« Touche pas à ça. » Les prunelles vertes du gosse se lèvent vers son aîné, intriguées. Ne pas toucher ? Pourquoi ? Ses doigts retombent mollement le long de sa cuisse, renonçant docilement à se saisir de cette jolie boule de cristal aux reflets irisés. La boutique de son grand-père, certes, elle est extrêmement chouette, remplies d'objets étranges, mystérieux et attirants, mais quand il y a Wilfred pour surveiller ses moindres faits et gestes, c'était tout de suite beaucoup moins drôle. « Pourquoi ? » questionne Alfie, terriblement sérieux du haut de ses huit ans. « Parce que c'est dangereux et parce que papa n'aime pas qu'on touche à ses affaires. » lui rétorque son aîné, peu amène pour le coup. Depuis la mort de leur grand-père paternel à Azkaban, quelques mois plus tôt, leur père s'était montré beaucoup plus âpre, plus renfermé et, par extension, ce mal étrange avait fini par contaminer son frère aussi. Leur père s'absentait de plus en plus régulièrement, laissant le soin à son fils aîné de tenir la boutique tout en surveillant son frère cadet. Une tâche difficile à accomplir quand on savait que, comme tous les gosses de son âge, Alfie ne pensait qu'à une seule chose : faire sauter consciencieusement toutes les mines de la pièce piégée dans laquelle ils se trouvaient. Assis dans un recoin, sur une caisse de bois qui avait, sans doute, jadis, servi à transporter de la marchandise, Alfie avait eu le temps d'observer et d'apprendre ; cette boutique, il avait fini par en connaître les moindres cachettes, à pouvoir citer de mémoire la moindre fiole posée sur la plus haute étagère, celle poussiéreuse dont personne ne se souciait jamais. Quand des clients trop louches pénétraient dans leur domaine, Wilfred lui faisait signe d'aller dans l'arrière-boutique, à l'abri, mais ils ne pouvaient s'empêcher d'écarter le rideau et des les observer, discrètement, à la dérobée. De là, sans doute, tenait-il son sens âcre des affaires, à voir son frère intraitable quelles que fussent les négociations dans lesquelles on tentait de l'entraîner. Wilfred avait toujours été ainsi, même avec lui, quand il tentait désespérément de moyenner pour rester dans la boutique ou pour veiller le soir, plus tard que prévu. Comme tous les gamins, un peu fan de leur grand frère, sans vouloir se l'avouer, il avait calqué nombre de ses faits, gestes et comportements sur les siens et, plus tard, il devint aussi dur en affaires que Wilfred ne l'était lui-même. Un requin sans conscience.



« Barjow, ta cravate. » Le jeune homme s'arrête dans le couloir désert et tourne la tête en direction de la voix qui l'a interpellé ; un préfet peut-être un préfet-en-chef, peu lui importait au final, il n'avait jamais vraiment digéré l'autorité, de qui qu'elle provienne. Avec un léger sourire, il dévisage l'impudent qui a osé le réprimander sur quelque chose d'aussi stupide qu'une cravate ; par principe, il ne portait jamais la sienne. « Mh ? » réplique-t-il simplement en haussant un sourcil moqueur. L'espace d'un instant, cela lui rappelle l'attitude que Wilfred pouvait avoir envers lui quand il lui prenait l'envie de s'approprier l'un des objets de la boutique. « Pas de ça à l'école, Alfie, 'kay ? » Le cadet des Barjow ne répondait jamais autrement que par un sourire mystérieux qui pouvait dire oui comme il pouvait aussi bien dire tout le contraire. Il était de ce genre là, Alfie, du genre qui ne parle pas beaucoup parce qu'il n'avait jamais eu besoin de ça pour en imposer, à sa manière. Généralement, ses actes répréhensibles et ses blagues débiles parlaient pour lui. Aussi, quand le préfet répète, un peu moins patient, sa réflexion à propos de la cravate absente de son uniforme, il la sort mollement de sa poche, la faisant glisser entre ses doigts fins de pianiste avant de la passer autour de son cou, sans pour autant la nouer comme il se doit. Qu'on ne s'y méprenne pas, Barjow, s'il obtempérait souvent dès le départ, sera le premier à vous planter sa baguette entre les omoplates sitôt que vous aurez le dos tourné. Et, si en plus, il peut trouver quelqu'un d'autre pour faire le sale boulot à sa place, il n'hésitera pas à éviter de se salir les mains. « Pas comme ça, espèce d'abruti congénital ! » Et comme il approche sa main de son col, Alfie la repousse brusquement, sur la défensive et le regard noir. « Owh, doucement... » Il se rend compte au moment où il veut le dire que le nom de l'autre lui est totalement inconnu, alors il reprend. « ...peu importe le nom de sang-de-bourbe que tu te coltines. Les pédales s'pas mon truc alors tu vas garder tes sales petites pattes de tapettes dans tes poches, compris ? » De suite, son expression se fait moins sympathique et docile et quand l'autre se rapproche, il recule instinctivement contre le mur, aussi menaçant qu'une créature sauvage acculée et prête à vous sauter à la gorge. Le seul ennui majeur d'Alfie était qu'il n'avait jamais été très costaud physiquement ; sur le plan purement musculaire, en effet, la génétique avait plutôt joué en la faveur de son aîné. Aussi quand la poigne ferme de son interlocuteur se referme brutalement sur sa gorge, il ne peut que gronder en lui dédiant son regard le plus assassin tandis que l'autre, déjà, d'une main experte, noue du bout des doigts l'objet du délit autour de son cou. Et pour bien se faire comprendre, il n'hésite pas à la resserrer de telle sorte qu'il manque presque d'étrangler le Gryffondor avec. « Et que je n'ai plus jamais à te le répéter, c'est compris, l'abruti ? » Et comme il le repousse brusquement contre le mur, la seule chose que peut faire Alfie c'est desserrer rapidement le morceau de soie en toussant.

L'ennui avec le jeune Barjow, c'est qu'il n'oublie jamais rien ; il n'a pas une mémoire eidétique, certes, mais faites-lui un seul coup bas et il vous le fera payer le restant de votre misérable existence. Parce que oui, pour ne pas rajouter à ses défauts, il est aussi atrocement rancunier et vindicatif. Ainsi, le préfet qui, il l'appris quelques jours plus tard, se prénommait Thompson ou Tomison, bref quelque chose dans ce goût-là, en fit la cruelle expérience à ses dépends. Alfie avait attendu patiemment, avec le calme et la platitude de celui qui sait que la vengeance est un plat qui se mange froid, et il avait suffi d'une simple erreur de parcours, une simple inadvertance, pour qu'il ne fonde sur sa proie. Comme souvent lorsqu'il menait ses petites vendettas, il s'était fait accompagner d'un de ces molosses sans cervelle, qu'il rémunérait avec des objets sortis de la boutique de son père ou avec des petits élixirs de son crû, et il n'avait pas fallu longtemps avant de coincer Thompson dans un couloir et de le pousser à l'intérieur des toilettes des filles. Oui, vous savez, ceux où personne ne va à cause des odeurs entêtantes ? Ceux-là même... Quand sa tête avait heurté la porte de bois de la cabine la plus proche, Thompson n'avait sans doute pas compris de suite ce qui lui arrivait mais quand les doigts longs et fins d'Alfie avait attrapé sa tignasse blonde pour le forcer à regarder dans sa direction, nul doute qu'il avait commencé à comprendre ce qui l'attendait. « Tu vois, il me semble me souvenir qu'on s'est quittés sur un malentendu, la dernière fois... » Il a un sourire mauvais comme ses doigts relâchent ses cheveux blonds, repoussant brutalement sa tête en arrière, pour lui faire à nouveau heurter le panneau de bois et l'étourdir encore davantage. Le corps du préfet glisse le long de la porte, assommé, et le voilà qui se retrouve assis par terre, un brin hagard. « Mh... Moi qui pensais qu'on ne trouverait pas de terrain d'entente, je vois qu'au contraire, tu es devenu réaliste et que tu as repris ta vraie place... Tu me vois ravi de ce revirement... » Et pour bien marquer sa joie, il lui décoche un coup de pied en plein dans la mâchoire, lui arrachant un hurlement de douleur et épais filet de sang au coin des lèvres. Dans un sursaut d'énergie et de dignité, le jeune homme au sol pense enfin à chercher maladroitement sa baguette dans sa poche, ce qui provoque une action immédiate d'Alfie. Avec un ricanement moqueur, il pose le talon de sa chaussure sur les doigts de sa malheureuse victime. « Vraiment ? Tu vas me faire l'affront d'utiliser la magie quand on s'en sort si bien sans elle ? D'autant plus que tu n'as aucun droit de porter une baguette, pas vrai ? » Oui, parce que pour ajouter à la longue liste de ses crimes, le préfet avait le malheur d'être né-moldu, une infamie que le jeune Barjow ne pouvait pas lui pardonner. Alors, sans la moindre compassion, il appuie davantage sur les doigts de sa proie, jusqu'à entendre le bruit caractéristique de l'os qui se rompt. Un sourire plus appuyé, comme il s'adresse à son larbin du jour. « Prends dix minutes pour lui apprendre le respect... Mais ne le noie pas. » L'autre acquiesce d'un sourire entendu comme il attrape le préfet par le col, le soulevant comme s'il n'avait rien pesé et maintenant fermement son visage dans l'eau de la cuvette des toilettes les plus proches. A chaque fois, il le mène au bord de l'asphyxie, puis il l'en sort, le laissant respirer quelques minutes pour mieux l'y replonger. Quand Alfie estime que le jeu a assez duré, il lâche simplement, sur un ton glacial. « Ca suffit. » Sans maugréer, le molosse relâche sa victime.« Si on te demande, t'es tombé dans les escaliers, compris, l'abruti ? » Avec difficulté, l'autre acquiesce entre deux quintes de toux et c'est sans un regard en arrière qu'Alfie s'éloigne accompagné de son complice. Ce n'est qu'une fois hors de vue et hors de portée de toute oreille indiscrète qu'il lui demande dans un sourire. « Je te remercie de ta participation. Qu'est-ce que je peux t'offrir en échange ? » L'autre bafouille, impressionné sans vouloir l'admettre par le potentiel de violence qui peut se cacher derrière un visage si enfantin et un corps si frêle, mais finit par réussir à sortir une phrase à peu près cohérente. « Je reprendrais bien la même chose que la dernière fois, tu sais..? » Le jeune Barjow esquisse un sourire en coin ; bien sûr qu'il sait. Dans un arabesque élégant du poignet, il sort une petite fiole de verre de sa poche et la glisse entre les deux mains immenses du colosse. « Pas plus de trois gouttes, 'kay ? Et si jamais tu te fais prendre avec, il vaut mieux pour toi que mon nom ne surgisse pas dans la conversation... » Le ton est lourd de menaces et l'autre ne s'y trompe pas, comme il remue la tête positivement, un brin nerveux. « Par contre, si on te demande le prix, c'est 8 mornilles, et je fais pas crédit. Et si tu dois m'envoyer quelqu'un, fais en sorte que ce soit quelqu'un de confiance, sinon c'est toi qui prendras. » Et dans un mouvement de cape étudié, il disparaît.