A l'extérieur, je ne m'étais jamais senti en sécurité. Comme si la nature était un immense nid à microbes et en réalité, je ne devais pas être bien loin du compte. A mes yeux, tout ce qui ne pouvait pas être lavé, ne pouvait donc pas être propre. C'était aussi simple que ça. Ou presque. Pourtant, je n'avais pas pu vivre cloîtré entre quatre murs, je ne me serais pas senti libre... Malgré mes angoisses, je n'aspirais pas à devenir prisonnier. Après tout, je n'avais jamais rien fait de mal, alors je ne méritais pas cet enfermement. Cependant, à présent que je déambulais dans le parc de Poudlard, je ne me sentais pas très à l'aise pour autant. En effet, il avait plu toute la journée et rien que l'odeur de terre et d'herbe humides me montait déjà à la tête. Mais le pire, c'était l'aspect glissant du sol, quel que soit l'endroit où je choisissais de m'aventurer. L'herbe, tout comme le chemin de terre, étaient devenus tellement glissants que j'avais hésité plusieurs fois à faire demi-tour. Pourtant, j'avais renoncé à chaque fois, parce que je ne voulais pas fuir au premier obstacle. Ma phobie m'empêchait déjà bien assez de vivre normalement, et je craignais que ça n'empire de jour en jour, si je ne tentais pas de me faire violence dès que ce genre de pulsions venaient me gâcher un moment aussi ordinaire que celui-ci. Tous les élèves de l'école étaient sortis pour profiter du premier rayon de soleil de la journée. Peut-être que d'ici une heure, la pluie viendrait reprendre ses droits, alors avant que cela n'arrive, chacun en avait profité pour prendre l'air sous cette belle éclaircie. Et moi, je voulais être capable d'en faire de même, sans paniquer. Bien sûr l'été c'était plus facile pour moi. Tout était tellement sec et rêche et surtout, tellement moins salissant qu'en hiver ou au printemps.

Concentré, j'avançai avec précaution quand des éclats de voix me parvinrent. Reconnaissant immédiatement le groupe d’élèves à qui elles appartenaient, je me figeai, le cœur battant. « Non… Pas ça… » Je murmurai ces mots comme une prière, sachant très bien que cela ne me sauverait pas pour autant. Mais c’était plus fort que moi, j’étais effrayé à l’idée se subir encore une de leurs "blagues", surtout par un temps pareil… Malheureusement, je ne pouvais plus me cacher, à présent. C’était un autre désavantage de se trouver à l’extérieur : c’était vaste et à certains endroits, il n’y avait aucune végétation derrière laquelle se dissimuler. Dans le château, j’aurais pu me réfugier dans une salle, au hasard, mais là… J’étais foutu. « Eh, regardez qui est sorti de sa bulle… » Le bruit de leurs pas précipités me glaça le sang. En effet, ils étaient en train de débouler dans ma direction avec un entrain qui n’augurait rien de bon. « Tu n’as pas peur de mourir d’un rhume ? » « Peut-être qu’un microbe va sortir de derrière un arbre pour te dévorer tout cru ! » Des rires fusèrent à quelques pas de l’endroit où je me trouvais. Conscient que je ne pourrais pas leur échapper, je fermai un instant les yeux, comme si ça pouvait les faire disparaître. Après tout, je ne m’étais pas encore retourné pour les voir s’approcher, donc je pouvais toujours feindre de les ignorer, et ainsi me donner quelques secondes supplémentaires de répit. Autant dire que j’étais prêt à tout pour ne pas avoir à supporter ça, une fois de plus. « Dis donc, il a décidé de nous snober en plus… » « On ne va pas le laisser nous prendre de haut, qu’est ce que vous en pensez ? » « Sûrement pas ! » Avant que je n’aie pu me retourner, ils apparurent brusquement dans mon champ de vision et je réalisai enfin que j’étais resté figé depuis le début, sur le bord du chemin, les doigts crispés sur ma baguette – qui se trouvait dans ma poche.

Mais je n’étais pas très doué pour les duels et ils étaient quatre contre moi. Alors même si j’avais été un expert, mes chances de réussir un tel tour de force étaient tout de même relativement minces. Cependant, aucun sort ne fusa, cette fois-ci. Comme si l’extérieur leur offrait une plus grande créativité. Ou une plus grande puérilité, comme vous préférez. Pour ma part, je n’avais pas vraiment le cœur à en rire à l’instant où deux d’entre eux me poussaient violemment afin de ne me donner aucune chance de me rattraper. Ce qui fut plutôt efficace puisque le sol se déroba sous mes pieds avant de me percuter de plein fouet – à moins que ce ne soit l’inverse ? - m’arrachant un gémissement de douleur, immédiatement accompagné d’un cri d’effroi… Dans ma malchance habituelle – ou grâce à leur précision infaillible – je m’étais étalé dans la boue et une grande partie de mon visage en était maculée. « Non… non non non… » Plus rien n’existait autour de moi. Ni les quatre imbéciles qui s’éloignaient en ricanant, ni la pierre qui m’avait meurtri l’épaule lorsque j’étais tombé dessus… Absolument rien. Sans retirer les gants en peau de dragon qui me protégeaient les mains, je m’étais redressé afin de frotter compulsivement mon visage. Mais la terre était coriace à l’était liquide et j’en étalais une grande partie, sans le vouloir, à défaut d’avoir un linge propre, de l’eau et du savon à ma disposition. Jamais une salle de bain ou des toilettes ne m’avaient paru si loin… Je me sentais désarmé et incapable de me lever. Ma respiration était saccadée et je manquais cruellement d’air, alors que je continuais à me gratter, frotter, frictionner le visage comme si j’étais possédé. En état de choc, je chuchotais inlassablement la même chose. « Non non non... » Répétant les mêmes mots et les mêmes gestes à l’infini, je les maudissais de m’avoir à nouveau plongé dans cette peur si profondément ancrée en moi, que j’avais le sentiment de perdre pied. J’avais besoin d’aide, mais qui voudrait tendre la main à un type, assis dans la boue, qui agissait comme un damné ?

Mon monde s’était assombri, au point d’en devenir aussi opaque que cette satanée boue. Et à mes yeux, ça n’aurait pas pu être pire… Pour moi, ce n’était pas simplement de la boue, c’était comme un acide répugnant qui me rongeait la peau. C’était plein de microbes et j’allais être très malade… Je sais ce que vous pensez. Oui, c’était dingue. J’étais dingue. Mais la peur est la pire émotion qui puisse exister. Parce qu’elle paralyse l’esprit et le corps. Elle nous possède et prend le contrôle de chacune de nos réactions. La peur est une cage, un enfer pavé de mauvaises intentions. Et je n’étais pas assez fort pour m’en débarrasser… Cependant, je n’étais pas aussi seul que je le pensais. Du moins, c’était la pensée qui m’effleurait l’esprit à ce moment-là, alors qu’une main s’emparait du col de ma robe de sorcier afin de me relever. Il ne me fallut que quelques secondes pour reconnaître Lucifer à travers l’épaisse couche de boue, mais je n’étais pas en état de me réjouir de sa présence. En effet, il était en train d’assister à l’une de mes crises et j’avais tellement honte qu’il me voit comme ça… « Pose donc ton cul sur la pierre là, je vais arranger ça. Faut juste que je me rappelle de la formule du charme de récurage... » Dans un état second, j’obéis sans vraiment y réfléchir, alors que je frottais toujours mon visage, compulsivement. C’était plus fort que moi, j’avais besoin de suivre ce rituel, en totale panique, jusqu’à ce que la crise desserre son étau autour de mon esprit. Soudain, en le voyant pointer sa baguette sur moi, je réalisai qu’il allait vraiment user d’un sort sur moi, et cette idée ne fit qu’aggraver l’état de stress quasi hystérique dans lequel je me trouvais. Assis sur cette pierre froide, je me recroquevillai sur moi-même, sans pour autant cesser de frictionner ma peau, alors que je savais très bien que je ne parvenais pas à retirer toute cette boue. C’était tellement tenace… « Récurvite! » Inquiet, je sursautai, priant pour ne pas me retrouver avec quelque chose en moins. Après tout, Lucifer n’était qu’en troisième année, et il avait encore droit à l’erreur mais là, c’était quand même sur moi qu’il s’entraînait et ça n’avait rien de rassurant. Même si je l’aimais beaucoup, je n’étais pas vraiment apaisé par ce genre d’initiative, je dois bien l’avouer.

Pourtant, seule la boue disparut, ne laissant plus que quelques tâches sur mes vêtements. « Je suis plutôt content du résultat. T'as plus le visage crade au moins... C'est pas nickel, mais c'est déjà ça. » Il avait raison, je le savais, mais c'était incontrôlable, j'avais toujours le sentiment d'être sale. Enfermé dans ma bulle, je l’entendis soupirer, à croire que je l’exaspérais déjà, dès la première crise, et ce n’était pas bon signe. Cependant, je ne dis rien, ne voulant pas empirer les choses, et je me contentai de prendre le mouchoir qu’il me tendait. « Merci. » De son côté, il avait concentré toute son attention sur les serres réservées à la botanique. « Fuck, je sèche le cours de botanique. Tant pis. Au moins j'échappe au fumier de dragon! » A ces mots, je rougis… de honte ! J’ignorais qu’il avait cours à cette heure et qu’il était venu m’aider malgré ça. C’était sûrement complètement stupide mais je me sentais vraiment mal d’être la cause de son infraction. D’autant plus qu’il allait sûrement être collé pour ça… Incapable de mettre mes peurs de côté pour autant, j'ouvris frénétiquement mon sac pour en sortir un flacon de lotion qui me permettait de nettoyer et de désinfecter ma peau, en cas de crise. Même si - dans la mesure du possible-, je préférais me retrouver face à un miroir. Mais c’était mieux que rien… Alors que j’imbibais le mouchoir avec la lotion afin de me frotter à nouveau le visage, je lui lançai des regards discrets, ne sachant pas ce que je devais faire pour le remercier, mais aussi pour me faire pardonner de lui avoir imposé ça. J’avais parfaitement conscience de l’image que je renvoyais, mais ce n’était pas comme si je pouvais effacer douze ans de peur et d’obsession insensées. Les autres avaient sans doute raison, je vivais dans un autre monde. Un monde plein de microbes, tous plus effrayants les uns que les autres. Des monstres qui avaient tué ce père que j’aimais tant. Aucun homme ne vivait bien longtemps dans ma famille. Vous devez sans doute vous souvenir de ce qui était arrivé à mon oncle Cédric. Bien que je ne l’aie jamais connu, j’avais toujours eu de la peine pour mon père qui avait toujours vu son grand frère comme un modèle frôlant la perfection. Ma mère disait que les morts avaient tendance à se sublimer dans nos esprits. Peut-être qu’elle avait raison et que c’était pour cette raison que mon père prenait tant de place dans ma vie, au point de me nourrir de cette angoisse de mourir comme lui.

J’ignorais ce que Lucifer avait entendu dire à mon sujet et s’il pensait à présent qu’il y avait une part de vrai dans tout ça. Peut-être que j’étais fou, mais quoi qu’il en soit, je ne voulais pas lui nuire. Parce que je le considérais comme un ami, capable de comprendre le mal être engendré par mon côté androgyne. Lui aussi connaissait les affres d’un physique atypique, aux allures féminines. Même si, honnêtement, je le trouvais plus beau que moi. « Je suis désolé, Lucifer… » J’évitais son regard, craignant ce que je pourrais y voir. Surtout que je n’avais pas arrêté de me frotter le visage et ma peau commençait sérieusement à être irritée par les frictions incessantes que je lui imposais. Mais pour ça aussi, j’avais prévu une lotion dans mon sac. Cette dernière cicatrisait et hydratait la peau. Ce n’était pas un remède miracle, mais c’était tout de même assez efficace. En effet, elle me permettait de guérir plus vite, après une crise. Croisant une fraction de seconde le regard de mon ami, je murmurai. « Je ne voulais pas, tu sais… t’entraîner là-dedans… » Ce fut à mon tour de soupirer, alors qu’inconsciemment, mes doigts ralentissaient leur course effrénée sur mon visage. Peu à peu le calme qui m’habitait d’ordinaire reprendrait ses droits, ne laissant qu’une profonde amertume derrière lui. « Je ne veux pas que tu sois collé à cause de moi, je pourrais leur dire que tu as été contraint de m’aider, si tu veux. » C’était un peu pathétique comme solution, j’en conviens. Mais je n’avais jamais été doué pour me tirer d’un mauvais pas. Généralement, je m’enlisais. Dans tous les sens du terme. Enfin, avec tout ça, j’en oubliais quand même l’essentiel… Parce qu’il m’avait aidé, là où tout le monde – ou presque – m’aurait laissé là, comme un con, avant de partir en riant. Ne mentez pas, je les avais vu faire. Et puis, je me sentais stupide, le visage en feu, à cause de mon TOC alors que je serrais dans la main, un mouchoir en pleine agonie. Sans réfléchir, je le rangeai dans mon sac, avant de désinfecter une dernière fois mon visage. « Merci de m’avoir aidé, en tout cas. C’était vraiment gentil de ta part. » Un sourire gêné se glissa sur mes lèvres alors que je ne le regardais enfin, conscient que je lui devais bien ça, afin qu’il voit que j’étais sincère et que malgré la crise absurde que je venais de faire, je n’avais pas oublié qu’il m’avait tendu une main secourable. Honteux à l’idée de rester comme ça, avec mon visage tout irrité, je sortis un autre flacon de mon sac, contenant le baume cicatrisant et retirant mon gant un instant, j’étalai la lotion sur tout mon visage. Soulagé de sentir le feu se calmer enfin, je remis mon gant avec un sourire rassuré. La peur ne me paralysait plus, et je pouvais enfin respirer un peu.

« C’est pas grave t’en fait pas. Je dirais que j’ai mal regardé mon emploi du temps, que je me suis trompé de semaine… J’ai ce cours qu’une semaine sur deux… Et que quand je m’en suis rendu compte c’était trop tard. Je dois pas être le seul à sécher, je ne connais pas grand monde qui aime la botanique. » Pour ma part, j’aimais bien la botanique, mais cette remarque me fit sourire quand même. Peut-être parce que j’étais soulagé qu’il voit les choses de cette façon, avec un tel calme. Son comportement déteignait sur moi et je me sentais apaisé. « Et de rien, ça peut arriver à tout le monde d’avoir besoin d’aide. Je t’aime bien, t’as de la chance, sinon j’serait sans doute venu en remettre une couche après eux, posant ma semelle sur ton visage pour que tu restes dans la boue. » Surpris par cette révélation, j’écarquillais les yeux. Vraiment ? Il aurait fait ça ? Étrangement, je croyais qu’il était gentil avec tout le monde, mais apparemment, j’avais droit à un traitement de faveur parce qu’il m’aimait bien. Autant dire que c’était un coup de chance. Plus méfiant, je me tassai un peu plus sur le rocher sur lequel j’étais assis. « Enfin bon, plus de peur que de mal au final on va dire, j’ai réussi à te nettoyer un peu c’est déjà ça. Je te filerais le livre si tu veux, c’est sur les sorts ménagers j’ai pris ça à la bibliothèque pour m’instruire un peu… Plus tard si je vis seul je préfèrerais nettoyer chez moi avec ma baguette plutôt que comme un moldu. J’ai encore deux semaines, avant de devoir le rendre normalement. » C’était sûrement une bonne idée après tout. Je ne m’étais jamais vraiment intéressé à ce genre de sorts et apparemment c’était une erreur, puisque ça pouvait me servir dans ce genre de situation. « Je veux bien, oui. Ça pourrait m’aider à réussir ce sort par exemple. Merci ! » A vrai dire, je ne me voyais pas non plus faire le ménage comme les moldus. Même si je m’étais toujours beaucoup intéressé à leurs coutumes et notamment à leur musique, pour ce qui était de la vie quotidienne, j’avais toujours vécu comme un sorcier et ma mère faisait donc le ménage grâce à tous ces sorts.

Alors que je voguais dans mes souvenirs, Lucifer changea habilement de sujet. « T’as un truc de prévu pour la saint valentin aujourd’hui ? Une copine en vue ? » Gêné, je baissai les yeux, apparemment, il ignorait que j’étais attiré par les hommes. Inquiet, j’espérais que cette idée ne le dérangerait pas. J’avais si peu d’amis, que l’idée de perdre l’un d’entre eux pour en faire un ennemi, m’effrayait plus que de raison. « Ou… Un copain ? T'es loin d'être vilaine quand t'es une nana. » Piqué au vif, je me retrouvai à rougir, sans savoir exactement si c'était la gêne ou une certaine amertume. En effet, étant hermaphrodite de naissance, je n'aimais pas qu'on se trompe à mon sujet. La question avait été tranchée à ma naissance et j'étais entièrement un homme maintenant... « En fait, j’me posais une question… C’est un peu délicat à vrai dire. » Vu la tournure de la conversation, vous vous doutez bien que je m'attendais au pire à présent et je n'étais pas très loin du compte. « ça fait un moment que je me demandais… Quand… Quand tu changes, tu peux aussi changer… heum, tu vois ? » J'eus d'abord du mal à comprendre où il voulait en venir, du moins jusqu'à ce qu'il ne désigne vaguement son sexe. A nouveau, je piquai un fard... Par Merlin, c'était vraiment gênant ! « Si tu veux pas en parler, j’comprendrais… C’est juste que je me demande… Enfin… je suis sans doute un peu trop curieux parfois. C'est un peu privé ce genre de trucs, mais quand même, quand t'es un mec et que tu te retrouves sans rien entre les jambes ça doit être bizarre au début. » Maintenant qu'il avait posé la question, ce n'était pas comme si j'avais vraiment le choix, si ? Enfin, ce n'aurait pas été très correct de ma part d'ignorer la question. Même si je dois avouer que j'en avais envie... Mais il m'avait aidé, alors que je faisais une crise des plus pathétiques et puis, comment allais-je pouvoir éluder une question comme ça sans qu'un silence pesant ne s'installer ensuite ? Non, vraiment, je devais répondre, c'était inéluctable. « Je... Je n'aime pas trop parler de ça c'est vrai... Je ne suis pas une fille... Même si toi aussi tu trouves que j'y ressemble et que ça me va bien... » C'était dur pour moi d'aborder ce sujet avec qui que ce soit. Même si avec Lucifer, c'était plus facile parce qu'il avait eu une physique assez efféminé aussi, bien qu'il ait su en tirer partie.

Nerveux, je triturai la lanière en cuir de mon sac en bandoulière, ne sachant pas comment lui expliquer tout ça, sans qu'il ne me prenne pour un type complètement dingue. « Avant, j'étais hermaphrodite... Enfin, je suis né comme ça... Mais on m'a retiré tout ce qui était féminin et je ne suis plus qu'un homme maintenant... » Ma gorge était de plus en plus sèche, c'était un vrai calvaire. Jamais je ne parlais de tout ça d'habitude. Ou du moins, j'essayais toujours d'éviter d'avoir à le faire, parce que je me sentais honteux à l'idée de me dévoiler de la sorte. « C'est pour ça que mon don de métamorphomage m'échappe parfois et accentue mon androgynie... Parce qu'il se nourrit de ma peur... La peur que quelqu'un découvre ce que j'étais avant... On me juge déjà bien assez... » Avec tout ça, je tournais autour du pot, et je ne répondais pas vraiment à sa question, du moins pas pour le moment en tout cas. Relevant les yeux vers lui, j'esquissai un sourire timide. « Comme je me sens homme et que je suis bien dans ce corps, je n'ai jamais essayé de changer de sexe grâce à mon don... Je ne sais pas si c'est possible du coup... Je suis désolé... » Tout ça pour lui dire que je ne pouvais pas satisfaire sa curiosité... C'était vraiment inutile. Alors, avant qu'il ne se sente lésé par cette réponse, je m'empressai de répondre à sa question précédente. « Sinon, pour ce qui est de ta première question... Je n'ai pas de copain... » En réalité, dès qu'une personne s'intéressait à moi de cette façon là, ma phobie le faisait fuir... Au fond, j'en venais à croire que personne ne pourrait jamais m'accepter tel que j'étais, et ma vie amoureuse était donc au point mort. Bien sûr, ça m'attristait, mais je n'avais pas vraiment le choix. « Et toi, tu as prévu quelque chose avec ta copine ? » Afin de ne pas m'attarder sur mes échecs sentimentaux, je retournai habilement le sujet en sa faveur, persuadé qu'il aurait beaucoup plus de choses à raconter que moi. Ce qui n'était pas difficile, j'en conviens. Et comme pour l'encourager, je lui adressai un sourire joyeux, oubliant un instant mes tracas, pour se concentrer sur mon ami.

Malgré moi, j’avais peur de son jugement. Peut-être parce que je réalisais que je n’étais – à la base – pas vraiment le genre de personne qu’il appréciait d’ordinaire et que par conséquent, j’étais une exception. Pourtant, il semblait réellement me considérer comme son ami et ça me touchait plus que je ne voulais bien le montrer. « Normalement, j'aime pas les gays... Mais toi, c'est un peu différent vu... Ta situation. » Étonné, je savais pas ce que j’étais censé répondre à ça. Bien sûr, je tenais à lui, comme un ami et l’idée qu’il n’aimait pas les homosexuels me peinait… Même s’il ne me détestait, ça me touchait directement, bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Cependant, je préférais ne pas trop y penser, et rester focalisé sur notre conversation, parce que je ne voulais pas le perdre, malgré tout. Alors, afin de m’éloigner de ce sujet épineux, je lui demandai s’il avait prévu quoi que ce soit avec sa copine ce soir-là. Bien sûr, je m’imaginais qu’ils allaient passer une soirée de couple, comme je n'en avais vu que dans les contes de fées, lorsque j’étais enfant. « Pas vraiment non. On fêteras ça ce week end à Pré au Lard je pense. Je vais faire un effort pour l’amener boire un thé chez Pieddodu, malgré le fait que de m'imaginer assis dans un salon de thé rose criard entouré d'autres couples niais... ça me file déjà la nausée. » A première vue, c’était une image attendrissante, si on ne tenait pas compte du fait qu’il s’agissait de Lucifer et que l’imaginer dans une situation aussi énamourée était pour le moins surprenant et incongru. Pourtant, j’étais certain que ça ne changeait rien aux sentiments qu’il devait avoir pour elle. Il n’était juste pas fait pour ce genre de trucs romantiques. A sa place, je n’aurais peut-être pas été plus à l’aise, même si mon manque d’expérience aurait été la principale raison de mon malaise. « Je ne suis pas un grand romantique. » Un sourire se dessina sur mes lèvres alors que j’avais le sentiment étrange qu’il avait lu dans mes pensées.

« Vu que t'es tout seul, si ça te dis on peut passer la soirée ensemble. » Surpris par sa proposition, je le fixai, sans un mot, ne sachant pas vraiment s’il était sérieux ou si c’était une sorte d’ironie difficile à saisir. Au fond, j’avais tellement l’habitude de mal cerner les gens, de ne pas comprendre leur fonctionnement, que je cherchais des erreurs dans chaque phrase, persuadé que je n’en comprenais jamais le véritable sens. Pourtant, cette fois-ci, il ne semblait pas y avoir de malentendu, à première vue. Cependant, mon silence sembla lui laisser croire que je me faisais des idées, alors que ça ne m’avait même pas effleuré l’esprit. « Entre amis, bien sûr. » Bien entendu. Comment aurais-je pu me méprendre à ce sujet ? Alors qu’il avait une petite amie et une certaine aversion pour les mecs qui, comme moi, préférait de loin les hommes. Certes, à ses yeux, j’étais une exception, mais pas au point d’en arriver à une telle extrémité, et c’était bien mieux comme ça. « Je voudrais pas te laisser tout seul à déprimer dans ton coin, en voyant tous les couples s'embrasser et se regarder niaisement dans les yeux en se donnant la main. » C’était délicat de sa part de s’inquiéter pour mon sort de cette façon. Il aurait pu ne même pas y penser, après tout, qui le lui aurait reproché ? Personne, pas même moi. Parce que c’était la dure loi des célibataires et avec ma phobie, j’étais depuis longtemps habitué à être seul. Touché par cette attention, je me mordillai la lèvre, avant de lui sourire avec sincérité. « C’est vraiment très gentil de penser à moi de cette manière… De te soucier de mon sort… »

Soudain remotivé, je me redressai afin de quitter mon rocher et de lui faire face. Étrangement, malgré le sujet délicat que nous avions abordé, cette discussion m’avait calmé et je me sentais beaucoup mieux. Ma crise me semblait loin à présent, comme si l’un de mes démons avait pu chasser l’autre. Mon passé d’hermaphrodite avait été un sujet plus sensible et il avait éclipsé ma peur, sans que je ne m’en aperçoive. Et c’était un constat plutôt intéressant pour moi. « Je serais ravi d’accepter de passer une soirée avec toi, entre amis, afin d’oublier quel jour on est…. » Aucun célibataire ne se réjouissait à l’idée d’être un spectateur passif de cette journée réservée aux couples. Alors une bonne soirée avec un ami m’aiderait sans aucun doute à ne pas me sentir seul. Même si, comme tout le monde, j’aurais aimé – moi aussi – avoir un rendez-vous avec un homme et découvrir toutes ces choses que faisaient les couples. Cependant, grâce à Lucifer, je n’aurais pas le temps de me morfondre et ça n’avait pas de prix à mes yeux. « Tu veux qu’on se retrouve où ? Dans la salle commune ? » En effet, puisque nous étions tous les deux à poufsouffle, il était facile pour nous de nous retrouver tranquillement le soir. Bien sûr ça risquait de faire parler de nous, mais personnellement, je m’en moquais éperdument. Puisqu’il ne se passerait jamais rien de toute façon. Alors qu’ils fassent courir autant de rumeurs qu'ils le souhaitaient, qu'elles me concernent ou non, si ça pouvait leur donner une raison de vivre, moi ça ne m'empêchait pas de dormir. J'avais l'habitude d'être perçu comme une bête curieuse.

« C'est normal va, t'inquiète pas. J'suis pas très saint valentin et compagnie... Enfin, c'est mon anniversaire aussi aujourd'hui, donc pour moi, la saint valentin passe au second plan et m'occupe pas trop l'esprit vu que j'ai toujours été seul pour cette fête. Sauf cette année, j'ai une copine. Pour le moment. Je suis pas sur que j'arriverais à la garder, mais on verra bien. J'ferait des efforts, j'essayerais. » Je me sentais vraiment stupide... Pas un seul instant je ne m’étais souvenu de son anniversaire. Honteux, je baissai alors le regard, regrettant s’être celui qui avait attiré toute l’attention en me ridiculisant et en brillant par mon éternel célibat. Comment est-ce que je pouvais rattraper ça ? « Remarque avant j'ai jamais trop fêter mon anniversaire non plus. J'avais pas vraiment de copains quand j'étais petit. A Durmstrang c'était surtout des gens pas fréquentables, pas vraiment des amis qui auraient été là pour moi en cas de besoin. Je me sent mieux à Poudlard, finalement. Même si j'aurais bien voulu être à Serpentard comme le reste de ma famille... Poufsouffle en fin de compte, c'est bien aussi. J'suis fier de mon blason maintenant, j'ai plus honte comme au début. » Même si autrefois, il avait peu d’amis, ici il en avait tout de même. J’en étais même la preuve vivante. et je comptais bien lui montrer qu’il n’était plus seul. « Oh excuse moi Lucifer... Avec tout ça j’avais complètement oublié de te souhaiter ton anniversaire... » Avec un sourire timide, j’ajoutai, plongeant mon regard dans le sien. « Bon anniversaire Lucifer ! » Nerveux à l’idée de le vexer, je me mordillais la lèvre, bien décidé à ne pas détourner le regard. Je m’étais déjà montré bien assez faible aujourd’hui et je ne voulais pas lui donner une image de moi plus négative encore. Au contraire, je voulais lui prouver que j’assumais mes erreurs et que je ne l'oubliais pas moi non plus.

« Tu voudras venir me voir à l'entraînement ce soir ? Ou sinon, on se retrouve après. Je sais pas si t'aimes bien le Quidditch ou pas... » En réalité, j’aimais bien le Quidditch, mais je n’étais pas certain que m’incruster dans leur entraînement soit une bonne chose... En effet, le moindre petit incident pourrait tourner au drame et gâcher notre soirée. Et c’était bien la dernière chose dont j’avais envie. Alors autant jouer la sécurité, même si l’invitation me plaisait vraiment et à l’idée d’avoir une conversation si ordinaire, je ne pus m’empêcher de sourire. Parce que ça faisait un bien fou. « Je devrais pas finir tard au cas ou, un peu avant le repas du soir. On se prendra des bièreaubeurre et des cochonneries à grignoter ce soir entre nous, ça va être sympa. Peut être que d'autres se joigneront à nous du coup. ça te ferait du bien, je pense, de rencontrer des nouveaux gens. Je suis sur que je suis pas le seul du château prêt à t'accepter comme tu es. » Pour être honnête, je ne partageais pas son optimisme, à cause de mes nombreuses mauvaises expériences en la matière, mais peut-être qu’en étant à ses côtés, les autres n’oseraient pas me rejeter aussi vite, qui sait. Néanmoins, je ne me faisais pas trop d’illusion, afin de ne pas être trop déçu, si les choses finissaient mal. « J’apprécie ton invitation, j’adore le Quidditch ! Mais... je pense qu’il vaut mieux que je te rejoigne après. Un incident est si vite arrivé avec ma phobie... J’ai eu ma dose d’émotions fortes pour la journée, je crois. » Autant être totalement franche avec lui, il méritait au moins ça après m’avoir porté secours. Même si je me sentais terriblement honteux de lui avoir fait part de mes angoisses. Peut-être que cette franchise finirait par me desservir. Afin de parer au mieux cette éventualité, je continuais à parler comme si je n’avais rien dit de spécial : « En tout cas, cette soirée promet d’être géniale, je ne raterai ça pour rien au monde ! Tu veux que j’aille chercher à manger ou à boire ? » Puisqu’il avait son entraînement de Quidditch, il n’aurait sûrement pas le temps de s’en occuper alors autant que je me rende utile. Sans attendre sa réponse, je fouillai dans mon sac en bandoulière afin d’attraper une plume et un parchemin, prêt à faire une liste de tout ce dont nous aurions besoin. Après tout, plus qu’une soirée entre potes, c’était aussi l’occasion de fête l’anniversaire d’un de mes rares amis et je ne pouvais pas faire comme si ça ne comptais pas. Parce qu’à mes yeux, c’était important et j’aurais aimé marqué le coup, même si, pour être honnête, je n’avais pas la moindre idée de ce que je devais faire pour ça...