Elle avait pensé à un endroit où elle s’était un jour sentie en sécurité. Naïvement, tenant son ainé comme d’autres tenaient leurs livres de foi pour ne pas perdre la raison, elle avait pensé à la cabane, oubliant jusqu’à l’identité présumée des agresseurs, des responsables.  Perdue dans le tumulte d’un transplanage brutal, lancé à la va-vite en dépit de tous les risques que cela pouvait comporté, elle avait pensé au refuge de son enfance. Parce que dans ce château fait de rien, de rires, d’histoires plus ou moins rassurantes, elle s’était un jour sentie à sa place. Et par Merlin, que ce jour semblait loin. Elle avait secoué Rohàn, elle l’avait secoué jusqu’à réaliser qu’elle risquait de lui faire encore plus mal, jusqu’à réaliser, aussi l’étendue des dégâts. Une panique sans nom l’avait alors rincé. Rohàn, elle ne pouvait pas fonctionner sans. Annihilée par la peur, elle avait fermement serrée sa main libre, celle ne tenant pas de baguette, autour du bras de son frère et elle avait fermé les yeux. Elle avait oublié l’odeur de sang, de fumée, la terreur régnant dans ce champ moldu, le Poudlard express éventré, les cris des autres élèves. Elle avait oublié les autres personnes à qui elle pouvait tenir, ne se souciant que de celui qui, sous son nez, à peine conscient, avait besoin d’elle et à qui elle avait fait défaut trop longtemps.

Elle avait mal et ses genoux qui heurtèrent le sol de la cabane n’arrangèrent rien mais elle ne cilla pas, un vague hoquet la secouant brièvement avant qu’elle ne prenne conscience de sa bêtise. Allongé sur le parquet, il allait crever parce qu’au lieu de penser à Sainte Mangouste, idiote petite Alesya avait voulu aller sur le théâtre de leurs jeux de gamins. Elle plaqua une main devant sa bouche pour ne pas hurler, ignorant le sang qui alla peindre le bas de son visage, hémoglobine purement magique, appartenant purement à son frère, foutu liquide carmin qu’il avait recraché et qui ne laissait présager rien de bon…

Dans sa détresse, il lui fallut une minute pour relever la tête et cesser de trembler, pour réagir. Dépliant son échine crispée, du sang qui n’était pas le sien sur la bouche, sur les lèvres, elle scanna la cabane en cherchant une solution, une main tendue, comme si, miraculeusement, sa connerie allait être réparée immédiatement. Elle manqua de hurler lorsqu’elle réalisa qu’elle n’était pas seule. Un hoquet se bloqua dans sa gorge, l’empêchant de parler, alors qu’elle voyait, lui tournant le dos, ses cousins, ses amis, penchés sur des blessures, parlant entre eux et ne l’ayant pas entendu arriver. Elle se fit violence et croassa finalement, lâchant un cri difforme qui alla emplir la cabane. «  HELP ME ! » une supplique, à peine compréhensible, puis un autre cri du cœur, plus terrifié cette fois, parce que ce n’était pas le moment pour lui demander un calme impassible… «  I think I’ve lost him, he was barely conscious when I put the fire out and… » elle avait toujours sa baguette à la main, agenouillée à côté de son grand-frère, étant d’un coup celle devant agir pour le bien de la fratrie et échouant lamentablement.

All you can do is try to know who your friends are as you head off to the war. (Regina Spektor)

Chaque respiration était un supplice, et Rohàn sentait ses yeux se fermer contre son gré, l'emportant dans une torpeur dont il savait pouvoir ne pas réchapper. Il se battait sans bouger contre son propre corps, cherchant à rester éveillé, à empêcher l'inconscience de le prendre, ne voulant pas mourir comme ça, ne voulant pas mourir tout court. Mais c'était tellement difficile, de ne pas sombrer. La voix de sa sœur avait grimpé dans les aigus, mais il avait du mal à l'entendre, du mal à la voir, perdu dans l'océan de douleur qui l'entourait. À chaque fois qu'il tentait de parler, de bouger un bras, il sentait sa peau protester, son torse trembler sous l'effort demandé par la respiration. Lui qui avait toujours tenté de prendre soin de son apparence savait qu'il devait être immonde à voir, brulé, abattu, mais il n'arrivait pas à s'en faire. L'urgence dans la voix d'Alesya changea, et elle le fit se tourner sur le coté, provoquant chez lui un haut le cœur qui lui fit cracher un liquide chaud qu'il connaissait bien. Sans lui laisser le temps d'analyser quoi que ce soit, de se rendre compte qu'il vomissait du sang, la sensation d'être aspiré, tordu, se manifesta tout autour de lui et il retint des hurlements en se mordant les lèvres sans plus aucune retenue. Le trajet sembla durer une éternité, s'étirant autour de lui comme au ralenti, jusqu'à ce qu'un choc sourd ne le plonge contre un parquet en bois irrégulier, coupant encore sa respiration. La désorientation aurait du lui faire peur, ne pas savoir où il se trouvait aussi, mais il avait l'impression infime de connaître l'endroit. Aucune odeur ne lui parvenait au dessus de celle du sang, de la peur, toutes ces odeurs qui l'entouraient. La cape qui entourait encore son corps avait également une odeur entêtante de brulé, cachant sans aucun doute ses blessures aux yeux de tous. Alesya avait recommencé à hurler, d'autres voix s'y mêlèrent, l'obligeant à ouvrir des yeux fiévreux, incapable de se concentrer sur les visages. Mais il en était certain, il le sentait dans la magie environnante, dans le bracelet que... que Charles avait gardé. Charles. Morrigan. Une autre voix qui ne pouvait être que celle de Benjen, un accent bulgare qu'il n'arrivait pas tout à fait à déterminer. Sixte, Lucifer ?  Son cœur qui s'était fait discret, presque lent, reprit du poil de la bête, quitte à redoubler la souffrance, et cette fois, Rohàn accepta de s'évanouir sans plus de cérémonie. Il était à la maison.

Il ne fallut pas longtemps pour qu’elle ne serve plus à rien. A trop trembler, à trop paniquer, elle ne fut pas difficile à éjecter et, sans trop comprendre comment ou pourquoi, elle se retrouva sur le côté, à observer la scène. Elle avait le cœur au bord des lèvres, prête à hurler, prête à cracher ses entrailles aussi, cédant sous la pression. A croire que les années d’entrainement n’avait pas été assez pour la préparer à ça. Voir Rohàn tomber était au-delà de ce qu’elle pouvait encaisser sans faiblir. Elle avait basculée, d’abord assise sur ses talons, reculant précipitamment jusqu’à se retrouver sur les fesses, le dos appuyé contre le mur en bois de la cabane. Quelque part, sur une des lattes de bois, leurs initiales trônaient, images d’un temps qui semblait à présent bien révolus. Beaucoup trop. Elle n’était pas prête à ce que les souvenirs s’enchaînant ici impliquent son frère saignant, agonisant, crevant ici comme un rat. Elle plaqua une main devant sa bouche, hésitant à bousculer Charles, à se faufiler pour aller aider son ainé.

Une chance pour le rouge, peut-être, elle était trop secouée pour se demander ce qu’il foutait là. Ou alors, peut-être ne s’en souciait-elle pas, incapable de comprendre pourquoi son frère l’avait réclamé, trop idiote ou trop préoccupée pour ça. Trop égoïste, peut-être, pour arriver à réellement savoir ce qu’il se passait.

Elle hoqueta et réalisa alors qu’elle n’arrivait plus inspirer convenablement, comme si ses côtes bloquaient. Elle tendit la main et attrapa vivement la manche de Benjen, cherchant son attention pendant une seconde. Elle crevait de froid, de peur aussi, elle tremblait comme une feuille, au point de sentir chacun de ses muscles se contracter, la guidant vers un état catatonique dont elle avait l’impression qu’elle ne pourrait jamais sortir. Elle voulait hurler, cogner, partir en guerre alors qu’elle tenait à peine droite, alors que ses genoux la lâcheraient à l’instant où elle chercherait à se lever. Tirant un peu plus fort sur la manche de Benjen, presque suppliante, elle arriva à articuler, avec un gout de bile dans la bouche « I recognized some of them, you probably know the other half, or their voices at least, take my memories before I block everything out » c’était la première fois, depuis des mois, qu’elle lui parlait sans l’agresser.

Remuant un peu, ne le lâchant pas, elle chercha à se redresser pour aller attraper un des vieux pots de confiture contenant billes et autres petits jouets qui trainaient dans la cabane, de quoi ranger ses souvenirs, à défaut d’une pensine pour lui montrer immédiatement. Ses jambes, évidemment, en décidèrent autrement et elle s’effondra en jurant à voix basse, tête baissée.

Ne plus être bougé, balancé, attaqué ou encore étiré dans tous les sens lors d'un transplanage brutal pendant plus de trois minutes était un miracle que Rohàn, lors de son petit évanouissement, avait savouré. Ou du moins, qu'il pensait avoir savouré puisque la caractéristique première des évanouissements était qu'on ne s'en souvenait pas. Le réveil se fit par une extrême désorientation quand à son environnement et les personnes qui l'entouraient, mais la cacophonie qui régnait dans la cabane lui fit froncer les sourcils et geindre un peu, demandant à sa façon de baisser d'un ton. Le Lestrange eut toutefois la bonne idée de ne pas chercher à bouger ou à se relever, comme il avait eu l'habitude de faire auparavant, comprenant très rapidement que la douleur qu'il ressentait n'avait rien de banale ou habituelle, au fur et à mesure qu'elle revenait l'attaquer.

Une substance gluante appliquée sur sa peau lui fit ouvrir les yeux pour de bon, tandis qu'une pointe de chaleur se dissipait là où on l'avait touché, et il aperçut Morrigan et Charles, penchés sur lui. La silhouette de Benjen était un peu plus bas, il croyait entendre Alesya pleurer, quand aux voix derrière s'engueulant dans une langue étrangère, pas question de s'en préoccuper. A leurs traits tirés et leurs visages blancs, il comprenait que son état était grave, mais il s'en fichait, se sentant soulagé de les voir tous en vie. Il pouvait être déchiqueté en milles morceaux, tant que les yeux de Morrigan abritaient cette petite lueur de folie en le regardant, tant que Charles se penchait sur lui ainsi... Cela valait bien dix milles brulures. “Shh, Valkyrie, ca va aller, j'vais m'en sortir..” Il pouvait sentir sa magie chercher à se déchainer, se rappelait les crises qui prenaient sa cousine lorsqu'elle ne contrôlait plus ses émotions, et voulait éviter un drame supplémentaire, éviter qu'elle ne s'en veuille. Quitte à tousser encore, ayant forcé les mots à travers sa gorge meurtrie, sentant une masse liquide lui obstruer le palais et se tournant la tête de l'autre coté pour cracher un peu plus de sang. Prenant une inspiration douloureuse mais sans plus avoir l'impression de se noyer, une de ses mains vint trouver celle de Charles pour la serrer avec force, essayant de passer par ce simple geste tout le soulagement qu'il avait à le savoir en vie. Il sentait déjà la pâte faire son effet sur les plaies les plus importantes, et luttait pour rester éveiller encore, le temps de s'assurer qu'ils étaient en bonne santé, qu'Alesya n'avait pas reçu d'autre coup.. mais il ne pouvait pas bouger. Simplement forcer sur son cerveau abimé pour leur donner des informations. Pour voir le sang maculant le torse de Charles. “J'aurais... je suis désolé, je voulais...il faut que tu te soignes..” La panique qui colorait ses mots, doublée de son incapacité à faire une phrase complète, résultat de la carapace qui commençait seulement à se briser. Ses pupilles se dilatèrent et sa respiration retourna aux saccades, tandis qu'il arquait son corps sur le plancher, victime d'une nouvelle pique de douleur insupportable au niveau de son crâne, lui donnant l'impression de se le faire tordre jusqu'à la déchirure. Il avait tenu jusque là, il fallait qu'il soit fort encore, mais il ne contrôlait plus rien. “Make it stop, please make it stop !”
Dans la panique générale, ses sanglots passeraient inaperçus.

Elle était faible. Ils l’étaient tous. Une bande de gamins écorchés avec des rêves de grandeur. Les Mangemorts avaient pu survivre au pire, comme des cafards capable de tenir la distance face à des radiations moldues… comment avaient-il pu penser qu’ils étaient prêts à s’affranchir des bourreaux ayant jusqu’alors ombragés leur vie, presque autant que l’avaient fait les sorciers bien-pensants condamnant la descendance des vaincus ? Ses mains serrées à s’en blanchir les articulations, Alesya sentait un gout de défaite cuisante et fatale s’abattre sur elle, vagues sans merci ne souffrant pas de répit et venant écraser chaque once de sa fierté. Rohàn était en train de les lâcher et ils étaient tous amochés. Elle pouvait sentir sa tête qui la lançait et lorsqu’elle entendit la voix de Lucifer murmurer : « You're bleedin' sis'. Here, behind your head. » Elle porta ses doigts à la plaie supposée, se tournant un peu pour observer la scène autour d’elle et adressant un sourire, presque un rictus, à son demi-frère. Elle avait dû zoner pendant un instant car l’agitation se faisait plus grande que dans ses souvenirs… Comptant mentalement, grimaçant à cause de la douleur, elle réalisa bien vite qu’une personne de plus était arrivée là et comprit alors qu’elle était à des milles de tout ce qui était en train de se produire. Détachée, ailleurs, comme déjà enfermée dans un silence atroce, comme déjà plongée dans l’horreur qui viendrait avec le calme et les réalisations, les conséquences.

Elle mit un moment à comprendre qu’elle était en train de rencontrer, dans les circonstances les moins propices possibles, un des frères de Sixte. Plus âgés, elle avait entendu des récits à leurs sujets mais à présent, elle était trop groggy pour se souvenir de leurs occupations, pour savoir qui était celui qui s’afférait auprès de Morrigan. Son regard vola, de toute façon, vers son frère à elle et presque aussitôt, une boule vint se loger dans sa gorge alors qu’elle revoyait l’instant où ils avaient transplané. Les mots qu’il avait lâchés, comme un pied de nez, comme une vengeance ultime. On pardonne tout aux cadavres, cette phrase immonde qu’elle lui avait balancée, petite conne, pour chercher à lui faire du mal. Un hoquet alla heurter la boule qui bloquait sa gorge et elle se fit violence pour se redresser, de son mieux, terminant sur les genoux et tirant sa baguette abandonnée un peu plus loin pour la pointer sur son ainé, visant entre les personnes présentes, son arme effleurant pratiquement Charles alors que des étincelles s’en échappaient. « Espèce d’enflure » commença-t-elle à cracher, lui en voulant soudain plus qu’elle était inquiète, mélangeant à vrai dire les deux paramètres. « Espèce d’enflure tu peux pas crever comme ça, c’est pourri comme dernier mot, t’as pas l’droit de me faire ça, alors tu te bouges, putain, tu te bouges et tu arrêtes ton cinéma » elle pouvait entendre la cassure net dans sa voix, la falaise qui se formait entre ses dires et sa raison, entre le contrôle qu’elle pouvait avoir et ce qu’elle était capable de produire. Les doigts ensanglantés et sentant sa tête tourner plus fort, elle ferma les yeux et jeta un sort, perdant les pédales et se mettant en tête de le secouer elle-même. Par chance, elle rata sa cible et dans la foulée, elle bougea suffisamment fort pour se relever, ses pieds heurtant le parquet usé, son épaule s’écrasant contre la porte et l’air frais faisant exploser ses poumons.

Dans la seconde, pliée en deux, elle se retrouva à cracher de la bile et priant des dieux auxquels elle n’avait jamais été fidèle, suppliant et promettant son âme et sa dévotion si on lui rendait son frère, son autre, le chevalier de ses histoires de gamine, la veilleuse de ses nuits agitées.

S'il avait passé de longues minutes à agoniser en se débattant contre un ennemi qu'il ne pouvait pas vaincre, bercé par les flammes de la douleur, jusqu'à ce que son esprit ne craque et ne vacille, il avait gardé assez d'emprise sur ses sens pour savoir ce qui se passait autour de lui, sorte de mécanisme supplémentaire de sécurité, qui en ce moment même le désservait plus qu'autre chose. Il avait tenté de parler avec Morrigan, avec Charles, mais ses souvenirs déja étaient flous, et les réactions des personnes qu'il aimait ne lui donnait guère d'espoir quand à sa propre survie. Sentant sa cousine partir, murmurer sur une voix douce qui présageait l'arrivée de la folie, le serpentard chercha à se débattre, à se lever, pour lui montrer que tout allait bien, qu'elle s'inquiétait pour rien, plus inquiet pour elle que pour lui, il cherchait à rassurer le gryffondor alors que les yeux brillants de celui-ci étaient des coups de poignards plus dangereux que les brulures. Mais la douleur était plus forte, et la seule chose que Rohàn calculait encore, c'était la main de son ex petit ami, serrée entre ses doigts, à qui il devait faire mal, terriblement mal à s'arquer ainsi.

A nouveau le bruit se fit plus fort autour de lui, une silhouette inconnue se démarquait dans l'obscurité du cabanon, qui semblait s'accroupir auprès de Morrigan pour la soigner. La voix d'Alesya, stridente et blessée, l'alerta alors que la crise passait un peu, et il sentit le sort exploser près de lui, ne pouvant empécher sa réaction, venant se coller, sur le flanc, à Charles, dans une tentative de le protéger ou de se protéger, l'esprit emmêlé. Il ne comprenait pas ce qui se passait, pourquoi tout ce bruit, mais soudain plus rien ne fit plus de sens, alors que le frère de Sixte lui lançait un premier sort pour le calmer et le soigner.