J'ai toujours su qu'on me cachait des choses, des vérités trop difficiles.
Papa n'avait jamais, jamais jamais, parlé de ses parents. Je ne connaissais que deux personnes de ma famille, et toutes deux appartenaient à la famille de maman : tante Lena, la soeur jumelle de maman, et mamie Storm que je ne vois pas très souvent. Elle est très froide et difficile à approcher. A vrai dire, quand j'étais petite, elle me faisait peur, surtout qu'il fallait toujours aller la voir dans ce grand manoir vide où il faisait toujours froid. Pourquoi elle habitait toute seule là dedans ? Et puis maman avait toujours l'air mal à l'aise, comme si elle avait peur elle aussi. Parfois, je la surprenais en train de regarder fixement une pièce. Ses mains tremblaient.
Quand j'ai du tout apprendre sur la guerre magique, c'est papa qui s'en est chargé. Maman a toujours était celle qui me parlait de tout, mais il semblait impossible de lui faire piper mot à ce sujet. "Demandes à ton père", "Je n'ai pas le temps ma puce". Toujours avec un sourire, mais ferme quand même.
Et puis j'en ai eu assez. J'avais dix ans, et il était temps de briser la glace. J'avais besoin de savoir pourquoi maman se réveillait parfois en pleurant, quand je n'avais que trois ou quatre ans. Pourquoi elle avait l'air si effrayée, parfois. Alors, comme les enfants sachent si bien le faire, j'ai tout simplement bombardé mes parents de questions, jusqu'à ce qu'ils me demandent de m'asseoir, d'un air grave. Alors ? Est-ce-qu'une partie de ma famille était morte en combattant les Mangemorts ? Toute la famille de papa alors ? Peut-être qu'il était un sorte de héros. Peut-être que papa et maman avaient perdus tellement de gens précieux qu'ils avaient du mal à en parler. C'était courant, chez nos parents, à cet époque. Les blessures étaient encore fraîches.
J'ai su. J'ai compris.
J'ai compris que le grand manoir de mamie était la maison ou ma mère avait grandi. Le manoir Storm. La grande famille au sang pur Storm. L'endroit ou ma mère avait grandi, détestée, menacée par son père, dénigrée par sa propre soeur jumelle, inférieure. L'endroit ou ma grand-mère avait été manipulée par cette homme, toutes ces années, laissée incapable d'exprimer le moindre amour pour sa fille. Bien sûr, maman tremblait, rien qu'à mettre les pieds dans cet endroit. Elle revoyait la peur. Les petits recoins où elle se cachait quand elle avait peur des remontrances, des humiliations, des menaces. Les livres sur les créatures magiques, "idioties" qu'elle cachait sous les marches menant à sa chambre. La pièce ou, quand elle avait une dizaine d'années, il lui a dit qu'il n'hésiterait pas à utiliser le sortilège Doloris sur elle si elle ne rentrait pas dans le rang, dans le "moule", cette traîtresse à son sang. Une enfant trop timide et trop douce pour avoir de la valeur pour eux, et sûrement trop différente. Et surtout, une enfant qui avait compris mieux qu'eux que les moldus sont humains, simplement.
Ma mère. Mon sang. Ma famille.
J'ai compris son attachement pour moi, parfois un peu étouffant. J'ai compris ses peurs. Et j'ai surtout compris sa force et son courage, d'avoir échappé une famille pareille, un père comme lui, et d'être toujours là aujourd'hui, avec sa famille. Avec mon père. Avec moi.
Mon grand-père, Mangemort. Mon sang. Si ma mère était une traitresse à son sang, je m'engage à l'être moi aussi.
Mon père, Florian. J'aurai pu avoir une tante. J'ai des grand-parents, qu'il a fui plus jeune, après la mort de sa petite soeur. J'aurai pu avoir une tante, mais elle n'était pas assez bien pour une famille de sang-pur. Cracmol. Trop faible. Trop différente. Maltraitée jusqu'à la mort. Mon père, Florian, qui a toujours été plus silencieux que les autres pères, qui refusait que j'aie une petite soeur ou un petit frère. Comme si avoir deux enfants pourrait porter malheur.
Je suis le renouveau.
Je suis la première branche de la famille qui n'aura pas été souillée par des idées de sang purs se sentant supérieurs aux autres. Je suis la première enfant de la famille à avoir le droit d'apprécier les moldus, les nés-moldus, les sang-mêlés, tous, comme des êtres humains. A savoir. A m'informer. A défendre. Je suis la première enfant que l'on a pas maltraitée ou manipulée pour "l'éduquer". Je suis la première enfant qui ne risque pas d'être punie pour avoir été répartie ailleurs qu'à Serpentard. Je suis l'avenir.
Je sais le mal que toutes ces idées ont fait et jamais je ne m'y comforterai.
Ma mère et mon père m'ont appris à prendre toute idée avec une pincée de sel, et à réfléchir. A ne pas juger d'un seul regard, car certaines personnes peuvent s'avérer surprenantes et il serait dommage de passer à côté.
Pour ma mère, pour mon père, pour l'enfant qui aurait pu être ma tante, je jure de ne pas reproduire les erreurs du passé.
J'ai peur, parfois. Jamais je ne pourrais être aussi courageuse que maman. Après tout, j'ai toujours été gâtée, choyée. Et si je devenais cruelle ? Après tout, il y a des gens cruels dans mon passé. Et si c'était comme un mal qui sautait des générations et tout soudainement, s'instaurait en moi ?
Et si quelqu'un me retrouvait ? Si on me disait que je suis une traîtresse pour ne pas défendre ma "grande famille" Storm ? Je dois garder ce patronyme secret, mais je pense que les choses se savent. Je ferais en sorte de ne rien révéler cependant.. Heureusement que ma mère s'est mariée ! Je suis sûre qu'elle a été très heureuse de se débarrasser de ce nom.