C'est à contrecoeur qu'il m'a laissée repartir, je le vois bien. Mais il l'a bien vu aussi. Des crises, j'en ai fait quelques-unes depuis que je suis enfermée à l'infirmerie. C'est pas comme s'il n'était pas au courant que j'étais claustrophobe. Alors même si c'est peut-être un peu tôt, dès que j'ai compris qu'il y avait une petite chance pour qu'on me laisse sortir, j'ai sauté sur l'occasion. Pas vraiment envie de continuer à être sous tranquillisants tous les trois, quatre matins. Et puis surtout... Je veux revoir Klay, et pas en lui remontrant pour la énième fois que j'ai été blessée parce que je suis venue le chercher chez les bleus. Je sais qu'il s'en veut, et ça me tue de lire ça dans son regard. Alors j'espère que le fait de se voir au-dehors atténuera ça. Je suis toujours vivante, je vais mieux, c'est du passé maintenant. Enfin presque, mais ça, je suis pas prête de le dire : il faut encore que je fasse attention, mais il n'est pas obligé de le savoir, hein ? Je veux qu'il arrête de culpabiliser, et je crois que ça pourra qu'aider qu'il me voie « en pleine forme ». Je m'essouffle plus vite qu'avant, cependant, et ça, c'est super handicapant. Je suis pas très sportive, mais rien que pour danser, et pour chanter, je sens la différence. J'essaie de pas trop le montrer, mais ça m'inquiète, parce que si ça revient pas... Non, je dois pas penser à ça. Ca va aller, il va juste me falloir un petit peu de temps.

En attendant, j'ai passé ma première journée de liberté dehors, dans le parc, à m'entraîner à quelques petits sorts ridicules avec ma baguette - mais je suis sûre que le hibou de mes parents sera ravi de voir que mes reducto sont de plus en plus efficaces... Enfin non, je suis sûre qu'il s'en fout, il me déteste, mais passons - mais que je m'acharne à essayer de maîtriser enfin alors qu'ils sont du niveau d'un première année, et surtout, j'ai chanté, un peu tout ce qui me passait par la tête, même si j'ai dû faire de nombreuses pauses parce que je finissais avec le souffle coupé. J'ai laissé un mot à un bleu pour Klay et Kaela, qu'ils sachent que je ne serai plus à l'infirmerie, mais je ne les ai pas vu, et ça m'inquiète un peu. J'ai aussi été voir Mere', et Ezra, pour les rassurer, en me promettant pour la énième fois que je trouverais un moyen pour qu'ils se comprennent enfin, ces deux idiots, et puis je suis restée seule un moment, à faire ce que je sais faire de mieux. Le soleil s'est couché, et j'étais encore à l'extérieur, prête à manquer le couvre-feu. Hum... Mauvaise idée. Alors je suis rentrée, et je remontais vers mon dortoir quand je suis tombée sur lui.

Ryan Muldoon. Un type insupportable à la base. Dès mon arrivée, il n'a rien trouvé de mieux à faire comme nombre de ses petits camarades, que de se payer ma tronche parce que je n'étais pas comme eux. Un jour j'en ai eu marre, et je l'ai menacé de le changer en fouine s'il me fichait pas la paix. Une fois. Deux fois. La troisième fois, j'ai mis mes menaces à exécution. Et il a pas trop bien apprécié... Son frère non plus, d'ailleurs, parce qu'il est venu me menacer à son tour. J'ai répondu un peu trop vite que s'il m'avait pas fait chier, ça serait pas arrivé, mais au fond je flippais un peu de ce qu'il allait faire, parce que je ne doutais pas une seconde de ne pas faire le poids s'il sortait sa baguette - au risque de se faire coller à son tour parce que ce genre de sortilèges entre élèves n'est pas censé se faire, moi j'ai eu droit à une jolie retenue pour la métamorphose trop bien réussie sur le vert. Et depuis, on s'évitait complètement. Ce qui m'allait assez bien, je dois avouer.

J'ai vaguement entendu dire que son frangin avait été envoyé ailleurs, mais comme pour à peu près tous les bruits de couloirs qui ne concernent pas Klay, je n'ai pas trop suivi l'affaire. Ca ne me concerne pas de toute façon - quoi que l'absence du type qui m'a menacée ne me déplaise pas plus que ça non plus - et ça n'était pas comme si l'impact que ça pouvait avoir sur la fouine me touchait plus que ça à la base. Je n'aurais pas cru, cela dit, qu'on arrive un jour à être d'accord sur quelque chose. Pourtant ça a bien été le cas... Un de nos profs faisait du zèle, et j'ai pas vraiment une très bonne acceptation de la hiérarchie en général, alors quand en plus je trouve les décisions injustifiées... bah j'ai un peu tendance à faire ma tête de mule. Et ce jour-là, je n'étais pas la seule. Faire front commun avec Ryan Muldoon, c'était assez... inattendu. Pourtant c'est bien ce qui a eu lieu. Evidemment, on s'est retrouvés collés tous les deux, et évidemment, on est pas devenus les meilleurs amis du monde pour autant, mais disons qu'il m'est moins antipathique depuis. J'ai été assez étonnée qu'il s'intéresse à ce qui pouvait m'être arrivée, quand j'étais à l'infirmerie et ça aussi, ça a légèrement tendance à me confirmer qu'il y a quelque chose de bon en lui. Et je suis sûre qu'on peut le faire ressortir. Mais quand je le croise, là, avec tout le poids du monde sur les épaules, semble-t-il, j'avoue que ça me fait un choc. Son petit salut aussi, trop peu sûr de lui, trop réservé. C'est pas comme ça qu'il était, avant, et même si je vais pas dire que je regrette le temps où il se payait ma tronche, j'aime pas voir les gens malheureux, et là, ça transpire de tout son être qu'il ne va pas bien.


Je suis un peu hésitante, pour le coup, moi aussi, parce que je ne sais pas trop comment il va réagir, mais j'ai pas envie de le laisser comme ça à se morfondre tout seul. Alors tant pis pour le couvre-feu.

Bon, je vois bien qu'il est pas super heureux de me voir là, face à lui. C'est sûr qu'on est pas vraiment parti sur de très bonnes bases, tous les deux. Mais ça s'est un peu tassé dernièrement, et personnellement, ça me va bien comme ça. J'ai pas vraiment douze mille personnes dont je me sens proche niveau caractère, et c'est assez étonnant qu'on arrive à se trouver un terrain d'entente, Ryan et moi, mais ça a quand même été le cas, et pour le coup... Bah je crois que je commence à bien l'aimer. C'est sans doute pour ça que j'ai pas juste passé mon chemin, n'est-ce pas ?

J'ai hoché la tête, l'air compréhensif, quand il m'a répondu concernant la bibliothèque et le livre qu'il tenait dans les mains. Ouais, se changer les idées, je comprends pas mal qu'on ait besoin de ça, hein... En l'occurrence, c'est un peu ce que je cherche aussi, ce qui fait que je voulais sortir de l'infirmerie aussi. Bon, prendre l'air, ça m'a fait du bien, mais... me sortir de l'esprit que je suis "diminuée" et que manifestement, ça va pas super fort avec Klay depuis l'accident, on en est loin. J'ai pas envie de rentrer dans mon dortoir et tourner dans mon lit, mais je veux pas non plus qu'il se sente forcé de rester avec moi, à vrai dire. Alors j'ajoute rien de plus, j'attends sa réaction, en me disant que s'il veut partir, il me le dira bien et tant pis, je ferai ce qu'il faudrait raisonnablement faire : rentrer chez les rouges.

Sa réponse n'a pas été négative, cependant, non, il m'a demandé ce que je voulais faire... Et le hic par contre, c'est que j'en sais rien. Je lui souris, cela dit, parce que je suis contente qu'il me laisse pas en plan. Parce que c'est bien ça que ça veut dire, hein ?


Moi j'irai bien dehors - encore - histoire d'avoir une illusion de liberté et d'espace, mais il fait pas super chaud donc... si ça te dit rien, on peut aussi se trouver un coin tranquille. Quant à ce qu'on y fera... On avisera, non ? Là, j'en sais rien, je veux juste pas rentrer, ni être toute seule... Le reste... On verra.