Elle n’en avait encore parlé à personne, Adélaïde. De toute manière, à qui aurait-elle bien pu en parler, elle n’en revenait pas elle même. Tout était allé si vite, tout fusait à une telle allure qu’au fond, elle avait profondément l’impression que les choses étaient entrain de lui échapper sans qu’elle n’y puisse rien faire.  C’était un flux, des ondes un peu trop mouvementés pour qu’elle puisse espérer s’y rattacher et, tentant de doucement hisser sa tête en dehors de l’eau pour oxygéner ses muscles meurtris, elle glissait toujours plus bas, toujours plus profond dans ce tourbillon qui s’était dressé entre elle et ses semblables, sa famille, son sang. Tout avait bien changé, tout avais tant évolué. Elle n’était plus cette enfant naïve qu’elle avait pu être autrefois, cette gamine qui se plaisait à se faufiler sous les draps de ses parents les soirs d’orages, cette fillette qui courait sous la pluie en effectuant une ribambelle de pirouettes avant de finir les fesses à terre, plongées dans une flaque. Elle contenait cette haine dont elle ne connaissait la nature en elle, si profond en son fond intérieur, qu’elle allait la tuer un jour. Elle en était certaine. La Weasley avait nourrit cette rage de différence, ce dégout contre nature depuis tellement longtemps déjà qu’elle n’était même plus capable de se remémorer le dernier moment de complicité qu’elle avait pu passer avec ses géniteurs. Tout était devenu si étrange ici. Les gens ratissaient à longueur de journée ces horribles rumeurs de rébellion, ces terribles promesses d’un avenir incertain, pour tous. Elle avait rejoint l’Ombre, elle aussi, plus par amour que par réelles convictions et cette situation n’était pas des plus agréables. Peut-être aurait-elle préféré vivre dans un patelin loin de tout, loin de cette guerre qu’elle ne considérait plus comme la sienne. Ses parents avaient vaincu, longtemps auparavant, ils avaient été des héros et la chose la plus chagrinante dans cette histoire était qu’au fond d’elle, leur propre fille, leur progéniture, avait perpétuellement cette petite voix qui ne cessait de lui répéter qu’elle n’était pas destinée à accomplir d’aussi grandes choses, qu’elle ne faisait pas le poids. Qu’ils aient au Diable. Le poids de leurs exploits avait pesé si longtemps sur les épaules de l’adolescente qu’elle commençait à flancher, à subir de ces remarques incessantes. Elle ne serait pas à la hauteur, elle ne l’avait jamais vraiment été. Plus rien n’avait d’importance aujourd’hui ; elle avait suivi Zane dans cette guerre et, envers et contre tout, elle lui prouverait sa détermination, celle que par amour elle avait acquise. Qu’ils crèvent tous, eux et leurs heures de gloire. Qu’ils crèvent.

Agrippant la serviette qui était soigneusement posée à gauche de l’évier, la Serpentard essuya son visage au teint pâle qu’elle avait précédemment rafraichi de ses mains pour se remettre les idées en place. Dans quelques temps, elle serait madame Goyle et elle savait qu’elle ne pouvait compter sur personne pour se réjouir de ce qui aurait du être le plus beau jour de sa vie. La famille du jeune homme s’y opposerait très certainement avec ferveur, quant aux Weasley, ils ne pourraient qu’être réticents à l’idée qu’une des leurs s’unissent à l’un de ceux qui, des années auparavant, avaient contribué à faire tomber des hommes, à crever des camarades. Soit. Elle n’avait pas besoin de soutien, du moins, c’est ce dont elle tentait chaque jour de se convaincre. Elle pourrait très certainement compter sur Gabriel. Depuis qu’ils avaient découverts leurs secrets de familles, ils étaient plus proches que jamais et il serait là, elle en était certaine, le jour du mariage. Là, à son bras, pour la mener vers l’autel. Encore fallait-il qu’elle aille le lui proposer. Inspirant une grande bouffée d’air pour se donner du courage, elle reposa le linge à présent humide et se fit face un instant dans le miroir blême de sa salle de bain. Elle n’avait rien d’extraordinaire, elle n’était pas forcément belle, pas forcément agréable à vivre et pourtant, c’était elle qu’il avait choisie. Elle. Elle et pas une autre. Un sourire se dessina timidement sur le minois rougi par l’eau glacé d’Adélaïde quand la porte s’écrasa contre le mur opposé, ce qui eût pour effet de faire sursauter la brune qui se croyait pourtant seule. C’est avec des yeux surpris qu’elle se retrouva face à Alesya. Alesya Lestrange, peste par excellence et, accessoirement, ex de Zane Goyle. Les deux adolescentes ne s’étaient jamais réellement entendues, jamais vraiment portées dans le cœur l’une de l’autre, mais certains efforts avaient été faits récemment des deux côtés pour lui, pour Zane. Sans prendre le temps d’observer sa camarade plus en détails, elle lui tourna le dos d’un air désintéressé pour ranger sa brosse à dents, tout en marmonnant : « Je ne te connaissais pas cette persévérance Alesya, que me vaut l’honneur ? » A vrai dire, elle savait pertinemment comment cet entretien allait se terminer, elles allaient se crêper le chignon comme toujours et auraient le droit aux sermons d’un Zane Goyle désespéré mais c’était plus fort qu’elles. Ces deux là n’étaient pas faites pour s’entendre, elles ne pouvaient pas, c’était trop dur, la haine était trop grande.