« C'est chez toi, ici ? » Judah tourna la tête vers l'endroit qu'ils regardaient, le manoir Lothbrock. C'était un magnifique manoir de l'époque édouardienne, aux toits sombres et aux briques grises, recouvertes parfois de lierre, parfois de poussière. S'égayaient derrière les fenêtres et les rideaux, des silhouettes d'adultes buvant, riant, parlant, débattant des nouveautés sorcières galloises et internationales. Coincée près de la mer du nord, la propriété et ses environs étaient toujours sujettes à des vents forts et froids, si bien que toute réception extérieure semblait impossible, sauf quelques rares jours d'août. On fêtait quelque chose qui échappait à Judah mais qu'il appréciait ; il adorait les fêtes mondaines, où l'aristocratie sorcière des environs se retrouvaient pour parler politique, économie et potins avec des coupes de champagne entre les doigts et des petits fours à portée de main. Il y avait toujours une myriade de gamins comme lui, joueurs, désabusés, se pensant rois et reines du monde du haut de leur petit nom de famille réputés.
« Oui, c'est chez moi » répondit le garçon, alors âgé de huit ans, comme si il était déjà propriétaire des lieux. Ses yeux, qu'il avait d'un bleu très clair, presque aussi glacés que son père, caressèrent pensivement l'endroit, qu'il adorait plus que tout. Les jardins laissaient place à des haies taillées animées par la magie, naïades et dryades hélant les passants avec un sourire forestier sur les lèvres ; des fontaines, gelées à cette époque de l'année, qui faisait le ravissement des enfants en été ; des massifs de fleurs que sa mère prenaient plaisir à prendre le soin de, avant son départ pour Ste Mangouste. Rhaegar senior n'avait jamais tenté de cacher ou de déguiser la vérité à son fils. Sa mère était folle, point. Ca arrivait, c'était comme ça, il fallait juste l'accepter. Judah l'avait fait volontiers, pour satisfaire son père même si, parfois, il se surprenait à avoir les larmes aux yeux la nuit. Il préféra mettre de côté ses pensées noires et tourna la tête pour plonger son regard dans celui, de la même couleur à peu près, du jumeau le plus proche. Thaddeus et Oberon Croupton étaient deux gamins de son âge. Tous les trois bruns, Judah et eux semblaient presque issus de la même fratrie : des nez plutôt droits, des yeux très clairs – allant parfois vers le vert pour les jumeaux –, un maintien altier et un visage sombre pour des enfants si jeunes. Huit ans et déjà des plans ambitieux en tête. Oberon, qui portait une cravate blanche sur chemise noire – la copie négative de son frère – offrit un sourire en coin à Judah.
« C'est grand. Mais pas aussi grand que Croupton Mansion. » Judah plissa des yeux et fronça du nez, ses sourcils allant souligner son aspect à la fois blessé et énervé.
« Oui mais nous ne sommes pas une famille de parvenus ostentatoires et arrogants comme vous. » dit-il, d'une voix calme qui contrastait avec ses joues qui se coloraient de rouge.
« C'est faux ! » gronda Thaddeus, le poing serré.
« C'est mon père qui l'a dit. » mentit Judah, au tac-au-tac, pour contrer, s'approchant d'un pas du plus âgé des deux. Oberon s'interposa en adressant un regard de reproche à son frère.
« Si ton père le dit. » fit-il pour calmer le jeu – même si une certaine rage et colère teintait ses yeux d'un bleu devenu très clair. Judah adopta une moue butée avant de se radoucir d'un coup.
« Vous voulez monter dans ma chambre ? On y voit tout de là-bas. » Les deux jumeaux se concertèrent du regard avant d'assentir avec des sourires presque timides, hésitants, prêts à se transformer en bouche à venin au moindre coup de vent.
Ils se glissèrent sous les bras des adultes et à l'écart des champs de vision pour monter des volées interminables de marche, jusqu'à la lourde porte d'ébène noir de la chambre du garçon. Il y avait son prénom – Rhaegar – inscrit dessus, taillé dans ce qui semblait être de l'opale. Il sortit une antique clef de sa poche et l'inséra dans la serrure, la faisant tourner avant de faire entrer les jumeaux dans la petite chambre. Elle était sous le toit donc bancale, dans un constant déséquilibre qui vous donnait l'impression d'être sur le point de vous cogner partout. Elle était sobre mais élégante, avec un immense lit à baldaquins noirs aux draps gris et bleu foncé, impeccablement pliés et ordonnés. On retrouvait un minuscule chaudron qui avait bien servi, sur un plan de travail à l'écart et ce malgré l'âge précoce de l'habitant de la chambre. Le sol était recouvert de livres, ouverts ou non, qui sentaient le renfermé et la poussière. Judah avait toujours interdit à leur femme de ménage de toucher à sa chambre et il était le seul à y entrer et à s'en occuper – si ce n'était que sa petite sœur Dany qui n'en faisait qu'à sa tête de toutes manières. Thaddeus sauta sur le lit et en froissa les draps mais Judah n'en dit rien, rangeant quelques livres dans quelques bibliothèques pour pouvoir se frayer un chemin sûr jusqu'à l'énorme fenêtre coincée dans une alcôve au fond. Oberon lisait les noms des ouvrages sur les tranches de ces derniers.
« J'ai hâte d'avoir une baguette pour ranger tout ça plus vite. » « Tu m'étonnes. C'est nul d'avoir à attendre. » C'est vrai que c'est nul, pour des enfants qui ont tout en un quart de seconde, d'avoir à attendre. Judah grogne son assentiment en posant, avec grandes difficultés, un lourd dictionnaire sorcier sur son bureau. Il finit par éclaircir le chemin jusqu'à la fenêtre et fait signe aux jumeaux de le rejoindre, ils ne se font pas prier. Les trois s'agenouillent en choeur et Judah ouvre les vitres puis les volets, laissant un coup de vent particulièrement pernicieux leur ébouriffer les cheveux. Silencieux, les trois bruns regardent le paysage qui s'étend devant leurs yeux. Isolé de tout, le manoir Lothbrock bénéficie de la passion de la mer à l'ouest, le calme d'une minuscule forêt d'arbres feuillus à l'est et, au sud, le désert des landes galloises. La propriété se posent sur plusieurs hectares et le tout ressemble à un refuge, un oasis au milieu de nulle part. Même les parvenus ostentatoires et arrogants que sont Thaddeus et Oberon Croupton sont impressionnés.
« C'est quoi ton nom ? » « Rhaegar Judah. Judah. Vous ? » « Oberon. » « Thaddeus. » « Cool. »△△△« Enchanté de faire votre connaissance. » « Moi de même, Rhaegar. » Ce dernier tordit ses lèvres en un rictus qui se voulait sympathique – mais qui n'était que glacé.
« Appelez-moi Judah. » C'était presque un ton de réprimande, impérial, mais madame Croupton n'en dit rien, se contentant de lui retourner un sourire chaleureux avant de retourner Judah ne savait trop où. Il la suivit d'un regard consterné avant de se tourner vers ses deux meilleurs amis, les jumeaux Thaddeus et Oberon. Ils formaient, à trois, un trio d'enfer. Dans tous les sens positifs et négatifs du terme. Ils s'entendaient comme cochons et une fois qu'ils étaient réunis, ils étaient peu à se mettre entre eux et leur objectif, leur destination. Ils passaient leurs temps ensemble, à s'écrire des hiboux quand ils étaient éloignés ou à disséquer ensemble des petits animaux quand ils passaient du temps chez Judah. Oberon était le penseur, Thaddeus le fonceur et Judah le juste mélange entre les deux. Malgré leurs différences de caractères et d'histoires, ils ne semblaient être qu'une seule et même entité, sur la même parfaite longueur d'onde.
« J'espère qu'elle va coucher Arwen. » fit Thaddeus avec un sourire saligaud sur les lèvres. La perspective semblait l'amuser et Judah fronça les sourcils en tournant le regard vers lui. Les jumeaux lui faisaient visiter le manoir pièce par pièce – Judah n'était jamais venu à Croupton Mansion. Il avait eu raison en disant que les Croupton étaient des parvenus ostentatoires et arrogants. Ancienne famille pure, certes, mais pauvre jusqu'à quelques temps, avec pour seuls héritiers les jumeaux. Le manoir était immense et de nombreuses statues, tableaux, vases et autres décorations l'égayaient, lui donnant un air à la fois surfait et impersonnel.
« Notre petite sœur. » lâcha Oberon d'un air désinvolte en interceptant son regard interrogateur. Jusqu'ici, Judah ignorait qu'ils en avaient une et se sentit un peu vexé de leur secret. Toutefois, ce n'était pas non plus comme si lui, il se livrait impunément à eux : il ne leur avait rien révélé sur Eddard, son feu frère, et faisait de son mieux pour tenir Dany hors de leur portée. Il l'aimait trop pour la laisser avec ces deux psychopathes – car c'était ce qu'ils étaient, les jumeaux comme lui-même. De dangereux psychopathes, même en si bas âge, seulement douze ans. Arrogants, avec une estime de soi grandiose, immense, impresionnante ; fieffés menteurs depuis toujours ; manipulateurs, abusant des moues d'ange et des sourires chaleureux ; si peu empathiques que ça faisait peur, repoussant leur faute dans leurs actes sur d'autres et ce, impunément ; irresponsables, incapables de se projeter dans l'avenir ; constamment ennuyés, à chercher de quoi se stimuler constamment ; charismatiques à décès, avec de belles paroles et des airs charmants et étudiés ; un peu impulsifs, à démarrer au quart de tour. Ils s'étaient bien trouvés, donc. Au grand désespoir de leur entourage. Judah n'avait aucune envie que Daenerys ait affaire à des gens de ce genre, si ce n'était lui. Et encore.
Ils passèrent l'après-midi à visiter le manoir puis dînèrent en compagnie de Croupton père, madame Croupton et la petite Arwen-Lyanna de son nom – qui n'était pas couchée mais semblait mourir d'impatience de monter dans sa chambre. Elle était plus jeune qu'eux, remarqua Judah, elle avait à peu près l'âge de sa sœur, dans les huit ans tandis que les garçons en avait douze. Elle ne parlait pas beaucoup et restait à l'écart – Judah, quant à lui, se faisait un grand plaisir d'offrir un numéro de charme aux Croupton, les divertissant d'anecdotes et de blagues jusqu'à faire rire Croupton père et pouffer madame Croupton. Finalement, Thaddeus, Oberon et Judah finirent par grimper dans la chambre d'amis, où ils avaient étalé parterre de quoi dormir tous ensemble, sous une immense couverture. Ils s'assirent en tailleur, formant un cercle un peu bancal mais réel et solide – comme leur amitié. Thaddeus semblait bouillir, tant il était impatient ; et Oberon, de son côté, gardait un petit sourire narquois caractéristique sur les lèvres.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda Judah, presque ingénu.
« Ce soir, père quitte la maison pour un rendez-vous d'affaires et mère va certainement passer la soirée au rez-de-chaussée à prier avec son whisky pur feu qu'il ne soit pas avec une amante. » expliqua Oberon, échangeant des regards complices avec son jumeau. Judah fronça un peu plus les sourcils, pour exprimer qu'il ne comprenait toujours pas.
« Ca veut dire que personne ne fera attention à la toute petite, toute
petite Arwen dans sa chambre. » rajouta Thaddeus d'un air guilleret, en lançant un coup de coude dans les côtes de son frangin. Judah arqua les sourcils, incompréhension toujours.
« Tu verras. » éluda Oberon en lui tapotant le genou, avant de se lever pour sortir de la pièce et revenir quelques minutes plus tard, un épais livre entre les mains. Il se rassit et Thaddeus et Judah prirent place à côté de lui, pour pouvoir lire par-dessus son épaule. C'était un manuel de magie noire que les trois garçons étudiaient assidument. Pourquoi ? Eux-même l'ignoraient. Ca les intéressait. Ils voulaient faire comme leurs pères. Ils s'ennuyaient. Toutes les raisons étaient bonnes pour ouvrir un épais ouvrage de magie noire et en apprendre par cœur chaque phrase, pour se préparer au moment où ils auraient une baguette à leur mains.
Ils restaient dans un silence religieux, parfois entrecoupés par Thaddeus qui lisait à mi-voix pour mieux retenir. Ils sursautèrent chacun quand un craquement de plancher résonna à travers la maison. Un synonyme de transplanage, pensa à raison Judah qui regarda les deux jumeaux qui semblaient parvenus à la même conclusion. C'était apparemment ce qu'ils attendaient car Oberon ferma d'un coup sec le livre et le jeta sur l'unique lit encore fait de la chambre. Il se leva et lissa vainement sa chemise avant de tendre la main à son frère tandis que Judah sautait sur ses pieds de son côté.
« Et maintenant ? » Avec un air malicieux, Oberon lui fit signe de garder le silence et alla ouvrir la porte de la chambre avec précaution. Après avoir vérifié à droite, à gauche, il sortit prudemment en faisant signe à Thaddeus et Judah de le suivre. En évitant les lattes qui craquaient – Thadd les désignaient à Judah quand ils passaient à côté -, ils finirent par se retrouver devant une énième pièce du manoir. Elle était un peu à l'écart, au fond d'un couloir. Oberon sourit en coin à l'adresse de ses amis en sortant une clef de sa poche, la faisant doucement tourner dans la serrure avant d'entrer comme une ombre dans la pièce, suivi de ses deux comparses. On n'y voyait pas grand chose si ce n'était que grâce à la petite bougie en fin de vie posée sur le meuble de nuit. Elle éclairait à grande force de vacillements le visage endormi de Arwen-Lyanna, soulagé plutôt que craintif. Une fois ses yeux habitués à l'obscurité, Judah put voir sa poitrine se soulever à un rythme régulier sous sa couverture et ses doigts agrippés à cette dernière, comme si elle avait peur qu'on la lui enlève. Il perçut l'un des jumeaux s'approcher d'elle et souffler la bougie, plongeant la chambre dans une obscurité quasi-complète. L'un des Croupton ouvrit les rideaux aux fenêtres pour laisser passer la lumière lunaire, qui caressait doucement le teint de lait de Arwen. Fasciné par cette beauté endormie, Judah s'approcha pour la regarder de plus près. Il ne l'avait pas remarqué au dîner mais elle avait des constellations de tâches de rousseur sur les joues, juste sous les yeux. Un nez un peu en trompette, des traits fins et ingénus. Elle était jolie autant que peut l'être une fille de huit ans pour un garçon de douze. Il était au pied du lit et regarda les deux frères prendre place de chaque côté avant, d'un commun accord cosmique propre aux jumeaux, sauter sur le lit de la fillette qui laissa échapper un cri de stupeur, puis de terreur.
Dans le meilleur des mondes, ça aurait fini en guerre de chatouilles, en bataille de polochons. Mais ce n'était pas le meilleur des mondes, c'était la réalité brute, la psychopathie à ses extrêmes, des garçons désoeuvrés et violents qui se faisaient un plaisir de passer leurs nerfs – et leur ennui – sur le mouton noir de la famille. Plutôt que de la chatouiller, ils lui tordaient la peau, la griffaient, lui pinçaient tout ce qui dépassait. A plusieurs reprises, Thaddeus fit mine de lui mordre les doigts d'un coup de dent et Oberon de lui mordiller la lèvre. Finalement, ils la relâchèrent en éclatant de rire alors que la pauvre petite fille se recroquevillait dans son lit, sous le regard grave et un peu apeuré de Judah. Voilà pourquoi il ne leur avait jamais présenté – si ce n'était que rapidement – Daenerys. Pour ça et vingt mille autres raisons. Thaddeus s'écroula parterre en riant toujours, se tenant les côtes et Oberon gloussait aussi, inexplicablement, après avoir roulé sur le côté. Il fit mine de tripoter une mèche des cheveux de Arwen mais celle-ci, dans un geste de rébellion, se recula précipitamment. Cela ne contribua qu'au rire du garçon.
« C'est l'heure du placard, Arwen-Lyanna, ma jolie Arwen-Lyanna. » chantonna-t-il avant de la pousser brusquement parterre, dans les bras de son jumeau qui se releva sans la lâcher. Elle se débattait mais rien n'y faisait, quatre ans, masculinité et débuts de muscles y aidant, l'autre la gardait dans ses bras.
« Suis-moi. » fit Thadd avec un sourire amusé, traînant presque la petite brune avec lui, sous le regard incompréhensif et indécis de Judah, qui suivit tout de même. La petite pleurait en se débattant mais rien n'y faisait. Pendant qu'ils marchaient vers le placard, caché derrière une porte blanche toute fine, Oberon expliquait à son ami que Arwen n'était qu'une bâtarde, pas même leur vrai sœur. Une bâtarde et ingrate avec ça. Incapable de les remercier pour tout ce qu'ils avaient fait pour elle, malgré son sang bâtard et vicié ! C'était sa punition. Thadd l'enferma sans peine dans l'armoire et verrouilla la porte avant de s'adosser à cette dernière, bras croisés sur la poitrine, regardant Judah avec un air narquois.
« Si t'es notre ami, va à l'intérieur. » Judah arqua un sourcil.
« Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. » avança-t-il lentement. Elle avait l'âge de sa sœur et partageait avec elle des yeux clairs, des longs cheveux bruns de princesse.
« T'auras pas peur, quand même ? » ricana Thadd et les sourcils de Judah se froncèrent encore plus.
« Moi, peur ? La seule personne qui devrait avoir peur, ici même, Thaddeus, c'est toi si tu continues à dire des conneries. » Il s'approcha de deux pas. Les jumeaux étaient plus grands que lui mais il leva le nez avec dignité, carra des épaules.
« Si tu redis jamais un truc pareil, je te casse le nez. » fit-il avant de le dégager sur le côté en lui piquant la clef, la tournant dans la serrure et la lui lançant à la figure, avant de pénétrer dans la pénombre du placard.
Il n'entend plus qu'il ne vit le souffle de la petite Arwen-Lyanna. Il entendit aussi quelques sanglots, plutôt sonores grâce aux répercussions sur les murs de l'endroit – et comprit que l'endroit était insonorisé : on ne l'entendait pas de dehors. Vu le ton d'Oberon, ce n'était pas la première fois qu'ils l'emmenaient ici, leur petite demi-soeur. Ils pouvaient lui faire n'importe quoi, ici, et personne n'entendrait rien, n'en saurait rien. Agacé par le tissu qui lui caressait le visage, Judah donna de violents coups en l'air jusqu'à ce qu'un bruit de cintre se fasse entendre et que vestes ou robes ou quoique ce soit arrêtent de le chatouiller. Il attendit de s'habituer à l'obscurité mais ne discerna rien, même après deux bonnes minutes d'attente. Les sanglots se calmaient lentement mais il entendait parfaitement sa respiration erratique, presque douloureuse. Il la cherchait des mains mais quand ses doigts lui frôlèrent le bras, elle se dégagea rapidement avec un glapissement. «
Ne t'inquiète pas. Je ne vais pas te faire de mal. » L'âge de sa soeur, pensa-t-il à regret. Pourtant, il les aimait Oberon et Thadd. Mais il ne cautionnait pas... il ne cautionnait pas ça. Il déglutit difficilement, abandonna l'idée de la toucher pour la rassurer et s'assit en tailleur parterre, attendant toujours de s'habituer à la pénombre. Il pouvait voir comme en plein jour, dans son imagination, le corps tendu de la jeune fille, prêt à se défaire ou à donner des coups, il n'en savait trop rien et préférait rester dans l'ignorance.
« Je m'appelle Rhaegar Judah Lothbrock mais tu peux m'appeller Judah. Ils t'emmènent souvent ici ? » Aucune réponse. Juste son souffle précipité, nerveux. Il ferma les yeux en laissant sa tête aller de l'arrière.
« Je ne vais pas te faire de mal. » fit-il puis le répéta à de nombreuses reprises jusqu'à ce qu'un silence s'installe dans le placard. Il la sentit se calmer et finit par se relever au bout d'un moment. Sa respiration s'accéléra.
« Je ne vais pas te faire de mal. » dit-il dans le vide, peut-être autant à elle qu'à lui-même. Il toqua trois fois à la porte qui s'ouvrit comme par magie sur les regards interrogatifs des jumeaux.
« Alors ? » chuchota Thaddeus, impatient d'entendre l'avis de son ami. Un sourire en coin égaya la lippe de Judah. Il mentait chaque jour, pourquoi pas à ses meilleurs amis ?
« Pas mal. Surprenant mais pas mal. » mentit-t-il avec un ton dégagé. Thaddeus donna un coup de poing affectueux dans son épaule en tournant la tête vers Oberon, qui souriait pensivement.
« Tu vois, je t'avais bien dit ! »△△△« Rhaegar Lothbrock ! » Time to shine ne put s'empêcher de penser le jeune homme en s'avançant. Il dégageait une force et une assurance tranquilles, et donna des coups d'épaule à ceux qui osaient se trouver sur son chemin. Thaddeus et Oberon étaient évidemment passés avant lui, Croupton qu'ils étaient. Ils étaient respectivement allé à Serpentard et Serdaigle, sous les applaudissement de leurs tables respectives et de Judah, ravi malgré la moue dépité d'Oberon. Il était vrai que celui-ci était plus futé que son frère, plus manipulateur que téméraire. Ils étaient pareils, physiquement, et tout le monde pensaient qu'ils étaient aussi similaires mentalement – mais Judah, qui les connaissait mieux que personne, savait de quoi il retournait. Il se méfiait, à vrai dire, plus d'Oberon qui était un leader, un manipulateur et un menteur né. C'était peut-être pour cela qu'il s'entendait mieux avec lui qu'avec Thadd. Il finit par s'asseoir sur le tabouret, à côté du professeur qui tenait la liste des élèves. Celui-ci lui adressa un sourire d'encouragement, comme si il appréhendait la suite ou bien avait peur du résultat du Choixpeau. Il n'en était rien. A dire vrai, il mourrait d'impatience. Le professeur déposa le couvre-chef sur les cheveux bruns coupés en brosse du jeune homme, qui se redressa aussitôt sur son séant. Il ferma les yeux entendant la voix de l’artefact magique résonner au plus profond de son esprit, depuis le creux de son oreille.
« Lothbrock, Rhaegar, comme ton père, eh bien, je crois que ta voie est toute tracée, mon petit ! Mère à Serpentard, père à Serpentard, grand-père à Serpentard, il n'y a même pas délibérations, je t'envoie à -- » « Gryffondor. » fut la seule pensée qui obnubilait Judah, si bien qu'il le lâcha en murmure inaudible pour quiconque si ce n'était le Choixpeau. Les lions, les rouges, aux antipodes de tout ce que sa famille était, tout ce qu'elle voulait qu'il soit.
« Je vois un peu de courage, c'est vrai, une arrogance et une témérité à toute épreuve. Peu d'ambition, mais tu es rusé, très fourbe et très têtu, oh, prêt à tout pour exaucer tes désirs les plus fous, oh, oh, oui, c'est vrai ! Un soupçon d'esprit et de créativité mais tu n'es pas un cerveau sur pattes, trop de passion, trop de pulsions, tu n'as aucune concentration, c'est vrai, c'est vrai hm... pas de loyauté, tu ne travailles pas et tu préfères te reposer sur tes lauriers, eh bien, pas très scolaire tout ça ! Rhaegar, Rhaegar, où te mettre ? Serpentard t'ouvre les bras, tu es un roublard, astucieux, plein d'idées mais tu es aussi courageux et plein d'assurance, contrasté mais équilibré dans tes actions du moins. Un vrai cas d'école, somme toute... Pas de Serpentard pour toi, tu as raison, non, non, je t'envoie à GRYFFONDOR. » Judah rouvrit les yeux avec un petit sourire amusé sur les lèvres. Un sourire ravi même, devant la tête ébahie de Thaddeus parmi les verts et celle contrariée de Oberon chez les bleus. Il se leva et essuya d'un air maniéré et un peu sassy son pantalon avant de se diriger vers les rouges et or, son sourire satisfait et narquois au bout des lèvres, comme si tout ici lui appartenait.
△△△« J'imagine que les gens ont des dates de péremption, écoute. Comme les yaourts. Les gens vivent et un jour... un jour, ils se contentent de mourir. » Il glissa un regard à sa sœur, sous son bras. Il la serra contre lui pour la réconforter, les yeux ancrés sur la tombe. Dessus s'étalaient les identités complètes pompeuses de ses parents avec, comme épitaphe
forever in our hearts. Pas du tout ce que pensait Lothbrock somme toute. Ils étaient très bien, là, sous terre. Il n'entendrait plus jamais sa mère crier pendant l'une de ses crises de spasmophilie. Il ne verrait plus jamais son père froncer les sourcils en lisant les nouvelles le matin. Daenerys n'aurait plus jamais le calvaire d'aller visiter leur tarée de mère à l'hôpital ou bien d'attendre toute la journée un père qui travaillait trop. C'était pour le mieux. Un bras autour du cou gracile de sa sœur et une main dans sa poche, il y serrait étroitement la baguette de son père, qu'il avait volé sur le corps de ce dernier. Il était tombé des escaliers. Tout le monde tombait des escaliers dans cette maison. Ils étaient effectivement énormes, imposants, avec des marches trop hautes et craquantes qui ne rassuraient qu'à moitié. Mais Lothbrock préféra effacer l'image du corps disloqué de son père de son esprit et apposer un baiser sur la tempe de sa sœur, pour la rassurer, lui dire qu'il était là pour elle. Comme toujours. Dany se serra contre lui avec contentement, les yeux fixés sur la tombe de leurs parents. Aux alentours, il y avait d'autres noms signés Lothbrock, autant d'inconnus qui faisaient peu d'effet à Judah Lothbrock lui-même. Au plus proche de Adélaïde et Rhaegar senior, le prénom de son frère jumeau, Eddard. Ils avaient tous les deux quatre ans lors que celui-ci aussi était tombé des escaliers - lui aussi. On avait jamais trop su si c'était sur l'impulsion d'Adélaïde, retrouvée au sommet des escaliers quelques heures plus tard, en larmes, ou juste la faute à pas de chance. Tout ce que Lothbrock savait, c'était qu'il était mort. Il se rappelait d'un garçon brun, comme lui, mais avec des boucles généreuses et énormes, qui formaient un casque sur son crâne. Des tâches de rousseur sur le nez et un sourire où il manquait constamment une dent. Des yeux verts. Mais ses traits, autrement, étaient flous pour Lothbrock. De l'histoire ancienne. Un mort, c'est aussi une page qui se tourne. Du moins essayait-il de s'en persuader.
Ils finirent par s'éloigner, emmitouflés dans leurs épais manteaux, et Dany lui avoua qu'elle préférait aller s'acheter une glace en ville pour faire les comptes de sa vie et se vider la tête. Sans lui. Il ne dit rien, la suivant puis leurs chemins se séparant quand il croisa le regard de ses deux meilleurs amis qui l'attendaient. Pour l'occasion, ils étaient aussi habillés tout en noir, Oberon avec une rose blanche sur son revers et Thaddeus un simple mouchoir de la même couleur. Même sans ça, Lothbrock aurait pu les reconnaître tant il les connaissait bien.
« Tu l'as ? » demanda Thadd d'un air impatient. Lothbrock sourit pour toute réponse et les emmena à l'écart, déambulant dans les rues de la petite ville voisine au manoir avant de finir dans une ruelle, à l'ombre de deux antiques bâtiments. Il sortit alors avec une déférence toute nouvelle la baguette de sa poche et Thadd, à l'instar de son frère, se pencha pour mieux la voir. Oberon siffla entre ses dents en relevant un sourire carnassier vers son ami d'enfance.
« Pas mal, pas mal du tout même ! Elle t'obéit ? » Comme toute réponse, Lothbrock se recula en tenant sa baguette en évidence. Les jumeaux, d'un même pas, se reculèrent aussi et éclatèrent d'un rire ravi en voyant le patronus du jeune homme en jaillir. Flegmatique, l'énorme requin-bouledogue rôda un instant autour d'eux, montrant les dents à Oberon et roulant sur le dos devant Thadd qui fit mine de le chatouiller puis disparut dans une fumée blanche.
« Comme à mon père. Peut-être mieux. Elle était faite pour être mienne. » lâcha-t-il sans prétention aucune. Il était juste persuadé que c'était le cas. Oberon hocha la tête pour assentir et Thadd passa un bras autour des épaules de son ami, un grand sourire sur les lèvres.
« Félicitations, mec. » finit-il par lâcher avec bonne humeur. Evidemment, ce n'est pas trop ce qu'on attend des lèvres de ses amis le jour de l'enterrement de son dernier parent. Mais Lothbrock lui sourit en retour, découvrant des fossettes et deux petites canines pointues. Il ne répondit pas, préférant juste ranger sa baguette dans sa poche et faire signe à Oberon de se rapprocher pour passer un bras autour de ses épaules à lui aussi. Une vrai brochette de connards.
« J'aurais presque hâte de rentrer à Poudlard pour foutre la misère à Weasley. »Ils marchèrent ainsi bras-dessus bras-dessous avant de se défaire lentement et de se mettre à discuter de vive voix de tout et de rien, surtout des atouts d'avoir une ancestrale baguette puissante à son service. Finalement, Oberon et Thadd lâchèrent qu'ils devaient aller quelque part pour un rendez-vous – Lothbrock préférait même pas tenter de savoir où, quand et comment : leurs petites affaires de drogue ne l'intéressaient guère – et il finit par vaquer dans la ville dans l'espoir de croiser sa sœur et de la ramener auprès de son oncle, puis retourner au manoir. Ce ne fut pas sur sa sœur, mais presque, qu'il tomba. Le dernier endroit où il pensait voir Arwen-Lyanna en public était effectivement ici même, dans le village sorcier gallois de Emrys' Fall, au milieu d'une rue enneigée et déserte. Il fronça les sourcils en se rapprochant, les mains plongées dans les poches, redoutant déjà le fait qu'elle soit là au cas où un des jumeaux débarqueraient. Il savait bien qu'il ne pouvait rien faire pour qu'elle échappe aux violences qu'elle subissait à la maison mais, s'il pouvait au moins l'aider à s'échapper des violences extérieures, ce serait mieux. De toutes manières, Arwen ne sortait que peu, sa mère tentant vainement d'étouffer le secret de son existence en la cloîtrant chez les Croupton.
« Qu'est-ce que tu fous ici ? » l'agressa-t-il une fois qu'il fut à portée de voix, ses yeux lançant des éclairs.
Idiote, pensa-t-il, explorant déjà les alentours du regard au cas où Thadd ou pire, Oberon, surgirait.
« Je... je voulais juste te présenter mes condoléances. » marmonna-t-elle en baissant les yeux et Lothbrock grinça des dents.
« Génial. Merci beaucoup, ça me fait plaisir. Maintenant, rentre chez toi avant que Oberon ou Thaddeus n'arrive. » lâcha-t-il d'un ton dur et méprisant. Mais à l'intérieur, son cœur explosait en mille fragments douloureux, qui se fichèrent dans ses chairs et os, lui faisant un peu plus mal à chaque mouvement. A chaque seconde.
△△△« C'EST À CAUSE DE CE COMPORTEMENT QU'ON VA PERDRE LA SAISON, WEASMOCHE ! IL ÉTAIT PAS SI DIFFICILE À RATER CE COGNARD ! » Elle avait frappé à trois mètres de différence. Au moins. Du moins, c'était le cœur vicié par la mauvaise foi qui faisait dire ça à Lothbrock, qui fit tourner la batte dans sa paume avant de l'empoigner à deux mains pour frapper avec violence un Cognard teigneux, qui décima la cible que le jeune homme visait. Il était de conscience publique que Galadriel Weasley et Judah Lothbrock ne s'appréciaient pas. Pas du tout. On aurait normalement dû les séparer par des dizaines de chambres, de chaînes, de menottes et murs mais non, on les autorisait à voler dans la même équipe aux postes de batteurs à des mètres du sol. Autant dire que ça ne rassurait guère le capitaine, qui préférait jouer la Suisse au milieu du conflit.
« Guys, l'entraînement est terminé. » « ET MA BATTE DANS TA SALE GUEULE, ELLE EST DIFFICILE A RATER ? » riposta, féroce, la jeune femme en continuant de tourner sur son balai, envoyant un Cognard dans la direction de Lothbrock qui l'évita. Celui-ci, ulcéré, fonça vers elle mais elle se déroba avant.
« Sérieusement, je-- » « JE VAIS TE L'ENFONCER DANS TON PETIT CUL, TA BATTE. » Weasley grogna en évitant un Cognard que lui envoyait l'autre con de sang-pur. Un enfoiré de la pire espèce d'après elle.
« C'EST BIEN LA SEULE CHOSE QUE T'Y ENFONCERAS, ENFOIRÉ. » Lothbrock grinça des dents.
« J'abandonne, vous me saoulez. Fermez les vestiaires en pa-- » « TA GUEULE ! » lancèrent les deux batteurs en même temps, arrêtant un moment leurs chamailleries pour tourner la tête vers le capitaine, qui serra les poings mais se drapa dans sa dignité avant de s'en aller d'un pas fier et agacé, marmonnant entre ses dents une série d'insultes à leur attention.
« Je vais t'étriper Weasmoche. » « Je vais te réduire en pâté et nourrir les ogres de ton espèce avec, Fagbrock. » Ils s'apprêtaient à se foncer dessus pour s'empoigner et se bagarrer à dix mètres de hauteur quand le regard du jeune homme glissa sur les gradins. Emmitouflée et cachée derrière les sièges devant elle, il n'eut aucun mal à reconnaître Arwen, tâches de rousseur, nez un peu en trompette et traits fins et ingénus avec. Il se calma aussitôt.
« Une autre fois, pétasse. » « T'as pas de couilles ou quoi ? » répliqua Weasley avec humeur.
« Une autre fois putain ! » lâcha Lothbrock dans un grognement plein de rage, avant de voler jusqu'à Arwen et de se poser devant elle.
« Alors, princesse tu t'es perdue ou quoi ? » Mais déjà, effrayée, elle s'en allait précipitamment, laissant derrière elle un Lothbrock interloqué mais avec un petit sourire sur les lèvres. Comme s'il avait le moindre contrôle sur sa vie et ses sentiments destructeurs.