Peckham, de base, ce n'est pas la joie. Des petites maisons aux jardins défraichis et remplis d'ordures ou de morceaux de plastiques et de fer, vestiges de balançoires ou toboggans, des fenètres crasseuses, des porches aux pierres branlantes... Situez vous dans n'importe quelle banlieue un peu mal famée de votre connaissance, et vous y serez. Pas de bol pour Malachy, puisqu'il y est né, et qu'il y a grandi, qu'il y a passé toute son enfance, coincé dans ce minuscule trois pièces avec ses parents et sa sœur ainée. Des ouvriers, tous les deux, qui s'échinaient tous les jours pour ramener de quoi nourrir et vêtir leurs deux enfants en espérant qu'ils seraient assez intelligents pour se débrouiller un peu mieux qu'eux. Pas d'espoir de grandes études, par contre, non, faut pas réver, le père Lauderdale était de l'ancienne époque, celle où le travail manuel était considérée comme la plus lucrative et vénérable. À quoi ca servait de lire des bouquins ou d'être assis à un bureau toute la journée, à part devenir une feignasse ? Non, ses enfants à lui, à 18 ans, c'était au boulot, pour plus les avoir à charge.
Malachy n'a donc jamais entendu ses parents lui dire de travailler à l'école pour réussir. Jamais non plus de cadeaux ou de félicitations pour ses bonnes notes, à peine un hochement de tête absent du front de son père derrière son journal, une petite tape sur la tête avec un « encore heureux » de la part de sa mère. Pas non plus de jouets électroniques, pas d'ordinateur. L'électricité servait à payer le chauffage et la télévision que son père squattait tous les soirs, régulant ainsi les programmes offerts à ses enfants. Ce qu'il ne régulait pas, par contre, c'était le spectacle qu'il faisait tous les jours avec sa pinte de bière, sa voix tonitruante débitant des injures envers toute personne un peu plus intelligente que lui, ses blagues graveleuses lancées à sa femme devant les copains. Samthann – que tout le monde appelait Samy – ne voulait jamais lui expliquer ce que c'était, les mots utilisés, mais Malachy finit par les apprendre, lorsqu'il commença à trainer dans le quartier le soir plutôt que de rentrer.
Les années passant, le travail s'était fait plus rare, et leur mère avait du prendre un autre petit boulot en plus du sien, alors les repas du soir se faisaient tard, chacun mangeant ce qu'il voulait dans le frigo, grignotant, tant et si bien que le petit anglais préfèrait aller squatter chez des copains de l'école du quartier pour avoir une vraie assiette devant lui. Il y avait des bandes, selon la rue, selon l'ethnie, selon le travail des parents, des bandes de marmots qui s'affrontaient à coups de cailloux et de branches d'arbres dans le parc, répétant les mots entendus dans la journée, pour asseoir leur autorité sur tel ou tel banc. Déjà Malachy se savait un peu différent, lui qui pouvait éviter les plus gros coups, semblant toujours avoir de la chance. Que ce soit un caillou plus pointu qui ne lui faisait pas mal, une branche déviant de sa course à la dernière seconde, ou même, un jour, un pétard n'explosant pas à ses pieds, il était plus à l'abri des petits bobos que ses amis, qui le taquinaient à ce sujet. Sa mère, elle, se contentait de dire que c'était le signe de la foi, qu'il était béni de Dieu, et elle touchait alors sa médaille du Saint Patrick avec un sourire qui le dérangeait toujours. Très dévote, trop pour Malachy, elle les obligeaient tous les Dimanche à venir avec elle, à la messe, à être impeccable et à bien se tenir, quitte s'il n'avait pas su tenir sa langue ou rester en place se prendre une claque en rentrant et monter au lit sans dessert.
L'un dans l'autre, une petite vie normale.

« Mom ! Je te promets, c'était pas moi ! J'ai rien fait ! - Tu n'as rien fait ?! Je l'ai vu, Malachy Finley, je l'ai VU rebondir ce vase, sous mes yeux ! Je ne veux pas de ça chez moi, tu entends ?! Tu vas arréter tout de suite tes petits tours, ou sinon... ! » Se laissant malmener, les larmes aux yeux, le blondinet ne comprenait pas la colère de sa mère. Il était tombé sur le tapis le vase, c'était peut-être juste beaucoup de chance, comme d'habitude ? Il n'avait pas rebondi ! Sa mère en tout cas semblait persuadée du contraire, et elle le fit monter dans sa chambre, les joues encore chaudes des deux gifles qu'elle lui avait collé, l'obligeant à se mettre à genoux dans sa chambre, pour prier et se repentir. « Et tu y resteras toute la nuit s'il le faut ! » Samy, rentrant à 23h d'une soirée voisine, faillit hurler en le voyant toujours en position, frissonnant et pleurant encore, mais après avoir entendu ce qui s'était passé, elle mit son réveil avant celui de leur mère, et attira son frangin dans son lit pour le réchauffer et lui permettre de dormir. Ni vu ni connu, le lendemain, Malachy reprit sa place, évitant ainsi une nouvelle gifle, et n'en parla à personne d'autre.
« John, ton fils a recommencé. - Pourquoi c'est toujours mon fils quand il fait des choses comme ça, hein ? - Ca ne vient pas de chez moi, je peux te l'assurer ! Samy est tout à fait normale, elle ! - Allons, arrête de dire des conneries, il ne fait de mal à personne, moi aussi je faisais le con à l'école. - Ce ne sont pas de simples bétises d'enfants ! Il a le diable au corps, même la professeur de chant le... - Cette cul pincée qui ne sait rien faire de ses dix doigts ? Bah ! Elle n'y connait rien, laisse la dire ! » Un dialogue typique du soir, en rentrant de l'école. Une mère fatiguée, serrant le cou de Malachy pour lui signifier de se taire et de rester là, Samy dans un coin en train d'envoyer un texto, ses cheveux filasses cachant son visage, et son père, en train de fumer sa dixième cigarette de la journée, pas vraiment d'humeur à se faire reprocher un manque d'éducation. « Tu veux qu'on fasse quoi, Meredith, le mettre en pension ? On a pas les moyens, je te rappelle ! - On ne peut pas laisser les choses empirer ! Il a fait glisser la voisine, tu m'entends ?! Glisser ! Elle aurait pu se rompre le cou, qu'est ce que ce sera, la prochaine fois ? - Il l'a touché ? Non ? Alors, il ne l'a pas poussé, elle est tombée, elle n'y voit rien cette imbécile. Laisse donc le gosse tranquille, tu montes ta tension pour rien. » Même si son père était un rustre, Malachy préférait qu'il soit là pour mettre un terme aux idées de sa mère. Il était plus objectif, plus calme, il ne prenait pas pour argent comptant ce qu'on lui disait. La messe, c'était par obligation plus que par piété, et il avait refusé que les enfants aillent dans la chorale ou une idiotie du genre, pas pour les voir finir en hippies ou grandes folles.


Onze ans et l'école secondaire, onze ans et son uniforme élimé qu'il avait interdiction de salir. Bien sur, dés le premier jour, il finit dans la boue devant l'école, alors qu'on lui piquait son gouter, tout en traitant sa sœur de salope. Il vit rouge, encore, et expulsa de lui la grosse brute qui le couvrait, pour sauter sur lui et le frapper de toutes ses forces, refusant d'entendre quelqu'un insulter sa grande sœur. Elle était peut-être bizarre, triste et morose, boutonneuse et ronchonneuse, mais c'était sa sœur. Et le soir même, la lèvre violacée et un œil au beurre noir, il accepta sans broncher la claque de sa mère et l'humiliation de la douche froide pour nettoyer ses coupures. C'était son combat, son fardeau. Chaque jour amenait son lot de hurlements, de cours, de gifles et d'escapades. À douze ans, il suivit pour la première fois Samy en soirée. Musique à fond les caisses, cigarettes et alcool. Il ne lui fallut pas longtemps pour se mettre à l'aise, attraper une bière et se laisser porter.

« Tu as bu ? - Maaaais non, Samy ! - Tu pues l'alcool, sérieux, Mam va te tuer. - J'en ai plus rien à foutre. De toute façon quoi que je fasse elle va m'en foutre une. » Sa sœur se mâchonna la lèvre, ne sachant pas trop quoi dire. Son frère séchait les cours, déjà, et il trainait avec des mecs plus âgés qui la mettait mal à l'aise, mais elle ne pouvait rien lui reprocher. Elle faisait la même chose le soir, au moins lui rentrait pour le repas. « Fais pas de connerie. - Non, j'suis clean. Promis ! » Ca n'aurait peut-être pas duré, par contre, s'il n'avait pas eu à 14 ans une certaine lettre de Poudlard. Il approchait de l'âge où trainer dans les squats des « grands frères » prenait une dimension plus donnant-donnant, où on passait d'éclaireur à passeur. À consommateur. Mais il n'en eut pas l'occasion.

« MALACHY ! - Oh merde, merde merde ! - C'qui ? - C'est ma mère, Betty dégage, vite, si elle te voit là on est morts ! - Sérieux ? Mais on vient juste de... - Tu prendras une douche chez toi, dégage, vite ! - Putain t'es trop con comme mec ! » A peine le temps de foutre son soutif et ses vêtements sales sous le lit, d'enfiler un caleçon en sautillant, et d'aider sa copine du jour à descendre le long de la gouttière avant de plonger sous sa couette pour prendre l'air d'un ado normal au réveil. Le clignement et le grognement accompagné par l'entrée en trombe de sa mère dans sa chambre n'étaient pas simulés, mais de simples résultats de sa cuite de la veille. « Qu'est ce qu'il y a? - Tu descends, TOUT DE SUITE ! - Hein, de quoi ? Hey, stop, Mam- OW ! » Cette fois ce n'était pas une baffe mais bien sa main qui le tirait par les cheveux hors du lit, tandis qu'il se laissait faire, conditionné par les mauvais traitements. La suivant, en caleçon, dans le bas des escaliers en serrant les dents, il tomba sur son père, qui tenait une lettre jaune entre ses mains, pour une fois l'air sérieux. S'asseyant en se massant le crâne, il se demanda où était Samy quand il avait besoin d'aide, et attendit que la nouvelle tombe. « Malachy, c'est arrivé pour toi. - Une lettre ? C'est quoi ? - Une lettre d'admission pour une école privée. - Hein ? J'ai jamais demandé à aller dans une autre école, j'suis très bien là ! - Ce n'est pas la QUESTION ! Tu te crois drôle avec tes blagues, Malachy ? Tu crois que ca m'amuse, que c'est bien de blasphémer ?! - De blasphé...mais de quoi tu parles ?! »
Sans doute du sorcier qui toqua deux minutes après à la porte en s'excusant du retard, pour lui annoncer qu'il était un sorcier, lui aussi, et qu'il avait l'obligation de faire ses études à l'école de magie. La seule chose qui intéressa son père fut de savoir que l'école était payée par un fond de solidarité pour les élèves les plus démunis. Ca lui ferait un enfant de moins à charge, et donc ça de plus pour arrondir les fins de mois. Et ca éloignerait aussi le gamin de sa mère.
Elle, par contre... autant dire que septembre venu, Malachy était plus que soulagé de se retrouver à Poudlard.



Ses années passèrent alors rapidement, dans un grand brouillard. Il n'était pas brillant, il n'avait pas de moyens, pas de mémoire, il était juste capable de faire un peu de magie. Il lui arrivait d'être découragé, de se dire qu'il n'était pas un vrai sorcier, mais chaque jour de ses vacances d'été lui rappelait qu'il avait échappé à la misère. Trainer dans les rues, sécher les cours, boire, fumer et faire de petits coups. Subir sa mère, encore et toujours, qui semblait avoir abandonné toute prétention et qui passait au moins deux heures chaque jour à tenter d'exorciser le démon. À 18 ans, Malachy arréta de se laisser faire, fatigué, au bout du rouleau. Lorsqu'elle tenta de l'électrocuter alors qu'il prenait une douche, sa magie explosa encore, l'envoyant voler contre la porte, avant qu'elle ne glisse  au sol, inanimée, et qu'il ne panique. Chopant ses affaires dans un grand sac, le Gryffondor prit simplement le temps d'envoyer un coup de fil à sa sœur, qui vivait à deux pâtés de maison de là, avant d'atterrir chez elle.
« Bon, le bon point, c'est qu'elle est en vie. - Tant mieux. - Malachy, fais pas semblant. - Non, je suis content qu'elle soit encore en vie. J'voulais pas... J'aurais pas voulu avoir ça sur la conscience. - Elle a essayé de te tuer, c'était de la légitime défense. - Ah ouais ? Pardon m'sieur l'agent, j'ai tué ma mère par réflexe ! Oh, oui, bah en utilisant la magie, forcément ! » Les nerfs lâchaient et sa sœur vint s’asseoir à coté de lui en soupirant, fatiguée par sa première grossesse. « Elle veut pas que tu reviennes. - Et Papa ? - Papa... tu sais comme il est. T'es majeur. Tu te – Démerdes. » Un sourire partagé puis il s'affala contre le canapé, l'esprit vide. Bon, où aller, maintenant. Rester chez sa sœur était exclu, sa mère venait souvent. Il n'avait plus qu'à crécher chez ses potes. « T'as un stylo ? J'vais envoyer une lettre à mes amis. - T'as une chouette toi ? Depuis quand ? - J'en ai pas, mais j'vais transplaner à la poste sorcière. - Okay. Reste au moins le temps qu'elle est à l'hosto. - Merci Samy. »

Il se débrouilla. Deux jours par çi, une semaine par là, tous les étés jusqu'à la fin des études, et encore après. Il ne s'était pas mal débrouillé dans ses exams, mais personne ne voulait embaucher un mec sans piston, sans réel talent, un né moldu gryffondor et tête brulée. Le seul endroit où il finit par trouver du travail, c'était dans un bar, à Édimbourg. Loin des siens, à astiquer son comptoir et remplir tous les jours les verres d'étudiants, d'étudiantes, avec un sourire et une bonne blague. Avec son départ de la maison, il s'était épanoui. Un vrai rire, des expériences désastreuses en amour mais aussi de bonnes surprises, des bastons et des concerts, l'alcool des soirs sans bosser et les sorties dans les boites moldues. Qui aurait cru en le voyant qu'il était un enfant battu ? Malachy ne se considérait pas comme un gosse à plaindre. Il avait son fardeau comme tout le monde, sa croix à porter, mais chaque année elle lui semblait plus légère.

« T'as dit quoi là ? - Les moldus sont des animaux, quoi, t'es pas d'accord ? Ils se mettent à marier les homos maintenant ! » Aussitôt, le verre que tenait Malachy finit sa course dans la tronche du sorcier, verre, bière et chiffon à la fois, tandis qu'il passait de l'autre coté du bar pour attraper l'homme trempé par le col, les yeux froids. « Ferme ta putain de gueule. On aime pas les racistes ici, et encore moins les homophobes, alors tu vas gentiment sortir ou je demande au patron de te radier du bar, okay ? » Pas de ça dans son bar, pas de ça chez lui. Ce n'était pas non plus le repère le plus ouvert aux né-moldus ou aux gens biens, mais à chaque fois qu'il croisait un de ces types qui se prenait pour un être supérieur alors qu'il semblait avoir oublié la définition du mot « bain » et qu'il était consanguin depuis dix générations, il avait une forte envie de cogner. Il se contentait de mots et de faire le videur, à l'occasion.
Laissant filer l'imbécile, il reprit ensuite sa place tandis que les discussions recommençaient, faisant un sourire au serveur qui s'était retrouvé visé, au départ. Celui-ci lui offrit un petit sourire fatigué, et Malachy lui fit signe de prendre sa pause, tandis qu'un autre étudiant se préparait à retourner en cours. « Hey, Andrew, prends ta journée demain, okay ? - Merci Malachy. - De rien. »

Vu l'heure à laquelle avait commencé le vacarme, la soirée risquait d'être longue. Mais qu'ils viennent. Ou qu'ils s'en prennent à une femme, tiens, et on verrait si Malachy Finley Lauderdale n'était pas capable de protéger ceux qui le méritaient.