qu'il me fallait m'accrocher.
« En quoi est-ce que cela te regarde ? » « Tu es mon frère, je t’aime et j’ai trouvé un dépliant sur les adolescents homosexuels dans les papiers de maman. Je pense que tu devrais la rassurer, tiens pourquoi n’amènerais-tu pas une fille à diner un de ces soirs ? » Qu'est-ce-que son « Je t'aime » venait foutre là dedans ? La seconde partie de sa phrase aurait pu suffire... On était encore jeune, pourquoi est-ce que notre mère s'imaginerait-elle que j'étais attiré par les hommes ? Je n'arrivais pas à la croire et je ne me gênais pas pour le lui en faire part.
« Moi ? Homo ? Elizabeth tu peux te montrer tellement ridicule parfois… » « Le centre Alfenberg, c’est là que tu vas finir ton été si tu ne lui donnes pas un peu d’espoir. Et si je suis ridicule, tu n’as qu’à évoquer ce petit coin de paradis pour homo-refoulés devant elle. Je suis sûre que la tête qu’elle fera vaudra son pesant de gallions. » Fermant un œil en entendant la porte claquer, je poussais un soupir. Il fallait que je trouve une petite amie et que je la présente à notre mère dans les prochains jours si je ne voulais pas finir mes vacances dans ce centre. Bien évidemment, je rentrais dans le plan de ma sœur, et j'étais conscient que la suite allait sans aucun doute jouer en ma défaveur, que ma sœur se foutrait sans doute de moi l'instant d'après... Mais je n'avais pas d'autres solutions que de rentrer dans sa combine...
Sauf qu'en trouvant l'objet de mon désir, en la personne de la jolie petite française, Margot, j'ai aussi entendu pas mal de choses concernant ma sœur. Elle avait une sacrée réputation au sein de cette école dans laquelle je suis depuis le début « le frère de » ou « le jumeau de »...
Sur mon passage, j'entendais des
« Tiens, c'est le frère d'Elizabeth. Il paraît qu'elle enchaîne les hommes. » ou des
« Ah bon ? Moi j'ai entendu dire qu'elle faisait tout pour les entraîner dans sa chambre et qu'elle les faisait se déshabiller pour les laisser en plan. Sans doute des restes de sa sœur aînée. ». Non seulement j'étais « le jumeau d'Elizabeth » mais en plus, j'étais aussi « le frère d'Eris »... Comment se faire une place entre deux personnalités telles que les leurs ? Je crois que je n'ai toujours pas trouvé la solution...
A cause de ces femmes, je me suis découvert une personnalité très changeante. Je ne pouvais me permettre de me montrer violent, ça n'était pas digne de la famille Bloodworth. Mais quand on parle de ma famille, et plus particulièrement lorsque cela touche ma soeur jumelle, je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille. Malheureusement pour ces femmes, j'ai aussi laissé mes mots dépasser ma pensée...
Au moins, ce qui est sur, c'est qu'elles n'oseront plus parler de mes soeurs en ces termes. En tout cas, plus sur mon passage.
(Friedrich Nietzsche) ▽
« Il est plus facile de renoncer à une passion que de la maîtriser.»
Cette nouvelle histoire de possessivité et d’engueulade avec ma sœur et ma mère a fait que je n'ai pas réussi à trouver mon équilibre. Sans doute la faute à un père absent et à mon entourage exclusivement féminin...
Entre oui et non, yin et yang, rire et larmes, je me suis retrouvé complètement à la merci de la « crise d'adolescence ». Mais même ces mots-là ne caractérisent pas bien ce qu'il s'est passé dans ma tête et mon corps à cette époque là...
J'éprouvais toujours cette infinie admiration pour le métier et la vie de mon père, mais je ne pouvais m'empêcher d'en vouloir à la terre entière de me laisser à l'abri des regards. J'ai beaucoup lu à cette période, de la littérature moldue plus précisément, et je ne pouvais m'empêcher de me comparer à Quasimodo, ma sœur étant le cloché qui me tenait à l'abri des regards... Jusqu'à ce que je
la remarque.
Je ne saurais dire si nous nous sommes remarqué en même temps, si elle a attiré mon attention ou si j'ai attiré la sienne. Ce que je sais, c'est qu'Alesya Lestrange a été ma porte de sortie. Comme si elle avait reçu ma bouteille jetée à la mère, l'appel au secours que j'envoyais silencieusement.
D'abord, des regards. Puis des rencontres silencieuses et discrètes dans des lieux où on ne pouvait pas nous remarquer (de toute manière, j'étais invisible...). Il me semble pourtant que lorsque nous étions plus jeunes, il y avait une espèce d'engueulade des bacs à sable entre nous mais - peut être la faute aux hormones, qui sait si un jour nous aurons la réponse ? - nous nous sommes retrouvés à nous apprécier, à nager ensemble pendant une tempête avec le corps de l'autre pour barque. Nous nous attirions mutuellement vers le fond et cela semblait faire de notre « couple improbable » une force.
Une relation passionnelle sur laquelle je n'avais aucun contrôle... Lorsque j'étais avec elle, j'avais l'impression d'être quelqu'un, d'être plus fort mais aussi plus faible. Un peu comme si la moindre chose pouvait me faire plonger dans les ténèbres, dans la magie noire. Je n'ai pas touché à ces choses, seulement à son corps, peut être à son cœur ?
Amants, amis, papillon et lumière... Sans savoir lequel de nous deux était qui ?...
C'est l'Ordre m'a sorti de cette autodestruction.
Et c'est ainsi que, du jour au lendemain, nous sommes devenus des étrangers, non sans un violent règlement de compte... Mais ce qui s'est dit, ce jour là, j'ai préféré l'effacer de ma mémoire.
(Pierre Lecomte du Noüy) ▽
« Du point de vue de l'homme, l'Ordre est né du Désordre. »
Suivant de très prêt les agissements de mon père, j'essayais de laisser traîner mes oreilles dans l'école. Je voulais savoir si nous étions sains et saufs dans cette école, et surtout, s'il n'y avait pas quelque chose que je pouvais faire pour que tout se passe bien pour ma sœur et moi-même ici. Ou en tout cas, pour que tout se passe mieux. C'est tout naturellement que je me suis retrouvé dans ce groupe que nous avons baptisé l'Ordre.
J'ai vu dans ce groupe une manière d'obtenir à un clan, une façon de marcher dans les traces de mon père et un pas en avant dans mon rêve de devenir un Auror. Ils m'ont tous accueillit comme un ami, et m'ont désigné comme bras droit de notre « leader », Galadriel Weasley.
« Mais tu sais, Eddy, toi aussi tu as l'étoffe d'un chef. Tu as ça dans le sang. »Pixie. Cette jeune femme porte vraiment bien son nom. C'est une véritable fée, toujours sur mes talons à me remonter le moral et à me faire savoir que mes choix sont les bons et que je n'ai pas à me dénigrer de telle manière.
Bien évidemment,
elle aussi le faisait, mais ça n'était pas la même chose... Peut être même est-ce-que je préfère cette relation avec
elle, parce que nous nous soutenions mutuellement, parce que nous avions besoin l'un de l'autre...
J'ai même cette impression parfois que, sans elle, je n'arriverais pas à remonter la pente de la bonne manière... Nos regards se croisent parfois et j'ai ce sentiment curieux (ou alors est-ce une envie de ma part?) qu'elle m'appelle, que c'est elle qui m’envoie cette bouteille...
Malheureusement, j'ai peur de la chute.
Mais, comme me l'a si souvent dit mon père, je suis un grand maintenant.