La souffrance peut occuper une telle place qu’on en vient à oublier ce qu’est le bonheur. On avance, tête baissée, s’accrochant à l’espoir de se sentir un jour plus serein. Le quotidien devient douloureux, nous rappelant sans cesse ce que l’on vient de perdre. Et quand tout devient trop lourd, trop difficile à vivre, on part. On tire un trait sur ce qu’à été notre vie jusqu’à présent pour se noyer corps et âme dans un univers qui n’est pas le sien. S’oublier soi même semble être la clé de la libération. On ne cherche plus le bonheur, on ne sait plus ce que c’est. On ne désire plus qu’une seule chose, ne plus ressentir la souffrance…

Lorsque l’on se perd en chemin, deux solutions s’offrent à nous. Tenter de retrouver la personne que l’on était, ou lui dire adieu pour toujours. Dans le cas de Grace, le choix avait été vite fait. Elle s’était contentée de dire adieu à celle qu’elle était autrefois.

Le départ de sa sœur avait marqué un tournant dans sa vie. Sa seule et unique confidente l’avait abandonnée pour un homme. Ce jour là, elle s’était sentie trahie, abandonnée et terriblement seule. Holly était la seule personne avec qui elle pouvait se laisser aller. Pas de masque, pas de faux semblants, juste deux sœurs se soutenant face à une éducation prônant des valeurs strictes.

Ce premier abandon avait poussé Grace dans ses retranchements. Elle qui n’était pas très démonstrative, le devint encore moins. Deviner ce qu’elle ressentait relevait de l’impossible. Elle restait infaillible, comportement qui avait tendance à décontenancer le corps enseignant de Poudlard.

Puis vint le jour ou sa mère lui annonça la mort d’Holly. Pour la deuxième fois de sa vie, Grace se sentie abandonnée. L’espoir de revoir un jour sa sœur s’envola pour ne laisser place qu’à la colère. C’est ce jour là que Grace tira un trait sur celle qu’elle était…

Installé au comptoir, la jeune femme s’était réfugiée dans ce bar à la réputation douteuse afin de s’accorder un moment de calme. Revenir à Pré au Lard, si près de Poudlard, lui rappelait les souvenirs d’un passé oublié. Sa soif de vengeance lui avait fait tout quitter. Elle avait mis sa vie entre parenthèse dans l’espoir de se débarrasser enfin de cette colère qui l’animait depuis la mort d’Holly. Elle avait besoin de faire face au responsable de sa mort. Grace était animée d’un besoin vital de pouvoir laisser aller sa haine envers cet homme qu’elle détestait tant.

« Votre whisky pur feu » Le barman interrompit la jeune femme perdue dans ses pensées, faisant glisser sur le comptoir un verre plein. Sans même adresser un merci, elle prit le verre et en avala une gorgée.

La journée avait été longue. Tout Poudlard s’était pointé pour boire une bièraubeurre. Servir tous ces morveux n’avait en rien été une partie de plaisir pour la jeune femme qui ne se sentait pas l’âme d’une serveuse. Elle avait pris ce boulot pour se fondre dans la masse, passer inaperçu et mener à bien sa mission. Cet emploi était un atout majeur dans ses projets. Il lui servait de couverture, à la fois concernant sa petite vengeance personnelle, mais également pour mener à terme certaines petites missions confiées par sa famille. Aux yeux des gens, elle était une simple serveuse inoffensive.

Grace termina son verre d’un trait avant de régler sa note. Sans même un au revoir, elle se leva pour quitter le bar. Une main a stoppa dans son élan. « Ne partez pas si tôt, je n’ai pas encore eu le temps de vous offrir un verre. » Un homme avait décidé de sortir le grand jeu, au grand désespoir de Grace. Cette dernière le dévisagea un instant. « Sans façon. » Grace attendit que l’inconnu la lâche, ce qu’il ne semblait pas vouloir faire. « Attends ma jolie, tu ne peux pas refuser ça à un gentleman, je suis certain qu’on peut passer un excellent moment ensemble. » Lamentable… Ne put s’empêcher de penser la jeune femme passablement agacée. « Un gentleman ? Ici ? » Elle fit mine de chercher autour d’elle. « C’est bizarre, j’en vois aucun. » Un serveur chargé de plusieurs verres passa à côté d’eux. Discrètement, la jeune femme veilla à ce que ce dernier chute, renversant la totalité de son plateau sur le soit disant gentleman qui la lâcha immédiatement. Il n’en fallut pas plus pour mettre le feu à la poudre et une bagarre commença immédiatement. La  viande saoule du bar monta au créneau et des chaises commencèrent à voler de part et d’autre du bar. Ce fur l’instant que Grace choisi pour mettre les voiles.

Quittant précipitamment le bar, elle heurta accidentellement un homme qui passait par là ou voulait peut être boire un verre. Absolument pas d’humeur courtoise, Grace ne prit pas la peine de s’excuser ou même de se retourner. Elle continua sa route, se contentant de mettre l’inconnu en garde. « A votre place j’éviterais de rentrer. »

Byron aurait aimé dire qu’il avait pris suffisamment de coups, au cours des dernières années, pour ne plus rien craindre. Il aurait aussi voulu être capable de penser qu’une demoiselle deux têtes plus petite que lui, clairement poids plume, lui rentrant dedans, ne risquait pas de le perturber. Il aurait voulu croire qu’entre les heures passées dans la forêt et l’influence de la lune, il ne craignait plus grand-chose, n’arrivant même pas à se détruire le foie et ce en dépit des quantités d’alcool qu’il ingurgitait depuis son exil choisi mais pendant un instant, il douta.

Ce n’était pas l’épaule de la jeune femme qui lui avait fait mal. Ce n’était pas l’articulation pointue qu’elle avait envoyé dans son abdomen qui l’avait heurté au point de le faire s’arrêter net, yeux écarquillés, gorge serrée et souffle coupé. Il devait avoir l’air con au possible, avec la bouche entre-ouverte, il devait aussi sembler blanc comme un drap. Ce qui lui avait cassé son élan, ce n’était pas le coup, c’était le visage de la jeune femme, son putain de regard lui donnant l’impression de voir un fantôme qui depuis des années à présent hantait ses rêves. C’était un gout de culpabilité, de terreur aussi, qui venait d’exploser dans sa bouche. C’était une douleur insidieuse et pourtant terriblement chaude, comme retrouver un vieux démon et l’accueillir avec une accolade fraternelle. Il avala sa salive en ayant l’impression de faire descendre du verre pilé, se sentant prêt à tituber et il baissa les yeux, le contact n’ayant duré qu’une seconde. Déjà, il avait envie de bafouillé, ayant surement rêvé mais la voix qu’elle fit claquer dans le vent, continuer à avancer comme s’il n’était pas vraiment là, l’interpella. C’était un accent, une façon d’articuler, c’était un tout, quelque chose qu’il avait déjà entendu. C’était une voix qu’il connaissait presque mais qui avait autrefois prononcé bien d’autres termes, des promesses d’avenir, des aveux plein d’une certaine tendresse en dépit de la peur… C’était pertinemment ce qu’il cherchait à chasser en venant s’enivrer à la Tête de Sanglier.

« A votre place j’éviterais de rentrer. » avait-elle soufflé et en temps normal, il aurait rétorqué qu’il n’était pas là pour la compagnie mais sur le coup, stoppé dans sa procession, s’étant fait couper l’herbe sous le pied après avoir quitté brutalement Poudlard en ayant besoin d’air. C’était comme si ses pas précipités pour quitter le domaine de l’école de Sorcellerie avaient disparu, comme s’il avait passé sa vie ici, dans la ruelle menant à ce bar miteux. Il inspira, sentant l’air siffler dans sa poitrine et se faisant violence, il tendit un bras pour se saisir d’elle, parce qu’il avait besoin de savoir, quitte à passer pour un fou, quitte à se tromper. La ressemblance était trop grande, trop forte pour qu’il ne panique pas, son pauvre cerveau tournant trop vite dans les maigres secondes s’étant écoulé depuis qu’elle lui était rentrée dedans. D’une voix presque suppliante, parce qu’au fond, il en avait bien trop rêvé, il se retrouva à murmurer un prénom qu’il n’avait pas soufflé depuis des années, en dehors de ces bribes articulée dans son sommeil sans qu’il n’en ai réellement conscience, résultats de cauchemars qu’au final, même l’alcool n’était pas assez pour chasser. Oh ce qu’il aurait donné pour être ivre au point de ne plus pouvoir bouger. Mais non. Ses doigts serrés autour du poignet de la petite blonde plantée là, il souffla : « Holly ? » déjà prêt à s’excuser, sachant très bien qu’il se trompait.

« I’m sorry, it’s just that you look a lot like… » commença-t-il alors à bafouiller, serrant les dents pour encaisser la déception, le soulagement aussi, cette certitude qui viendrait et lui assurerait qu’il n’était pas encore totalement fou. Holly était morte. Morte et déchiquetée, il ne l’avait pas vu tomber, il avait juste aperçu son cadavre et l’ombre de leurs vies mélangées s’enfuyant à toute allure. Il avait la lune pour lui rappeler chaque mois ce qu’il avait perdu aussi savait-il déjà que cette inconnue n’était pas la jeune femme qu’il avait perdu, celle qui avait porté leur futur enfant.

Glaciale, menaçante, brisée, elle lui fit écarquiller les yeux un peu plus forts alors qu’il avait l’impression de se prendre un blizzard dans la tronche. Elle ressemblait à Holly. Une Holly qui ne l’aurait pas regardé, qui aurait passé sa vie à chercher à le détruire. Quelle augure. Elle avait les traits et dans ce chaos qui sembla couvrir Byron, il ne réalisa pas bien ce qu’il se passait, n’arrivant pas à connecter les morceaux, les pièces du puzzle dans lequel quelqu’un avait joyeusement frappé pour foutre le bordel. Dans un souffle rauque, mauvais presque, parce qu’il n’était pas certain d’avoir la force d’encaisser tout ça si ce n’était qu’un mauvais tour de son esprit, il cracha avec un peu trop de véhémence : « Do I know you ? » balançant la menace d’un orage dans l’impasse et ne l’ayant toujours pas lâché, cette inconnue trop familière.

En quittant le bar, Grace n’avait pas la moindre idée de l’endroit ou ses pas la conduiraient. Elle ne se sentait pas vraiment à sa place dans ce rôle qu’elle avait accepté de jouer provisoirement. Peut être bien qu’elle ne sentait nulle part à sa place… Le problème venait peut être de là.

Quoi qu’il en soit, sa seule certitude était son besoin de s’éloigner de la foule, de Pré au Lard et de ses souvenirs si rattachant. Prendre ses distance l’espace de quelques heures et mettre de côté la raison de sa venue ici. Sa soif de vengeance avait pris une place tellement importante dans sa vie, qu’elle en avait oublié tout le reste. Finalement, Grace était parvenue à s’oublier elle-même. Elle était devenue un véritable fantôme. Seul son désire de venger la mort de sa sœur la maintenait debout.

Perdue dans le fil de ses pensées, elle avait déjà oublié la bagarre dans le bar ainsi que la bousculade avec l’inconnu. Elle se fichait de tout et ce qu’il venait de se passer ne méritait pas qu’elle y attache une quelconque importance. C’est donc sans le moindre regard en arrière qu’elle s’apprêtait à prendre ses distances lorsqu’une main s’empara brusquement de son bras, l’obligeant une fois de plus à s’arrêter.

Nouvel obstacle, nouvelle perte de temps. Agacée, Grace attendit quelques secondes, espérant qu’on la lâcherait, puis finalement, se retourna pour faire face à la personne qui ne semblait pas vouloir la laisser partir. S’apprêtant à lâcher une réplique cinglante à la figure de l’inconnu, Grace fut stoppée dans son élan. Elle rêvait ou il venait de l’appeler Holly ? La douche froide qu’elle venait de prendre fut suffisante pour la clouer sur place. Elle n’avait pas entendu ce prénom depuis tellement longtemps… Tout son entourage savait que sa sœur était devenue un sujet tabou. Par respect pour la jeune femme, ses proches avaient simplement cessé de lui en parler.

Entendre le nom d’Holly lui fit l’effet d’une claque qui la ramena aussitôt à la réalité. Elle avait envisagé l’idée de s’éloigner de ses objectifs l’histoire de quelques heures ? C’était une erreur de sa part car où qu’elle aille, son passé finirait toujours par la rattraper…

Entendre le prénom d’Holly prononcé par un inconnu ne fit exacerber la colère enfouie en elle. Qui était-il pour oser parler de sa sœur ? Finalement, pour la première fois depuis qu’elle l’avait bousculé, Grace lui prêta attention et l’observa en silence. Il y avait quelque chose de brisé en lui. Il la fixait, l’air complètement perdu, comme s’il venait de voir un fantôme. Il lui fallut un certain temps avant de réaliser qui se tenait devant elle sans lui lâcher le bras. Nettement plus grand que Grace, une carrure massive, des yeux noisette et cette bouche qu’elle avait pour habitude de voir sourire lorsqu’ils étaient encore à Poudlard. Il avait beaucoup changé mais au fond il restait le même.

Grace ne prêta pas attention à ses excuses, trop occupée à réaliser qu’il se tenait là, debout, juste devant elle. Elle avait passé tellement de temps à concentrer sa haine et sa rancœur contre lui, que de le voir se tenir en face d’elle lui fit l’effet d’une bombe. Grace garda le silence, s’attardant à parcourir les traits de son visage, comme pour mémoriser ce à quoi ressemblait l’assassin de sa sœur. A vrai dire, elle ne s’était pas vraiment attendue à ça. Byron était à la fois semblable est totalement différent de celui qu’elle avait autrefois croisé à Poudlard. Son arrogance avait laissé place à un sentiment de tristesse. La malice avait disparut de son regard, emportant avec elle son éternel sourire enjôleur. Sans qu’elle ne sache pourquoi, Grace avait le sentiment de se tenir face à un homme brisé, ce qui ne fit qu’accentuer sa colère.

La pluie commença à tomber sur Grace et Byron qui ne se lâchaient plus des yeux. Quiconque les aurait croisés aurait eu l’impression que le temps venait de se figer. Finalement, le jeune homme brisa le lourd silence qui s’était installé entre eux. Sa voix grave et menaçante ramena aussitôt Grace à la réalité. Elle repensa à toutes ses années passées sans savoir ce qu’il était réellement arrivé. Toutes ses années de doute et de questions sur les raisons du départ d’Holly et de sa mort… A présent elle se trouvait en face du responsable de sa mort. Pour elle qui n’avait jamais pleuré la perte de sa sœur, lutter contre ses émotions s’avérait plus difficile que prévu. Elle avait envie d’hurler, de laisser aller sa colère et son chagrin contre cet homme. D’un geste brusque, elle tira sur son bras dans l’espoir qu’il la lâche.

« Ne me touches pas. » Sa voix était froide. Au diable la politesse et les bonnes manières. Elle n’avait aucun respect pour lui, alors pourquoi s’ennuyait d’un quelconque vouvoiement. Ils étaient à présent totalement seuls. Les habitants s’étaient réfugiés chez eux, à l’abri de la pluie qui se faisait de plus en plus forte. Byron et Grace étaient trempés mais elle s’en moquait. Elle balaya plusieurs mèches de ses cheveux collées à son visage. « Tu l’as tuée… » Pour la première fois de sa vie, Grace était en train de perdre le contrôle. « Tout est de ta faute… » Elle approcha son visage de celui du jeune homme, prête à lui cracher au visage tout ce qu’elle avait enfouie depuis la mort d’Holly. Elle aurait pu prendre sa baguette et provoquait un duel, mais elle avait besoin d’un tout autre genre de confrontation. Grace ne voulait pas se cacher derrière la magie, elle souhaitait faire face à ses démons les plus profonds. Elle sentit son corps se contracter, la forçant à lutter pour ne pas sauter à la gorge du meurtrier qui se tenait en face d’elle.